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LA COUSINE, par Gérard de Nerval / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

 

   Revoici Gérard DE NERVAL (1808-55), poète, conteur, auteur dramatique, librettiste et journaliste, dont je vous ai offert deux poèmes en avril, à savoir ‘Avril’ et ‘De Ramsgate à Anvers’. En voici encore deux.

D’abord ‘La cousine’ (issu du recueil Odelettes, paru en 1853, rassemblant ses premiers poèmes, publiés initialement dans "l’Almanach des Muses" en 1831) qui est parfait pour un dimanche enneigé, qui est tout à fait familial, et qui me rappelle mes charmantes cousines parisiennes ! Et rien de mystérieux : l’occultisme de Nerval ne se trouve que dans sa prose. …

 

Ensuite ‘Cour de prison ’. Le jeune Nerval a manifesté pour la République, on le met en prison (à Sainte Pélagie) ; nous aussi, passons des mois sous le regime d’une liberté réduite ; le poète soupire après une herbe, les feuilles, la Nature : c’est celle-ci qui soutient notre bonheur, notre santé ; et que nous devons chérir, protéger et préserver, plus que jamais.

‘Cour de prison ’ fut publié dans le journal Le Cabinet de lecture en 1831 puis repris sous le titre Politique (1832) dans La Bohême galante et Petits Châteaux de Bohême (1835).

 

 

La Cousine

 

L’hiver a ses plaisirs; et souvent, le dimanche,

Quand un peu de soleil jaunit la terre blanche,

Avec une cousine on sort se promener...

« Et ne vous faites pas attendre pour dîner, »

Dit la mère.

 

                      Et quand on a bien, aux Tuileries,

Vu sous les arbres noirs les toilettes fleuries,

La jeune fille a froid... et vous fait observer

Que le brouillard du soir commence à se lever.

 

Et l’on revient, parlant du beau jour qu’on regrette,

Qui s’est passé si vite... et de flamme discrète :

Et l’on sent à rentrant, avec grand appétit,

Du bas de l’escalier, le dindon qui rôtit.

 

 

 The Girl Cousin

 

The pleasures of winter, when Sunday comes round :

Weak sunlight has gilded the snow on the ground;

Your cousin and you go out walking together :

‘And don’t keep us waiting for dinner,’ says Mother.

 

 

The Tuileries Gardens. The trees, black and bare;

You’ve seen all the costumes so flowery there.

The young girl feels cold, and you’re moved to remark

It’s late, and the mist’s getting up in the park.

 

So you talk, going home: lovely day, what a shame

It’s over so soon ... and the decorous flame...

Your appetite’s stirred, at the foot of the stair :

A roast turkey dinner is scenting the air !

 


Cour de Prison (‘Politique’)

 

Dans Sainte-Pélagie,

Sous ce règne élargie,

Où, rêveur et pensif,

      Je vis captif,

 

Pas une herbe ne pousse

Et pas un brin de mousse

Le long des murs grillés

     Et frais taillés !

 

Oiseau qui fends l’espace...

Et toi, brise, qui passe

Sur l’étroit horizon

     De la prison,

 

Dans votre vol superbe,

Apportez-moi quelque herbe,

Quelque gramen, mouvant

      Sa tête au vent !

 

Qu’à mes pieds tourbillonne

Une feuille d’automne

Peinte de cent couleurs

    Comme les fleurs !

 

Pour que mon âme triste

Sache encor qu’il existe

Une nature, un Dieu

    Hors ce lieu,

 

Faites-moi cette joie,

Qu’un instant je revoie

Quelque chose de vert

     Avant l’hiver !

 

 Prison Yard (‘Politics’)

 

In St Pelagia

(Lately grown larger)

Dreaming and pensive

       I lie captive.

 

Not a scrap of grass,

Not a trace of moss

Grows along the grills,

     The fresh-hewn walls !

 

Bird, carver of space!

You breezes, who pass

The strict horizon

     Of the prison,

 

In your flight superb

Bring me back some herb,

A green stem, whose end

     Nods in the wind !

 

Come, at my feet whirl

One leaf of the fall,

Daubed countless colours,

     Like the flowers!

 

Bring my sorry soul

The tidings that still

God or Nature dwells

     Beyond these walls.

 

    Give me this cheer,

    To see once more

    Verdure, before

          Winter’s here !

 

Translated by ©Timothy Adès


Sculpture représentant Nerval ? par Rodin ? Oeuvre faisant penser aux multiples têtes de Victor Hugo par Rodin...

Portrait de Gérard de Nerval par Etienne Gervais d’après le daguerréotype du photographe Adolphe Legros, je suis l'autre, annoté par le poète, hospitalisé alors à la clinique du Docteur Blanche à Passy

La bohême galante, par Gérard de Nerval (Ed Michel Levy Frères, rue Vivienne, Paris, 1855)

Portrait de Gérard de Nerval, 1937 par Louis Marcoussis (1878-1941), Pointe sèche. 367 x 266 mm (c. de pl.); 450 x 317 mm,

(Metropolitan Museum of Art, New York)

Timbre poste à l'éffigie de Nerval par Pierre Munier, auteur, graveur, 1855

Photographie de Nerval : [photographie, tirage de démonstration] / [Atelier Nadar] par Adrien Alban Tournachon(1825-1903)

Le monument de Gérard de Nerval : [photographie de presse] / Agence Meurisse (source BnF)


Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian.

Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.

 

Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.

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