Quand on habite à Paris, il ne faut pas hésiter à pousser les portes.
Je ne parle pas des portes du pouvoir ou de la célébrité, mais des portes plus simples des immeubles aux façades sévères. Elles réservent parfois de jolies surprises. L'on y découvre des jardins, des cours pavées de province, trois figuiers qui font la ronde, un puits bordé de cymbalaires, ou, comme au n°3 de la rue des Grands-Augustins, des plaques (bénis soient les poseurs de plaques qui nous rendent moins ignorants). La première plaque indique une "Librairie du Progrès". Tenue par Maurice de La Chastre (aussi connu sous le nom de Maurice Lachâtre), cette librairie historique est célèbre pour avoir édité le premier volume du "Capital" de Karl Marx, en 1882.
De l'autre côté, une autre plaque indique que "dans cette maison vécurent Robert et Sonia Delaunay qui hébergèrent Guillaume Apollinaire". Mon cœur palpite. Le poète a foulé ces pavés, gravi ses marches ? Pourquoi diable logeait-il ici ?
Parce qu'en 1911, lui et Pablo Picasso furent soupçonnés d'être les Arsène Lupin qui avaient dérobé La Joconde au Musée du Louvre. Pour comprendre pourquoi les 70 limiers de la police mis sur l'affaire les ont cru coupables, il faut s'intéresser à un certain Géry Pierret, ex-joueur de billard belge devenu le secrétaire d'Apollinaire. En 1907, celui-ci propose à son patron des statuettes phéniciennes, sorties de nulle part, pour une bouchée de pain. Apollinaire les revend à Picasso, qui s'en inspirera pour ses Demoiselles d'Avignon.
Picasso et Apollinaire sont incarcérés en 1911, libérés après six jours et six nuits à la Santé, et Guillaume Apollinaire, passablement secoué par cette expérience, se refugia chez ses amis Delaunay.
C'est Apollinaire qui baptisa du nom d'orphisme la peinture de la belle Sonia Delaunay, lui encore qui lui présenta Blaise Cendrars, pour lequel elle réalisa une reliure peinte de La Prose du Transsibérien...
Et en 1937, c'est dans cette même rue des Grands-Augustins, sur ce même trottoir, mais au n°5-7, que Picasso installa son atelier.
Paris est vraiment tout petit pour les gens qui s'aiment...
Stéphanie Mesnier-Angeli est journaliste (Canard Enchaîné), écrivain et romancière.
Auteur entre autres de Barnabé - Le Roman d'un chat (Librinova, 2021), Tueuses mais pas trop (Fayard, 2015).
Egalement co-auteur de livres politiques (avec Claude Angeli): Les Micros du Canard (Les Arènes, 2014), En basse campagne (Grasset, 2002), Chirac, père et fille (Grasset, 2000), Fort Chirac (Grasset, 1999), Sale Temps pour la République (Grasset, 1997), Le Nid de serpents: bataille pour l'Elysée 1993-1995 (Grasset, 1995), Notre allié Saddam (Orban, 1992).
Stéphanie Mesnier-Angeli est une contributrice du PRé et livre gracieusement une Revue de presse depuis septembre 2024 tous les lundis et vendredis.
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