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HISTOIRE DE FOLFANFIFRE, par Robert Desnos / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES

Notre ami poète traducteur britannique revient à Desnos en nous proposant  cette Histoire de Folfanfrife dont le fameux critique Michael Schmidt* a dit  de sa traduction qu'elle était  « étourdissante ».

 

 *Michael Schmidt est l'auteur notamment d'un remarqué Lives of the Poets (1998), qui célèbre la poésie en évoquant plus de 300 poètes, de Chaucer jusqu'à nos jours.


 

En 1929-33, Robert DESNOS (1900-45) écrit son recueil Les Nuits Blanches en pensant à Youki, rencontrée en 1928, une des égéries du Montparnasse de l'époque, célèbre pour la toile Nu allongé dont elle fut le modèle. L’alcool et les drogues lui ont enlevé la chanteuse Yvonne George, qu’il a tant aimée mais qui ne partageait pas son désir; à la faveur d'une randonnée en Bourgogne avec Youki (Lucie Badoud) et son mari, le peintre japonais Foujita, il réussira à "tourner" la page Yvonne. Après une expérience de triangle amoureux, ils emménagent en avril 1931 au 6, rue Lacretelle (XVe arr.).

Desnos et Youki

Fin 1931, Foujita quitte la France pour le Brésil en enmenant avec lui son nouveau modèle, Madeleine Lequeux, non sans adresser ses meilleurs voeux à Desnos et Youki.  Ces deux-là meneront une vie de couple : elle sera sa femme. La poésie de Desnos devient plus simple et joyeuse.

Voici Histoire de Folfanfifre, l'un des 49 poèmes tiré du recueil " Destinée arbitraire ".

 

 

La Grande Librairie, Direct5 : https://www.youtube.com/watch?v=w75CMBxAzW0

(Robert Desnos : histoire d'un poète résistant. Dans « Légende d'un dormeur éveillé », aux éditions Héloïse d'Ormesson, Gaëlle Nohant retrace le parcours de vie du poète Robert Desnos)

 

Institut Français, Londres, Kensington : https://www.youtube.com/watch?v=_bmlw4va1as

(Timothy Adès présente les poèmes de Desnos avec ses propres traductions à l'Institut français de Londres, le 18 octobre 2017. Avec Marina Warner et Sonia Masson).

 

Robert DESNOS – Est-il toujours parmi nous ? (Chaîne Parisienne, 1965): https://youtu.be/RLNQsNmSoSg

 

 Histoire de Folfanfifre

 

Folfanfifre à l’école ne savait rien

À l’école n’apprenait rien

Son maître étant un sot

Folfanfifre fut un sage

De ne rien apprendre de faux

Folfanfifre eut ce courage

 

Folfanfifre au bistro ne buvait rien

au bistro ne mangeait rien

Le patron étant un empoisonneur

Folfanfifre eut ainsi la chance

de ne pas mourir avant l’heure

Et de pouvoir encore danser une danse

 

Folfanfifre au bal dansa cette danse

se brisa un bras un pied une dent et la panse

Folfanfifre mourut à son heure

au même instant que ses compagnons

qui moururent empoisonnés par malheur

et par de mauvais champignons

 

Folfanfifre avait une maîtresse

Folfanfifre aimait ses caresses

Il avait beau n’être pas beau

Il était aimé mieux qu’un autre

Il s’en souvient en son tombeau

Ferez-vous de même en le vôtre ?

 

Folfanfifre n’avait pas l’air heureux

Peut-être était-il heureux

Mais au point où il en est

Qu’est-ce que ça peut bien faire

Vous souvenez-vous qui il était

vous sa maîtresse et vous son frère ?

 

Folfanfifre aimait l’arc-en-ciel

aimait aussi les hirondelles

Il aimait les feux d’artifice

Sans doute aussi le vieux bourgogne

l’argent l’or et le pain d’épices

Mais il n’aimait pas la besogne

 

Folfanfifre aurait voulu toujours dormir

Pour gagner son pain il se privait de dormir

Il est bien avancé à cette heure

Maintenant qu’il est au cercueil

Mais peut-être dort-il à cette heure

Peut-être même ne dort-il que d’un œil ?

 

Folfanfifre qui n’apprit rien

Savait tout ne sachant rien

Nous non plus ne savons pas grand-chose

Si l’on nous aime et si nous aimons

Si c’est au rosier que fleurit la rose

Folfanfifre ne se posait pas de questions

 

Et ne répondait jamais aux questions

Si plus que Folfanfifre nous existons

Tout compte fait je puis le dire

Je crois bien qu’il avait raison

Moi j’ai raison de rire

Et vous de pleurer sans raison.

 

 

Tale of Fol-Fan-Fifer

 

Fol-Fan-Fifer went to school

Learning nothing there at all.

Blame the master he was plastered

Fol-Fan-Fifer was no fool

Learning anything untrue?

Not for him the cocky bastard

 

Fol-Fan-Fifer at the diner

Took no food nor drink at all

These were poisoned by the owner

Fol-Fan-Fifer’s lucky chance

No untimely funeral

He survived to dance the dance

 

Fol-Fan-Fifer shimmied but

Broke his arm foot tooth and gut

Time for death his moment comes

In the same hour as his chums

Dying poisoned by mischance

Mushrooms evil champignons

 

Fol-Fan-Fifer’s girlfriend gave

Him caresses he adores

No good being no good-looker

Loved him well her fancy took her

Looks back fondly from his grave

Will you do the same from yours ?

 

Fol-Fan-Fifer looked unhappy

But consider where he’s at

Just supposing he was happy

What would be the good of that?

You his girlfriend you his brother

Can you tell him from another ?

 

He loved rainbows in the sky

Loved the way the swallows fly

Loved the fireworks in July

Burgundy mature and red

Silver gold and gingerbread

Wasn’t fond of penury

 

He’d have liked a life of sleep

Lost his sleep to earn his bread

Which has put him well ahead

Swaddled in his shroud below

Mightn’t he be sleeping now

One eye open for a peep ?

 

Fol-Fan-Fifer learning nothing

Knew it all and still knew nothing

Which of us can say he knows

If we’re loved and if we’re lovers

If the rose-bush bears the rose

If we are more real than he was?

 

Fol-Fan-Fifer never queried

Never answered any query

All in all I can declare it

I believe he had good reason.

I have reason to be merry,

You, to weep, for no good reason.

 

Translation: Copyright © Timothy Adès


- " Femme allongée" Youki, par Foujita, 1923

- " Femme endormie ", Youki, par Foujita, 1928

-   Youki et Desnos en 1944

-   Robert Desnos : Surrealist, Lover, Resistant, translated by Timothy Adès (Arc Publications, octobre 2017)


Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian.

Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán,

Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.

 

Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : une somme de 527 pages, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.

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