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UNE NUIT QU'ON ENTENDAIT LA MER SANS LA VOIR, par Victor Hugo / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


John Martin, Christ Stilleth The Tempest, 1852

  

Une nuit qu’on entendait la mer sans la voir ’ : c’est Victor HUGO dans son recueil Les Voix Intérieures (1837) dédié à son père.

 

Selon MISTER CORAIL, Le magazine de l’homme et de la mer (1) : 

« Une nuit qu’on entendait la mer sans la voir, rien n’est luxe, calme et volupté. Dans une atmosphère sombre, les éléments se déchaînent et le ciel noir ne contraste guère avec la mer en furie. En pleine tempête, seul le divin semble encore pouvoir venir en aide aux nochers imprudents, aux marins perdus. Cette nuit, le vent dans la voile déchire la toile… comme avec les dents !

 

« Vingt-quatrième poème du recueil Les voix intérieures publié en 1837, Une nuit qu’on entendait la mer sans la voir a des allures de fin du monde. Dans un registre apocalyptique assumé, Victor Hugo nous livre, au moyen de vers brefs et pentasyllabiques, un univers aussi brutal qu’incommensurable. Une pièce démontée dans laquelle le poète déleste sans états-d’âme sa soif d’épique et de grand. »

 

Tina Kover et Charlotte Coombe, les rédactrices en chef de TRANSLATORS ALOUD - The Voice of Translated Literature  -  dont le projet consiste à offrir leur espace de partage de la littérature pour mettre en lumière les traducteurs lisant à partir de leur propre travail, ont choisi ma vidéo pour célébrer la Journée Mondiale de la poésie, The World Poetry Day (2). ‘Une voix d’or,’ dit-on.

Un grand honneur ! Je parle en anglais, puis en français.

https://www.youtube.com/watch?v=GX3Mtojirb4

 

(1) Créé en 2008 à Punaauia, sur la côte ouest de Tahiti, en Polynésie française, “Miss & Mister Corail” fut jusqu’en 2016 un jeu d’aventure se déroulant chaque année sur son site internet. Le site se reconvertit par la suite en magazine web consacré à l’homme et à la mer. Il est actuellement installé à Sète, dans l’Hérault.

(2) La Journée mondiale de la poésie a été adoptée pour la première fois par l'UNESCO en 1999, lors de sa 30e conférence générale à Paris.

La déclaration originale de l'UNESCO indique que la journée a été créée pour "donner une nouvelle reconnaissance et un nouvel élan aux mouvements poétiques nationaux, régionaux et internationaux". Elle a lieu chaque année le 21 mars.

 

 

Une nuit qu’on entendait la mer sans la voir

 

Quels sont ces bruits sourds?

Ecoutez vers l’onde

Cette voix profonde

Qui pleure toujours

Et qui toujours gronde,

Quoiqu’un son plus clair

Parfois l’interrompe…

— Le vent de la mer

Souffle dans sa trompe.

 

Comme il pleut ce soir !

N’est–ce pas, mon hôte ?

Là–bas, à la côte,

Le ciel est bien noir,

La mer est bien haute !

On dirait l’hiver;

Parfois on s’y trompe…

— Le vent de la mer

Souffle dans sa trompe.

 

Oh ! marins perdus !

Au loin, dans cette ombre

Sur la nef qui sombre,

Que de bras tendus

Vers la terre sombre !

Pas d’ancre de fer

Que le flot ne rompe.

— Le vent de la mer

Souffle dans sa trompe.

 

Nochers imprudents !

Le vent dans la voile

Déchire la toile

Comme avec les dents !

Là–haut pas d’étoile !

L’un lutte avec l’air,

L’autre est à la pompe.

— Le vent de la mer

Souffle dans sa trompe.

 

C’est toi, c’est ton feu

Que le nocher rêve,

Quand le flot s’élève,

Chandelier que Dieu

Pose sur la grève,

Phare au rouge éclair

Que la brume estompe !

— Le vent de la mer

Souffle dans sa trompe.

 

Juillet 1836

 

A night the sea was heard, and not seen

 

What’s this rough sound ?

Hark, hark at the waves,

his voice profound

that endlessly grieves

nor ceases to scold,

and yet shall be drowned

by one louder, at last:

The sea–tempests wield

their trumpet–blast.

 

How it rains tonight !

Does it not, my guest ?

All down the coast,

the sky without light

and the sea storm–tossed !

’Tis winter, we railed,

yet we falsely guessed…

The sea–tempests wield

their trumpet–blast.

 

O sailors lost !

From the raft of doom

in the distant gloom,

what cries are cast

to the shores that loom !

Anchor–chains yield

to the surging crest.

The sea–tempests wield

their trumpet–blast.

 

O helmsmen, fools !

The storm in your sails

with furious tooth

rips up your cloth!

The stars are concealed !

Jack pumps and bales,

Jem looks to the mast

… The sea–tempests wield

their trumpet–blast.

 

It is you, your blaze

that the helmsman craves

in the towering waves,

you lamp on the strand

that the Lord displays,

red rescuing brand

that is doused in mist!

The sea–tempests wield

their trumpet–blast.

 

Copyright © Timothy Adès




1- Portrait de Victor Hugo, 1829, par Charles Etienne Pierre Motte (1785-1836) (BnF) / 2- Manuscrit autographe ayant servi pour l'impression chez Pierre-Eugène Renduel, libraire-éditeur (BnF, Département des Manuscrits. NAF 13361) / 3- Les Voix intérieures, par le dessinateur Gustave Fraipont (Bruxelles, 09–05–1849 - Paris, 29–04–1923), Maison de Victor Hugo - Hauteville House / 4- Victor HUGO, Les Chants du crépuscule - Les Voix intérieures - Les Rayons et les Ombres (Gallimard Poésie, 2002)


Timothy Adès est un poète traducteur britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, de Federico García Lorca, d'Alberto Arvelo Torrealba, d'Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables"  et les "Rrose Sélavy" de Robert Desnos en anglais. Lauréat  entre autres des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Membre de la Royal Society of Literature, administrateur de la revue "Agenda Poetry" (fondée en 1959 par Ezra Pound et William Cookson) et membre de son comité de rédaction.

Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end).

Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Dominique LEVEQUE (lundi, 27 mars 2023 10:02)

    « … Il faut qu’il ne dépende de rien, pas même de ses propres ressentiments, pas même de ses griefs personnels… IL faut enfin que dans ces temps livrés à la lutte furieuse des opinions au milieu des attractions violentes que sa raison devra subir sans dévier, il ait sans cesse présent à l’esprit ce but sévère : être de tous les partis par leur côté généreux, n’être d’aucuns par leur côté mauvais… » : on pourrait croire que c'est un commentaire d'aujourd'hui, mais non, c'est un extrait de la préface du livre d'Hugo (sur la fonction de poète)...

  • #2

    mimo (lundi, 01 avril 2024 16:57)

    a qui,le poete s'adresse dans chaque strophe