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A PHILIS, par Pierre de Marbeuf / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES

Où l'on (re)décrouvre un poète assez méconnu aujourd'hui, Pierre de Marbeuf,  dont l'oeuvre suggère l'appartenance de l'Homme, de ses sensations, de ses sentiments au tout de l'univers.  C'est particulièrement vrai dans le Sonnet de ce dimanche dont on pourra noter que la version anglaise de Timothy, tout aussi faussement badine que la version originale, ne manque pas de saveur !


   Pierre de MARBEUF (1595-1645) : poète baroque, né près de Rouen à Sahurs, étudie au collège jésuite de La Flèche, dans la province du Maine (aujourd'hui la Sarthe) où il a pour condisciple René Descartes ; puis à Orléans où il entame des études de droit; il témoigne d'un goût pour la poésie comme ‘pour la séduction’ ; au début, des poésies pieuses ; il y rencontre Hélène, une jeune parisienne, qui semble avoir eu ‘le pouvoir de lui faire négliger ses dernières études’ : en 1619, il la suit à Paris.  Non sans avoir publié juste avant son Psalterion chrestien, " dédié à la Mère de Dieu, l'Immaculée Vierge Marie" (1618) suivi de Poésie Meslée (dont une ode à l'Eloge de la  Normandie), qui constitueront ses principaux  recueils de poésie avec le Recueil des vers de Mr de Marbeuf, in-octavo de 252 pages (1628), publiés à Rouen. Egalement un poème sur le mariage de Christine de France, sœur de Louis XIII, avec Victor- Amédée de Savoie (1619), et non sans avoir aussi présenté  plusieurs pièces au concours des Palinods de Rouen en 1617 (organisé par la confrérie littéraire de Normandie). Marbeuf se distingue pour ses stances - des poésies composées de plusieurs couplets, qui sont tous du même nombre de vers, et de la même mesure que le premier couplet - intitulées l'Anathomie de l'œil (1618), et, en 1620, l'ode intitulée le Narcisse.

Trois publications parisiennes suivront : un recueil d'épigrammes en latin de 1620, le Pétri Marbei in magno Franciae consilio advocati epigrammatum liber (in-quarto de 36 pages) ; un Poème sur l'heureux mariage du Sérénissime Prince Victor Amédée de Savoye avec Madame Christine sœur du Roy (in-quarto de 18 pages) en 1619 ; enfin Le Portrait de l'Homme d'Estat, Pour Monseigneur le Cardinal Duc de Richelieu (in-quarto de 11 pages) en 1633.

 

À Hélène succédèrent, dans un ordre connu de lui seul, Jeanne, Madeleine, Gabrielle, Philis et Amaranthe. Egalement Aliane, Silvie, et Anne.

De retour sur ses terres normandes en 1623, il devient maître des eaux et forêts, et épouse en 1627 Madeleine de Grouchet.

 

   A Philis  que je vous propose aujourd'hui est sans doute le sonnet le plus connu de Marbeuf  qui associe avec grand talent le thème de l'eau à celui de l'amour et exprime ce que la passion peut comporter de souffrance en cascade. Pour Marbeuf, aimer tient du miraculeux en même temps quasiment que de l'acte héroïque !

L'universitaire Henri Lafay, spécialiste de la nouvelle poésie de 1620  note que « L'esthétique de Marbeuf - dans ce qui fait son originalité, originalité de sa génération poétique - est une esthétique de la saveur (saveur des choses, des sensations, des sentiments, des idées, des rêves, et saveur des mots). C'est la recherche de saveur qui explique aussi bien dans cette poésie une simplicité et un naturel allant au-delà de la pureté malherbienne (positions extrémistes de l'Académie de Piat Maucors) que la recherche du choc sensible dans la ligne soit d'un Sigogne, soit d'un Motin, que celle des raffinements verbaux ».

A Philis est extrait de son Recueil des vers publié à Rouen en 1628 (par A.Héron pour la société rouannaise de bibliophiles)

 

 

À Philis

 

 

 

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,

Et la mer est amère, et l'amour est amer,

L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,

Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.

 

Celui qui craint les eaux qu'il demeure au rivage,

Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,

Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,

Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

 

La mère de l'amour eut la mer pour berceau,

Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau,

Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

 

Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,

Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,

Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.

 

Chant : https://www.youtube.com/watch?v=rlHuHvD2Ldg

 

Lecture : https://www.youtube.com/watch?v=ToWgHOwgfRQ&t=1s

 

Rap : https://www.youtube.com/watch?v=jot2StVzo44

 

To Phyllis

 

 

 

The sea and love share bitterness :

The sea is bitter, love no less :

In love, as in the sea, we’re lost,

For sea and love are tempest-tossed.

 

Jack fears the wave and hugs the strand;

Jem fears the evils love may send.

Let not love’s flames around him lick:

Then neither is at risk of wreck.

 

Love’s Mother started from the wave;

The source of fire is surely love :

Against this fire, no wave can strive.

 

I burn for you ! I’m seared by fire:

If waves could quench this blaze of love,

My sea of tears would quench the pyre.

 

  Copyright © Timothy Adès

 


- Recueil des vers de Mr de Marbeuf chevalier, sieur de Sahurs ( Rouen, Imprimerie de David Du Petit Val, imprimeur ordinaire du Roy. M. DC. XXVIII, 1628), Collection numérique : Bibliothèque numérique de Rouen.

- Vénus et Cupidon  de Titien, peinture à l'huile sur toile de 110,5 × 138,4 cm réalisée par le peintre vénitien entre 1510 et 1515 (Wallace Collection de Londres).
- Vénus dans la coquille, Cabinet secret

Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, de Federico García Lorca, d'Alberto Arvelo Torrealba, d'Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end).

Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.

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