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AUX ARBRES, par Victor Hugo / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

Je ne puis regarder une feuille d'arbre sans être écrasé par l'univers. ’ Ainsi Victor Hugo. Mais nous savons que c’est la race humaine qui risque d’être à la fois l’écrasée et l’écraseuse, faute de sauver les forêts. Les couper pour nourrir nos vaches : vachement inefficace. Pour faire marcher nos voitures : mauvaise démarche. Les copeaux comme carburant des usines génératrices en place du charbon : douteux comme tout.

 

 

 

"Château dans les arbres", Victor Hugo (1802-1885), dessinateur, environ 1850.
Collection particulière© Collection particulière

 

Les arbres nous assainissent les villes ; ils nous donnent de quoi respirer ; ils nous soulagent les âmes.

D’ailleurs, le 14 juillet 1870, chez lui à Hauteville House avec les petits-enfants, il plante un gland… et voici Anne Hidalgo et François Pinault qui posent devant le "chêne des États-Unis d’Europe".

Voici donc Aux arbres, juin 1843 ( Victor Hugo in "Les Contemplations", 1856, Tome.1, Livre III, XXIV) et, comme à l'accoutumée, ma version en langue anglaise que j'ai toujours autant de plaisir à vous offrir.


Aux arbres    

 

Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!

Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;

Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent,

Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.

Vous le savez, la pierre où court un scarabée,

Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,

Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.

La contemplation m’emplit le coeur d’amour.

Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,

Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,

Questionner tout bas vos rameaux palpitants,

Et du même regard poursuivre en même temps,

Pensif, le front baissé, l’oeil dans l’herbe profonde,

L’étude d’un atome et l’étude du monde.

Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,

Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!

Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,

Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,

Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,

Vous savez que je suis calme et pur comme vous.

Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,

Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!

La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;

Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel! –

J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,

Et mon coeur est encor tel que le fit ma mère!

 

Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,

Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds,

Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,

Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!

Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,

Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,

Dans votre solitude où je rentre en moi-même,

Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!

 

Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,

Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,

Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,

C’est sous votre branchage auguste et solitaire,

Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,

Et que je veux dormir quand je m’endormirai.

 

 To the Trees    

 

You forest trees, how well you know my mind!

The envious crowd is raucous and unkind;

You know my soul! You’ve seen me as I’ve gone

Gazing and musing in your depths alone:

You know the outcrop that the beetle scours,

The humble raindrop falling through the flowers,

A bird, a cloud: all day I cannot move,

As contemplation fills my heart with love.

Often you’ve seen me, in the shady glen,

Find words to put to nature from the brain,

Quietly questioning your trembling boughs;

Then, equable, and simultaneous,

Pensive, head down, eyes on the leaves of grass,

I quiz the atom and the universe.

Trees, in your sounds I hear your every word:

Through you, I flee from man and seek the Lord!

You leaves that quiver at a branch’s end,

Nests whose white feathers journey on the wind,

Clearings, green vales, wild places, bane or balm,

You know that, just like you, I’m pure and calm.

My prayers climb to heaven like your fragrance;

My skill is to forget, as yours is silence!

In vain upon me hatred’s bile is poured;

Hear this, you woods belovéd of the Lord!

All bitter thoughts are banished and must fade:

My heart is still the heart my mother made!

 

I love the trees that shudder in the groves,

And ivy too, mute climber on mute boughs;

Ravines where living springs are heard to spill,

Shrubs the birds plunder, feasting with a will!

Surrounded in your forests, mighty trees,

Safely concealed, I know this truth, at ease

Within myself, and all alone with you:

That a great being hears and loves me too!

 

Forest, I’ll seek your shade and mystery,

Under your solemn lonely canopy,

And hide my grave in calm obscurity:

For when I sleep, it’s there I wish to be.

 


Translation: Copyright © Timothy Adès



Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.

 

Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.

Timothy Adès | rhyming translator-poet

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