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" PARIS, SES MONUMENTS DRAPES DE SANG, SON CIEL ", par Jean Cassou / Timothy Adès

LE POST POETIQUE DU DIMANCHE DE TIMOTHY ADES


 

Un anniversaire !

Le Président Macron fait une visite à Londres ; nous reviennent en mémoire les grands discours de Charles de Gaulle et Winston Churchill, à Londres au mois de juin 1940.

Sur cette page du ‘PRé’ je vous ai présenté le 31 mai le poète Jean CASSOU, historien de l’art, résistant, prisonnier, qui composa dans la prison ses 33 Sonnets.

‘Il n’avait que la nuit pour encre, et le souvenir pour papier,’ comme l’a dit Louis Aragon.

Cela devint le début des Editions de Minuit..

 

 

 

Après avoir collaboré à des revues littéraires d’avant-garde – dont certaines qu’il a créées (Le Scarabée, Les Lettres parisiennes), il devient secrétaire de l’écrivain Pierre Louÿs et reçoit en 1921 la responsabilité de la chronique « Lettres espagnoles » au Mercure de France.

Il intégre à partir de 1922 le ministère de l’Éducation nationale et publie de nombreux articles sur l’art, sur la littérature hispanique, ainsi que ses premiers romans : Éloge de la folie en 1925, Les Harmonies viennoises en 1926. Il fait également paraître des traductions de l’espagnol, notamment les Nouvelles exemplaires de Cervantès, en 1928, aux éditions de la Pléiade de Jacques Schiffrin.

 

Membre du cabinet de Jean Zay en 1936-37 dans le gouvernement de Front populaire, il est rédacteur en chef de la revue Europe, et multiplie, après le coup d’État de Franco, les prises de position en faveur de l’Espagne républicaine. En 1938, Il est nommé conservateur-adjoint du musée du Luxembourg, poste dont il est révoqué par Vichy en septembre 1940. Jean Cassou co-fondate le réseau de résitance du Musée de l'Homme avec Agnès Humbert et d'autres, lequel groupe donnera deux de ses membres au Panthéon en Mai 2015 : Germaine Tillion et Pierre Brossolette.

En 1941, il gagne Toulouse, où il retrouve notamment son beau-frère, le philosophe Vladimir Jankélévitch, et poursuit ses activités dans la Résistance.

 

Ces trente-trois sonnets furent composés précisément entre décembre 1941 et février 1942, alors que Jean Cassou était emprisonné à la prison militaire de Furgol à Toulouse. Mis au secret, il y compose de tête 33 sonnets. Transféré au camp de Saint-Sulpice dans le Tarn, il est libéré en juin 1943 sur pression de la Résistance. il est envoyé par la ST au camp d'internement de Saint-Sulpice (Tarn). Sur injonction de la Résistance au directeur de la ST, il est libéré en juin 1943 et retrouve la Résistance comme inspecteur de la zone Sud. Il est également rédacteur des Cahiers de la Libération et Président du Comité régional de Libération de Toulouse. Le Gouvernement provisoire de la République française le nomme en juin 1944 Commissaire de la République de la région de Toulouse.

 

En 1945 Jean Cassou retrouve sa fonction de conservateur en chef des Musées nationaux et est nommé conservateur en chef du Musée national d'art moderne, poste qu'il occupe jusqu'en 1965. C'est lui qui créa la collection du Musée National d’Art Moderne. En 1971 il reçoit le Grand Prix national des lettres et en 1983 le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres pour l'ensemble de son œuvre. Il meurt le 16 janvier 1986 et est enterré au cimetière de Thiais (94).

 

Les poèmes retranscrits par leur auteur sont publiés clandestinement sous le pseudonyme de Jean Noir aux Editions de Minuit au printemps 1944. Louis Aragon en signe la préface (forte), sous le nom de François La Colère : 'Que la prison s'écroule, et ne lui survive que le chant ! Et ce chant, pour secret qu'il ne doit être, survivra certes à toutes nos prisons, comme, après le retrait d'une crue, demeurent ces inscriptions émouvantes dont les enfants étonnés frémissent, qui marquent un niveau jadis atteint et la date, cochés à l'étiage du grand drame français.'

 

Aujourd’hui, voici le Sonnet XXV :


Paris, ses monuments drapés de sang, son ciel

 

couleur aile d'avion, dans le soleil couchant,

 

j'ai tout revu, et j'entendais renaître un chant

 

lointain, pareil à une levée d'étincelles.

 

 

 

J'ai si longtemps aimé, il y a si longtemps,

 

cette ville dans une chambre aux murs de miel

 

et d'aube vieille, au plafond bas. Et dans le gel

 

du miroir pâle un fier visage méditant.

 

 

 

Et les meubles étaient d'acajou. Sur le marbre

 

une flûte. Par la vitre plombée, les arbres

 

- des marronniers - dessinaient leur feuillé, très vert.

 

 

 

Je sais: j'étais debout, près de cette fenêtre,

 

et les pavés retentissaient d'un bruit de fête,

 

une fête de tous les jours, comme la mer.

 

Paris, her blood-draped monuments, her sky

 

at sundown, aircraft-grey: all this again

 

I've seen, and heard a faraway refrain

 

coming to new birth, like the sparks that fly.

 

 

 

Paris, so long my love, so long ago,

 

inside a room, low-ceilinged, walls the shade

 

of honey and old dawn: pale frost displayed

 

my proud and pensive face, a mirror-show.

 

 

 

The furniture, mahogany; glass stood

 

on marble. Through the leaded light, the wood

 

and greenleaf pattern of a chestnut-tree.

 

 

 

I know: I stood beside that window, there.

 

The cobbles threw back noises of a fair,

 

a fair as plain and simple as the sea.

 


Translation: Copyright © Timothy Adès

33 Sonnets, Editions de Minuit, 1946

Le buste de Jean Cassou est situé Place de la Résistance à Toulouse, devant le Musée de la Résistance. Il a été sculpté par Madeleine Tèzenas du
Montcel.33 Sonnets of the Resistance by Jean Cassou (composed and memorised in a Vichy prison), translated by Timothy Adès, Arc Publications, second edition 2005 (equal first, BCLA/BCLT prize, 1996).
Parallel text, French / English
Introduction by Alistair Elliot with an original introduction by Louis Aragon.
An arduous task performed admirably well” — John Pilling

Les 33 Sonnets sont disponibles chez Collection Folioplus classiques (n° 298), Gallimard, Parution : 08-09-2016


Timothy Adès est poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.

 

Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.

 

Timothy Adès | rhyming translator-poet

www.timothyades.com

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Commentaires: 2
  • #1

    Timothy Adès (lundi, 22 juin 2020 11:22)

    Le Sonnet no. 3:
    (33 Sonnets Composés au Secret)

    Je m’égare par les pics neigeux que mon front
    recèle dans l’azur noir de son labyrinthe.
    Plus d’autre route à moi ne s’ouvre, vagabond
    enfoncé sous la voûte de sa propre plainte.

    Errer dans ce lacis et délirer! Ô saintes
    rêveries de la captivité. Les prisons
    sont en moi les prisonnières et dans l’empreinte
    de mes profonds miroirs se font et se défont.

    Je suis perdu si haut que l’on entend à peine
    mon sourd appel comme un chiffon du ciel qui traine.
    Mais là-bas, clair pays d’où montent les matins,

    dans ta prairie, Alice-Abeille, ma bergère,
    si quelque voix, tout bas, murmure « C’est ton père »,
    va-t’en vers la montagne et prends-moi par la main.


    Sonnet 3

    I roam white peaks that my conniving brow
    embezzles in its labyrinth’s black sky.
    No other road is open to me now,
    a tramp thrust deep inside my own sad cry.

    Blest prison-dreams! To wander in this maze:
    to rave. Jails are the jailbirds I contain.
    In my deep mirrors where each image stays,
    they come and go, form and dissolve again.

    I’m lost so high up that my muffled call,
    trailed rag of cloud, is hardly audible.
    Below, where dawn breaks on the shining land,

    my sheepgirl in your meadow, Alice-Bee,
    if a voice says ‘Your father’ quietly,
    go to the mountainside and take my hand.

  • #2

    Dominique Lévèque (lundi, 22 juin 2020 12:55)

    Merci Tim pour ce cadeau supplémentaire !