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FANTAISIE, par Gérard Nerval / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

   Ce poème, publié pour la première fois en 1832 dans les ‘Annales romantiques’ fit partie en 1834 du recueil Odelettes, dont Nerval (1808-1855) déclarait qu'elles étaient inspirées de Ronsard. « En ce temps-là, je ronsardinisais,» raconte-t-il. Les rimes sifflent sur ses lèvres. L’imitation s’affiche dans Fantaisie comme dans  Avril, Gaîté, ou Les Papillons’.  Fantaisie sera repris dans de multiples revues et figurera en 1853 dans Petits Châteaux de Bohême, témoignant de sa première inspiration  lyrique.

 

La Musique, 1895, Gustav Klimt

Fantaisie’, c'est aussi le titre de compositions de Mozart, également de Chopin, musicien contemporain de Nerval, de courtes pièces musicales de forme libre. Le poète place ici clairement la musique au centre de son poème. Il l'y introduit.

C'est le point de départ de sa rêverie romantique. Du reste, le titre entier du recueil est Odelettes  rhythmiques et lyriques. Fantaisie est comme une réminiscence déclenchée par un vieil air (sans doute une chanson populaire telle qu'il les affectionnait) susceptible d'enclencher la lanterne magique dans l'âme et l'imaginaire de Nerval : " Un coteau vert, que le couchant jaunit "... Le monde de l'enfance qui surgit. La musique comme source d'allégorie du passé. Et au-delà, comme expérience de métempsychose :

« De deux cents ans mon âme rajeunit ». Au point que ce poème par sa musicalité, l'emploi de certains mots (par ex « charme » pour décrire l'air de musique), nous faisant hésiter entre passé et présent, rêve et réalité, entre réel et irréel, pourrait le qualifier dans le registre du fantastique.

Pour ma part, donner pour cet air ‘tout Rossini, tout Mozart et tout Weber’ me semble inconcevable !

Celui-ci étant moins connu, je vous offre son Concertino pour clarinette, qui est d’une brillance : https://www.youtube.com/watch?v=Xf7xNBSjfgg

 

N.B: Les éditions disent ‘Wèbre’ (pour Carl Maria von Weber), mais Nerval dans son manuscrit ne l'emploie pas, il choisit bien d’écrire ‘Weber’.

 

  Fantaisie

 

Il est un air pour qui je donnerais

Tout Rossini, tout Mozart et tout Wèbre :

Un air très vieux, languissant et funèbre,

Qui pour moi seul a des charmes secrets !

 

Or, chaque fois que je viens à l’entendre,

De deux cents ans mon âme rajeunit...

C’est sous Louis treize; et je crois voir s’étendre

Un coteau vert, que le couchant jaunit.

 

Puis un château de brique à coins de pierre,

Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,

Ceint de grands parcs, avec une rivière

Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs;

 

Puis une dame, à sa haute fenêtre,

Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,

Que, dans une autre existence peut-être,

J’ai déjà vue... et dont je me souviens!

 

 

Voix de Gilles-Claude Thériault : https://www.youtube.com/watch?v=h0-5oLtHzVg

 

Ambiance musicale : Chanson Louis XIII (dans le style de Louis Couperin) de FRITZ KREISLER, interprétée par le violoniste Andriy Chaikovskyy et l'orchestre de chambre "LVIV VIRTUOSOS".

 

Voix d'Alain Cuny :

https://www.youtube.com/watch?v=Yn-MUVO601I

 

James Ollivier chante :

https://www.youtube.com/watch?v=DNIW3uIO3ZM

 

                   Fantasy

 

Rossini, Mozart, yes, and Weber,

I’d give them all for just one tune:

It’s ancient, languid and sepulchral,

It keeps its charms for me alone.

 

I hear it, and my soul is younger:

Each time, two centuries are gone.

Louis the Thirteenth; a green hillside

Turns golden in the setting sun.

 

Stately brick house with fine stone corners:

Red colours tint its window-glass.

A river laves its feet, goes flowing

Through parks in flower, swathes of grass ;

 

Fair lady at her lofty window,

Black eyes, her dress historical,

Whom in some earlier existence

I may have seen ... and can recall !

 

 

 Copyright © Timothy Adès


- Copie autographe de Fantaisie signée vers 1842.

- Portrait du roi Louis XIII par Philippe de Champaigne

- Portrait photographique de Rossini par Pierre Petit, 1862 (BnF, département musique, Est.RossiniG.058)

- Portait lithographique de Mozart par Magnier (date d'édition : 1825-1841 / Gallica - BnF)

- Carl Maria Von Weber

- Le 21 mars 1841, Nerval a un accès de "folie" : on le retrouve sur les marches du Palais-Royal en train de promener son animal. Au bout d'un ruban bleu, ... un homard. Quand on s’étonna de cet animal en laisse, Nerval aurait répondu :  “En quoi un homard est-il plus ridicule qu’un chien, qu’un chat, qu’une gazelle, qu’un lion ou toute autre bête dont on se fait suivre ? J’ai le goût des homards, qui sont tranquille, sérieux, savent les secrets de la mer, n’aboient pas…”. Pensionnaire de la maison de santé du docteur Esprit Blanche, à Passy, Nerval sera découvert pendu aux barreaux de la boutique d'un serrurier (Boudet),  rue de la Vieille Lanterne, le 26 janvier 1855.


Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, de Federico García Lorca, d'Alberto Arvelo Torrealba, d'Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos.

Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end).

 

Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.

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