LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES
Félicitations à notre ami Dominique Lévèque, secrétaire-général du PRé, qui est devenu GRAND-PÈRE. La petite Alice est la bienvenue.
Que VICTOR HUGO reprenne la parole !
Voici deux poèmes de son dernier recueil, L’Art d’être grand-père (1877), dans les tous premiers (III et IV). C’est rare qu’un poète des plus grands fasse attention aux enfants. On voit tout de suite que pour Hugo, l’enfance est liée à la nature.
Nous aussi devons sauvegarder la nature en changeant beaucoup notre façon de vivre. Faisons-le pour nos enfants et les leurs !
Jeanne fait son entrée
Jeanne parle; elle dit des choses qu'elle ignore;
Elle envoie à la mer qui gronde, au bois sonore,
A la nuée, aux fleurs, aux nids, au firmament,
A l'immense nature un doux gazouillement,
Tout un discours, profond peut-être, qu'elle achève
Par un sourire où flotte une âme, où tremble un rêve,
Murmure indistinct, vague, obscur, confus, brouillé,
Dieu, le bon vieux grand-père, écoute émerveillé.
Victor, sed victus
Je suis, dans notre temps de chocs et de fureurs,
Belluaire, et j'ai fait la guerre aux empereurs;
J'ai combattu la foule immonde des Sodomes,
Des millions de flots et des millions d'hommes
Ont rugi contre moi sans me faire céder;
Tout le gouffre est venu m'attaquer et gronder,
Et j'ai livré bataille aux vagues écumantes,
Et sous l'énorme assaut de l'ombre et des tourmentes
Je n'ai pas plus courbé la tête qu'un écueil;
Je ne suis pas de ceux qu'effraie un ciel en deuil,
Et qui, n'osant sonder les styx et les avernes,
Tremblent devant la bouche obscure des cavernes;
Quand les tyrans lançaient sur nous, du haut des airs,
Leur noir tonnerre ayant des crimes pour éclairs,
J'ai jeté mon vers sombre à ces passants sinistres;
J'ai traîné tous les rois avec tous leurs ministres,
Tous les faux dieux avec tous les principes faux,
Tous les trônes liés à tous les échafauds,
L'erreur, le glaive infâme et le sceptre sublime,
J'ai traîné tout cela pêle-mêle à l'abîme;
J'ai devant les césars, les princes, les géants
De la force debout sur l'amas des néants,
Devant tous ceux que l'homme adore, exècre, encense,
Devant les Jupiters de la toute-puissance,
Été quarante ans fier, indompté, triomphant;
Et me voilà vaincu par un petit enfant.
Jean Makes Her Entry
Jean talks: she burbles, sweet and low;
Tells nature things she doesn’t know,
Tells groaning waves and moaning woods,
Flowers and nests, all heaven, the clouds,
Offering insights, by a smile,
From shimmering dream and roving soul:
A formless murmur, blurred and hazed.
Old grandpa God gives ear, amazed.
Victor Vanquished
Our time is one of frenzies and of wars.
I am a warrior; I’ve fought emperors,
Fought the vile throng of Sodoms, heard again
The mass of waters and the mass of men
Roaring against me, and I would not yield.
Waves crashed against me on the battlefield,
The shadow’s and the storm’s full force assailed,
And all the great Gehenna surged and railed.
Rock-like, I never bent my head, for
Cannot be frightened by a funeral sky
Others may tremble on the dark cave’s rim,
I do not fear to plunge in hellish stream.
When tyrants hurled at us, from clouds sublime,
Their sable thunderbolts that flashed with crime,
I have thrown sombre verses at the sinister
Transients, dragging down each king and minister,
False gods, false precepts, sceptres towering high,
Thrones linked to scaffolds, swords of infamy:
I’ve dragged them helter-skelter down to hell.
I’ve faced the giants of brute force, that swell
And rear erect on heaped-up nothingness:
Caesars and autocrats and princes, yes,
All those whom mortals worship, loathe, adore:
I’ve faced the Jupiters of total power
For forty years, victorious, running wild!
Look now: I’m vanquished by a little child.
Translation © Timothy Adès
Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian.
Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.
"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.
Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.
Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.
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Dominique Lévèque (dimanche, 07 février 2021 18:37)
Merci très cher Timothy pour cette gentille attention !