LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES
Ce dimanche, notre ami Timothy Adès, poète traducteur britannique, nous fait (re) découvrir un écrivain (malheureusement) plutôt méconnu, Henri Thomas (prix Medicis en 1960 pour John Perkins et prix Fémina en 1961 pour Le Promontoire) souvent considéré comme un écrivain pour écrivains, mis en lumière par le chroniqueur littéraire et écrivain Jérôme Garcin notamment, qui le voit comme un auteur important, un "irréductible" de la littérature, qu'il a rencontré et apprécié pour sa sincérité, sa quête de sens, sa capacité à dialoguer avec le lecteur, son ouverture attentive à l'inobservé ou à ce qui peut paraître insignifiant et sa place dans la tradition littéraire française.

J’ai traduit ce poème de Henri THOMAS (1912-1993), en connaissant à peine ses œuvres. Hier, ma traduction en anglais de Nul Désordre a été retenue comme le poème du jour par le collectif de poètes et d'écrivains de "Poetrywivenhoe", sur leur site de publications quotidiennes de poésie : leur thème actuel est la magie.
Henri Thomas jeune

Wivenhoe est un petit port près de Colchester en Essex, cent kilomètres à l’est de Londres. La ville fut capitale de la Bretagne romaine : sous l’énorme château normand, c’est le temple du divin Claudius qui a conquis la plupart de l’île.
Au village, il y a l’université d’Essex où ma femme Dawn a enseigné l’art surréaliste ainsi que celle de l’Amérique latine, dont on a attiré par moyen de dons une collection importante. – Il va sans dire que nous sommes grands amateurs de Paris !
T.A
Nul Désordre
Je descendais la rue Soufflot, quel âge avais-je, vingt-deux ans,
Sur les arbres du Luxembourg, la Tour Eiffel au soleil couchant
Semblait faite de verre blond et poussiéreux,
Je ne recherche aucun détail, je crois revoir briller des yeux,
Qui j'ai rencontré m'apparaît, la scène profonde se rouvre,
Le soleil du soir me guide de la Contrescarpe au Louvre,
Les cafés s'allument, je ferme un livre,
Je sens le délice et le supplice de vivre,
Les lumières font partout des espaces magiques,
L'amour inconnu se montre dans cette rouge musique,
Et le silence, le désert de la chambre où je rentrais tard,
Cette lampe que j'avais, phare de tous les départs,
Rien n'a sombré, tout grandit jusqu'au miroir de décembre,
Sur l'avenir s'ouvre toujours l'ancienne chambre.
Nothing Out Of Place
I went down Rue Soufflot, I was twenty-two years of age.
Sunset, and looming above the Luxembourg’s foliage
was the Eiffel Tower: it looked like dusty golden glass.
Without searching for detail, I picture (so luminous!)
two eyes; here’s who I met, here’s the full-depth scene;
from the Contrescarpe to the Louvre I'm lit by low sun.
The café lights come on, and I tuck away my book;
I sense life’s bliss and its beastliness; wherever I look,
street-lights are creating little enclaves of magic,
and love unknown is there in the red of the music,
and my room, that silence, a desert to come to at night,
and the lamp that lit my departures, my harbour-light:
nothing has sunk, all lengthens toward December’s mirror,
and there it is, my old room, still opening on to the future.
Copyright © Timothy Adès
- Château de Colchester
- Nul désordre, Henri Thomas (Gallimard, 1950); "Je cherche et j’ai trouvé des poèmes au bord de la mer, comme on cherche des fragments de bois ou de pierre étonnamment travaillés et polis par les flots. Ces poèmes résultent eux aussi du long travail, du long séjour de quelque chose dont l’origine, la nature première m’échappent (comme je ne saurais dire d’où viennent ce galet, ce poisson de bois lourd), dans un milieu laborieux qui est moi-même — conscience ou inconscient continuellement en mouvement. Les plus gros blocs d’expérience doivent à la longue s’y réduire en formes nécessaires et singulières, complices des yeux (du lecteur)."
- Les Heures lentes, Henri Thomas, tirées d'une série d'entretiens sur France-Culture, Henri Thomas nous parle de son enfance et de son adolescence sensible et imaginative, des lieux qui ont jalonné sa vie, les Vosges, Londres, Paris, et l'île de Houat où, chaque fois qu'il le pouvait, il aimait vivre dans le voisinage de la mer. Il évoque aussi son travail de traducteur, ses rencontres, amicales et littéraires, Antonin Artaud, Pierre Herbart, André Gide, Jean Paulhan...

Timothy Adès est un poète traducteur britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, également de Federico García Lorca, Alberto Arvelo Torrealba, Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos.
Il a réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e. "Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" et les "Rrose Sélavy" de Robert Desnos en anglais.
Membre de la Royal Society of Literature, administrateur de la revue "Agenda Poetry" (fondée en 1959 par Ezra Pound et William Cookson) et membre de son comité de rédaction. Lauréat entre autres des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.
Derniers ouvrages parus : "Ringelnatz the Rhymer " , édition bilingue allemand-anglais (The High Window, 4 août 2024; " Morgenstern's Magic", édition bilingue allemand/anglais des poèmes de Christian Morgenstern (1871-1914) (The High Window, 4 février 2024; "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019), édition bilingue espagnol/anglais; "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant" (Arc Publications, 2017), édition bilingue français/anglais, 527 pages, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.
Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Publiés généralement le week-end).
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