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BALLADE DE PROTECTION (BLUES), par Pierre Mac Orlan / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

   Nous revoici en compagnie de Pierre Mac Orlan (1882-1970) avec ‘Ballade de la Protection (Blues )’.

C’est le dernier des quatre poèmes de Mac Orlan que j’ai traduits pour un ami, Alastair Brotchie, de l’Institut Pataphysique de Londres.

Il les a publiés dans leur journal dont il est ‘Proveditor and Propogator’, en honorant Thiéri Foulc qui ‘avait fait le geste de mourir’, comme le disent les pataphysiciens.

 

 

Pour eux d’ailleurs, la dame d’Alastair porte le titre de ‘Sa Magnificence’.

Elle gère la minuscule librairie Bookartbookshop avec son Bar Peixoto : j’y ai pu offrir des poèmes traduits à treize personnes, maison remplie.

 

Ballade de la Protection (Blues)

 

Souvenez-vous, Seigneur, ô Lord du temps passé,

Quand vous m’accompagniez dans les prairies fanées

De Bagatelle, ornées de rousses gigolettes

A tiges bien tournées, revêtues de bas noirs.

Vous conduisiez mes mains pour que je les bénisse

Ces pauvres innocents des bienfaits judiciaires,

Ces gibiers de prison, ces pauvres orphelins,

Ces minables crétins au visage éphémère.

O Lord ! C’est vraiment vous qui conduisiez mes mains.

 

Seigneur affranchi ! Dieu riche d’expériences,

C’est vous que j’aperçois le long du bataillon,

Dans la poudre et verglas des routes de Lorraine.

Nous vous avons bien vu, moi et mes compagnons.

Vous chantiez avec nous Le Père Barbançon

Et vous preniez mon sac, ô Seigneur des casernes !

Mon sac et mon fusil, plus tard mon mousqueton.

Vous chantiez, Domine, le vide des gibernes.

On braillait les refrains de notre garnison.

 

Dieu des si puissants catholiques galas !

Présentez quand il faut l’amour sur vos tréteaux.

Donnez-nous de l’amour la signification

Précise afin de l’utiliser çà et là,

Selon les besoins de la vie, au jour le jour,

Un sens bref comme un coup de couteau amical

Au moment de régler nos bontés et nos comptes.

 

Seigneur et Lord ! Docteur en toutes compétences !

Donnez-nous de ces mots la monnaie non rognée.

Donnez-nous du mépris la fière intelligence

Pour mieux nous protéger des autres et des uns.

Quand un pressentiment rend la nuit plus peuplée,

Quand la chambre à coucher se transforme en chapelle,

Quand l’ampoule électrique est telle une chandelle,

Éloignez de nos yeux la présence des cierges.

 

O Créateur, vêtu comme un vrai chien d’aveugle

Pour mieux nous avertir en marge des chaussées

Ma femme et puis moi et ma lourde bouledogue

Et mon accordéon dans son étui couché,

Encore réunis comme à l'accoutumée.

Donnez-nous pour ce soir la paix dans nos foyers.

Demain ?…

 

            ENVOI

 

Qu’un honorable calme escorte nos ennuis

Demain ? On verra bien. Pour l'instant, c'est fini.

Les anges nouveau-nés en gais flocons de neige

Tourbillonnent dans un ciel gris, couleur adolescente,

Couleur de tous péchés. maintenant « abolus ».

— Ce n’est prière de Picard — Seigneur, donne à cil

La chance sans essoine et… mille « Ainsi soit-il ».

 

 

 

 

 

 

Chanteuse: Monique Morelli

https://www.youtube.com/watch?v=ZaJMrg6Tu_o

 

 

 

Protection Ballad (Blues)

 

Remember, O Lord God, remember times gone by,

When you went at my side into the faded fields

Of Bagatelle, adorned with redheads on the game,

With those well-rounded calves, black stockings clothing them :

You guided my two hands to bless these luckless ones,

The paupers who received no kindness from the bench,

The jailbirds serving time, orphans in penury,

Sad imbeciles, their faces seen for just a day.

Lord ! Truly it was you who guided my two hands.

 

Enfranchised Lord ! O God rich with experience,

It’s you who I perceive all along the battalion,

In the black ice and slush of roadways in Lorraine.

We saw you very clear, myself and my companions,

You used to sing with us that ‘Old Man Barbançon’.

You even took my pack, O Lord of barrack-blocks!

My knapsack and my rifle, my side-arm after that.

Dear Lord, you sang about our kitbags’ emptiness.

And we roared out refrains, songs of our garrison.

 

O God of galas, powerful and catholic !

Present us on your trestles love in its due time,

Give us to know the true significance of love,

Precisely, so we may apply it here and there

According to the needs of life from day to day,

A meaning like a knife-blade’s friendly cut, so neat,

Just when we settle our accounts and kindnesses.

 

O Lord and God ! Doctor in every competence !

Give us the unclipped coinage of words.

Give us that proud intelligent mistrust,

The better to protect ourselves from one and all.

When a foreboding fills night with more presences,

When the familiar bedroom turns into a chapel,

When the electric bulb is like a candle-flame,

Remove the presence of wax tapers from our eyes.

 

Creator ! dressed like a real guide dog for the blind,

To warn us better on the edge of roads,

My wife and then myself, my heavy revolver

And my accordion at rest inside its case,

All once again together in the usual way :

Give us for this evening peace at our firesides.

Tomorrow...?

 

            ENVOI

 

May an honourable calm guide away our troubles

Tomorrow ? We shall see. For the moment, it’s all done.

Angels are new-born where snowflakes are gambolling

And whirl in a grey sky of adolescent hue,

The colour of all sins now absolved, now abolished.

- It’s quite a simple prayer.

Lord, give the nod

To luck unhampered and... a thousand times ‘Let it be so’.

 

Copyright © Timothy Adès

 

 


- Monique Morelli (1923-1993) chante Pierre Mac Orlan (Arion, 1968, réédité sous le titre "Chansons du Quai des Brumes", Arion 1978) : La chanson de Margaret ; La rue qui pavoise ; Le Pont du Nord ; Merci bien ; Les rues barrées ; Les Compagnons du Tour de France ; Nelly ; Marie-Dominique ; La route d'Aigues-Mortes : Bel-Abbès ; Rose des Bois ; Ballade de la protection

- Intérieur de la BookArtBS avec les livres de Timothy Adès exposés

- Photo (d'une partie) de la famille Adès prise dans la librairie Bookartbookshop avec son Bar Peixoto


Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, de Federico García Lorca, d'Alberto Arvelo Torrealba, d'Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end).

Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.

 

 

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