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SUR LA ROUTE et Ô JEUNESSE, par Robert Desnos / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

   Un beau sonnet de Robert DESNOS qui, malgré la tendance naturelle du Surréalisme vers le désordre, était bien capable de créer un poème de parfaite forme traditionnelle.

Et moi, en le traduisant, j’ai pu garder le ABBA ABBA qui ne m’arrive pas souvent. (Plus de 300 sonnets traduits !)

Or, il y a quelques jours, j’ai assisté à une soirée poétique à ce sujet des Routes : et donc, voilà ! Le verre chez Desnos c’est du vin rouge... Et j’ajoute encore un sonnet de la même période de sa vie, de moins bonne mine, qui me ressort tout à fait sans rimes… C’est la Muse qui décide.

 

 

 

Desnos par Félix Labisse (1905-1982)

 

Sur la Route

 

Sur la route parfois on rencontre des vignes

Dont les raisins mûris sont à portée de main

Qu’ils sont bons ! Et partons où serons-nous demain ?

Car la feuille ressemble à la main par les lignes.

 

Mais chérissons le vin où se lisent les signes

sacrés de la jeunesse et des désirs humains

Le verre est bu, partons reprenons le chemin

qui naît au chant du coq et meurt au chant du cygne

 

Il reste cependant l’empreinte de nos verres

sur la nappe tracée. Aux mains des lavandières

La tache partira bientôt au fil de l’eau.

 

Ainsi vont les serments belle fille qui chantes

Pour trinquer à plaisir en l’honneur des méchantes

Remplissez notre verre aux bondes des tonneaux.

 

Peinture surréaliste, gouache sur papier, Robert Desnos, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris

 

On the Road

 

On the road now and then we may come across vines

And the grapes are all ripe, just an arm’s length away

Aren’t they good ! Let’s be off, who knows where in a day ?

For the leaf’s like a hand, with the same little lines.

 

But let’s cherish the vine with its numinous signs

Runes of youth and of human desire on display

Now the glass is drunk dry let’s get back on our way

At the cockcrow it blooms, in the swan-song declines

 

Yet the mark of our glasses imprinted remains

On the tablecloth. Under the laundresses’ hands

Running water will rapidly banish the stains.

 

That’s how promises vanish my lovely who stands

At the bung with a song come and fill up our glass

We shall drink as we choose to each mischievous lass

 


 

Ô Jeunesse

 

Ô jeunesse voici que les noces s’achèvent

Les convives s’en vont des tables du banquet

Les nappes sont tachées de vin et le parquet

Est blanchi par les pas des danseurs et des rêves

 

Une vague a roulé des roses sur la grève

quelque amant malheureux jeta du haut du quai

Dans la mer en pleurant reliques et bouquets

Et les rois ont mangé la galette et la fève

 

Midi flambant fait pressentir le crépuscule

Le cimetière est plein d’amis qui se bousculent

que leur sommeil soit calme et leur mort sans rigueur

 

Mais tant qu’il restera du vin dans les bouteilles

qu’on emplisse mon verre et bouchant mes oreilles

J’écouterai monter l’océan dans mon cœur.

 

Marc Robine : https://www.youtube.com/watch?v=lOX5pWE2Kl4

 

Days of Youth

 

Days of youth the wedding is over

The guests are leaving the banquet

There’s wine on the cloths, and the parquet

Is whitened by dancers and dreams.

 

A wave strewed the foreshore with roses

Love’s victim has hurled off the quayside

Weeping wretchedly keepsakes and posies

The kings ate the cakes and the beans.

 

Flaming noon foreshadows the twilight

Friends jostle in graveyards to slumber

In peace and for death without stiffness

 

But while there’s still wine in the bottles

Fill my glass and with ears stopped I’ll listen

To my heart where the ocean is rising.

 

Translation: Copyright © Timothy Adès


- Youki et Desnos


Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, de Federico García Lorca, d'Alberto Arvelo Torrealba, d'Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos.

Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

 

Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.

 

Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.

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