· 

À JEANNE, par Victor Hugo / Timothy Adès

LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

Victor Hugo en voulant amener ses deux petits-enfants voir les animaux au Jardin des Plantes, avait écrit un poème pour Georges, que nous vous avons offert dimanche dernier dans sa version bilingue; il en a composé un autre, non moins beau, pour Jeanne : le voici.

Les deux poèmes se trouvent dans son dernier recueil poétique, L’Art d’être grand- père (1877), qui n'a rien d'un "manuel" pour être un "bon" grand-père, mais se révèle être une somme qui nous dit que la poésie pour les enfants se doit d'être de la poésie pour tous avec sa part d'obscurité, d'insouciance, de fantastique, son emportement et parfois même son érudution.

 

 

‘L’homme-océan’ y a consacré de nombreuses pages aux bêtes, leurs variétés, leurs caractères, leurs destins.

Pour Darwin la science, pour Hugo la poésie.

Jeanne Hugo (29 septembre 1869 à Bruxelles - 30 novembre 1941 à Paris) épousera d’abord le fils peu aimable d’Alphonse Daudet, puis M. Charcot, puis M. Negroponte. Héritière, elle donnera Hauteville House, la superbe maison familiale de Guernesey, à la ville de Paris, qui la protège depuis lors et la valorise comme musée.

 

N.B : " L'homme océan " : nous devons cette formule à Victor Hugo qui l'invente à l’occasion du jubilé de William Shakespeare pour désigner une lignée des génies qui ont fait les flux et les reflux de la pensée humaine; il y évoque égtalement Juvénal, Dante, saint Paul et l'on sent que c’est aussi son propre génie aux multiples facettes qu’il définit ainsi...
Une vidéo : de la chenille au papillon
 

À Jeanne

 

Je ne te cache pas que j'aime aussi les bêtes;

Cela t'amuse. et moi cela m'instruit; je sens

Que ce n'est pas pour rien qu'en ces farouches têtes

Dieu met le clair-obscur des grands bois frémissants.

 

Je suis le curieux qui, né pour croire et plaindre,

Sonde, en voyant l'aspic sous des roses rampant,

Les sombres lois qui font que la femme doit craindre

Le démon, quand la fleur n'a pas peur du serpent.

 

Pendant que nous donnons des ordres à la terre,

Rois copiant le singe et par lui copiés,

Doutant s'il est notre œuvre ou s'il est notre père,

Tout en bas, dans l'horreur fatale, sous nos pieds,

 

On ne sait quel noir monde étonné nous regarde

Et songe, et sous un joug, trop souvent odieux,

Nous courbons l'humble monstre et la brute hagarde

Qui, nous voyant démons, nous prennent pour des dieux.

 

Oh ! que d'étranges lois ! quel tragique mélange !

Voit-on le dernier fait, sait-on le dernier mot,

Quel spectre peut sortir de Vénus, et quel ange

Peut naître dans le ventre affreux de Béhémoth ?

 

Transfiguration ! mystère ! gouffre et cime!

L'âme rejettera le corps, sombre haillon;

La créature abjecte un jour sera sublime,

L'être qu'on hait chenille on l'aime papillon.

Translation: Copyright © Timothy Adès

To Jean

 

I like the wild beasts too, I won’t deny.

You they amuse, and me they edify.

It’s surely by design that God displayed,

In these fierce heads, the jungles’ light and shade.

 

Born to protest, to probe, and to believe,

I see the sneaking asp beneath the rose:

The flower fears not the serpent, but yet Eve

Must fear the fiend. I delve these sombre laws.

 

We give the earth our orders. We are kings,

Kings who ape monkeys, and are aped by them,

Be they our forebears or our crafted things.

Far down beneath our feet, in fateful gloom,

 

We, who some dark astonished world regards,

Have with our sometimes odious yoke subdued

The creeping monster and the haggard brute:

We are like fiends, they take us to be gods.

 

Strange laws and grim confusion! Has this earth

 Seen the last fact, observed the final truth?

Might Venus give new apparitions birth,

Angels yet spring from fearsome Behemoth?

 

Mystic transfiguring! Gulfs and pinnacles!

The soul discards the body’s dismal tatters.

Wretch made sublime! The same vile grub that crawls

Is the loved butterfly that freely flutters.

 


Jeanne Hugo (21 ans) photographiée par Grut (1890)
Maison de Victor Hugo - Hauteville House
CC0 Paris Musées / Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey


Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.

 

Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.

Timothy Adès | rhyming translator-poet

Écrire commentaire

Commentaires: 0