· 

ET LA LUMIERE FUT, par Jean Cassou / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

   Joyeuses Pâques ! Un grand poème de Jean CASSOU, chef de la Résistance au sud-ouest, à qui de Gaulle au chevet donne la Croix de la Libération. Communiste, il quitte le parti contre le pacte Molotov-Ribbentrop ;

il défend Tito qui rompt avec Staline : on le dénonce. Cassou créera le Musée National d’Art Moderne ; il recevra en 1971 le Grand prix national des Lettres, en 1983 le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres, et la Médaille d'or du mérite des beaux-arts (Espagne).

Néanmoins il reste ‘le grand méconnu’. Ce poème du recueil ‘La rose et le vin’ est écrit en 1941 et publié en 1952 chez l’Imprimerie des Poètes.

Avec ses échos religieux, il est plein de lumière et d’espoir.

 

 

                ET LA LUMIÈRE FUT

 

Et la lumière fut, qui éclaire tout homme

en ce monde et toute la misère du monde,

et qui forme l'éclat des raisins et des pommes

et les jaunes frissons sous les feuilles profondes.

 

Et la lumière est pure alors qu'elle arrondit

ses touches de splendeur sur la masse des ombres,•

comme une lampe aimée que la main de la nuit

plonge au fond de l'amour par un escalier sombre.

 

Et la lumière est pure et la lumière est sainte,

et la lumière parle avec des mots joyeux

plus haut que la tempête et plus fort que la plainte

qui réveille en sursaut les dormeurs malheureux.

 

Sois louée, sois bénie, lumière inexhaustible,

thyrse de poésie, serpent de guérison,

peine et joie consenties, immanence visible,

conscience casquée, ô déesse raison!

 

Sois bénie, et béni soit ton règne efficace:

qu'il étende ses bras de révélation

comme des nappes d' or au large des espaces

et y fasse tinter les tours bleues des Sions.

 

Manifeste les sons étreints par le silence,

délivre les pitiés, les charmes engourdis:

il est encor des poids pour la juste ba1ance,

il est encor des pleurs qui n'ont pas été dits.

 

Des abîmes de deuil et de mémoires vaines

attendent ton signal, et d'obscurs continents

fumant, sur leurs degrés, d'odeurs suburréennes,

et des clairons muets au seuil des monuments.

 

Ta suscitation doit faire comparaître

toutes ces draperies grouillantes, mille espoirs,

poings convulsés aux grilles rouges des fenêtres,

comme une tragédie fermée de toutes parts.

 

Éclaire de tes yeux la minutie des rides,

la multiplicité des plis, la belle trace

des vagues accouplées et des cheveux rapides

que dénombre le vent aux profils qui s' effacent.

 

Exalte les vallées où les peuples gémissent,

couchés sur les tombeaux des âges embaumés,

fends les temples, pénètre au secret des calices

où bourdonne l'essaim des anges oubliés.

 

Prends les rues dans tes rais comme des ronces. Mêle

à tes fruits irisés les bulles des ruisseaux,

la paille des fumiers, le cri des étincelles

farouche et sans répit sous le choc des marteaux.

 

Ouvre les portes! L'âme est noire dans son coin,

et cette odeur de sang qui brûle plaît aux mères.

Mais tu sais rire, et d'un rire chaste et sans fin,

jusque parmi les fleurs pourries des cimetières,

 

toi, tu sais rire, et comme d'un rire espagnol,

torrent de flamme et d'eau sauvage, ma lumière,

mon grand sarcasme phrygien, ma carmagnole,

cheval, cheval terrible, ô la plus libre et fière

 

des apparitions au-dessus de nos têtes!

Tue les dieux mauvais, tue! Oh! quel dégoût croupit

dans nos siècles comme des restes de planètes

retombés loin de toi dans l'éternelle nuit!

 

Mais ne nous quitte pas! Embrase jusqu' à l'or

la plaie qui nous dévore et ces choses petites

et innocentes, nées à peine dans la mort,

la pauvre mort chétive et elle aussi bénite,

 

la misérable mort d'ici, notre seul bien,

(et c'est pourquoi tu sais que nous l'aimions... ). Mais d'autres

amours nous captiveront que ce triste rien,

quand tout n'appartiendra plus qu' à ta flamme haute,

 

porté vers cette épée ascensionnelle. Et tout

sera clair et présent. Radieuse, la terre

aura vêtu sa robe virginale d'août

pour boire infiniment le vin de la lumière.

 

 

                 AND THERE WAS LIGHT

 

And there was light, that lightens everyone

that lives, and lightens all this world’s distress,

puts bloom on grapes and apples in the sun,

under low leaves a shivering yellowness.

 

The light is pure when it rounds out its glory

on fields of shadow touched with splendour bright,

a well-loved lamp to reach an upper storey,

thrust into Love’s depths by the hand of night.

 

The light is pure, the light has sanctity,

and the light speaks, its words rejoice the heart,

above the storm and moaning threnody

that wakes unhappy sleepers with a start.

 

Be praised, be blessed, light inexhaustible,

serpent of healing, poets’ thyrsus, yes,

pain and joy sanctioned, immanence visible,

goddess of reason, helmeted consciousness!

 

Blessings be on you and your potent reign:

may it stretch forth its arm, enlightening,

like cloth of gold spread wide across the plain,

and make the high blue towers of Sions ring.

 

Show forth the sounds that were constrained in silence:

set pity free, shake loose the magic word;

there are yet makeweights for the rightful balance,

there are yet tears whose story is unheard.

 

Chasms of mourning and vain memories

await your signal; murky continents,

steaming with old Suburan fragrances;

mute bugles on the steps of monuments.

 

At your arousal, everything appears:

the thousand hopes, the vermin-ridden drapes,

the fists convulsing at red window-bars,

a tragedy that nobody escapes.

 

Illumine with your eyes the waves in pairs,

the plethora of folds, the lovely trace

of wrinkled intricacies, and quick hairs,

counted by winds, on brows the years efface.

 

The peoples cry aloud. Exalt the valleys!

They lie on centuries entombed in balm.

Cleave, cleave the temples, penetrate the chalice

where the forgotten angels buzz and swarm.

 

Embrace roads in your rays like briars. Bring,

mingled with rainbow fruits, the rivers’ bubbles,

straw of the dunghills, sparks that fiercely sing,

relentless, as the hammer-blow redoubles.

 

Open the gates! The soul is black, unseen;

this is the burnt-blood smell a mother craves.

But you laugh well: your laugh is endless, clean,

even to the flowers that wither on the graves.

 

Yes, you laugh well, my light, à l’espagnole,

flame and wild cataract, a streaming flood,

my Phrygian caustic wit, my carmagnole,

terrible steed, the freest and most proud

 

of airy apparitions. Kill, oh kill

the wicked gods! As dregs of planets fall,

our aeons of disgust are festering still,

crashed far from you in night perpetual.

 

But stay amongst us! Burn to glowing gold

the wound that feasts on us, the littleness,

things small and innocent and scarcely foaled

before they die the death we also bless;

 

death’s all we have on earth, and that is why

you know we loved it ... Many a better love

will charm us than that dismal nullity,

when all reverts to your high flame above,

 

nearing the sword of the ascension. All

shall then be clear and present. Beaming bright,

Earth in her August garments virginal

shall infinitely drink the wine of light.

 



" J'ai été arrêté pour activité de résistance par la police de Vichy, le 13 décembre 1941, à Toulouse, en zone non occupée, et mis au secret à la prison militaire de cette ville avec les autres camarades de notre réseau pris avec moi. Secret relatif, car les prisons étaient pleines, et nous nous trouvâmes deux à partager la même cellule. [...] Néanmoins toutes les autres conditions du secret étaient réalisées : pas de promenades en rond dans la cour, pas de visites, pas de papier pour écrire, par de correspondance et pas de lecture. Le soir venu, nous nous jetions sur nos paillasses et tentions de dormir malgré le froid. Dès la première nuit j'entrepris, pour passer le temps, de composer des sonnets dans ma tête, cette forme stricte de prosodie me paraissant la mieux appropriée à un pareil exercice de composition purement cérébrale et de mémoire..."

Jean Cassou


Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian.

Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.

 

Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.

Écrire commentaire

Commentaires: 0