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LES "NOURRIS", par Elisabeth Antébi, écrivain


Elisabeth ANTEBI, écrivain, artiste de théâtre, historienne, qui fut journaliste magazines & télévision et enseignante, pétrie d'humanité - qui regrette que l'on en fasse plus guère (d'Humanités) - passionnée de sciences, s'intéresse depuis longtemps à la lexicologie et nous propose cet été de revisiter sa chronique "Génie de la Langue" écrite voilà une dizaine d'année.

Aujourd'hui un article sur les "jeunes" et l'éducation. Où l'on voit au passage que les mots questionnés et leurs enjeux n'ont rien perdu de leur pertinence et dont le fond, « en ces temps faiblards et lit-de-procustéens* »,  prête toujours autant à la réflexion...

 

*Dans la mythologie grecque, le "Lit de Procuste", désigne celui « sur lequel le brigand de ce nom étendait ses victimes, mutilant leurs membres lorsque le lit était trop petit, les étirant lorsqu’il était trop grand. Fig. Se dit de ce qui, par sa rigidité, son inadéquation, entrave la liberté d’action ou de création. Réduire ainsi mon manuscrit, c’est le mettre sur le lit de Procuste.» (Académie Française)


 

  

Education, émigration, économie, identité, valeurs communes : les débats récents nous paraissent tout droit sortis de Lycurgue (IXè-VIIIè siècle av. J-C) ou d'Isocrate (426-338 av. J-C).

Qu'est-ce que ces pépés, vieux de voilà vingt-cinq ou vingt-six siècles, ont à voir avec nous ?

Beaucoup.

 

 

 

 

 

Lycurgue présente aux Lacédémoniens l'héritier du trône,

Abel de Pujol (1787-1861), Musée de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts

 

Voilà 2.500 ans, l'avocat Isocrate prêche l'union des Hellènes contre les "Barbares", alias les Perses - Iraniens d'aujourd'hui.

Ces Barbares, comme chacun sait, ne sont pas pour les Grecs des sauvages, mais bien des gens qui ne parlent pas comme eux, bégaient "bar bar bar" : dont Isocrate sait qu'ils appartiennent à l'un des grands empires du monde. Avec cette différence qu'ils se soumettent non pas à la loi, mais à la tyrannie d'un roi, Xerxès, qui ordonne de fouetter la mer quand la tempête rompt le pont des bateaux permettant de passer les Dardanelles (1).

Mais Isocrate précise qu'il suffit au « barbare » de remplir une seule condition pour partager l'identité grecque : "Nous employons le nom des Grecs non comme celui de la race mais comme celui de la culture.

Et nous appelons Grecs plutôt les gens qui participent à la même éducation que ceux qui ont la même origine que nous". (Panégyrique, 50). Message qui peut aujourd'hui encore prêter à méditer.

 

Métèques, oikos, économie

 

On reproche aux Grecs d'avoir inventé le "métèque". Or, s'il y avait bien un statut (fiscal en grande partie) de métèque, la connotation péjorative du mot est récente (XIXè siècle). Les métèques étaient souvent fort influents et intégrés à la société, comme l'orateur Lysias, fils d'un fabricant d'armes venu de Syracuse, ou Aspasie de Milet, égérie de Périclès.

Les métèques ou met-oikoi sont « ceux qui sont avec la maison » et contribuent au bien commun. Car oikos veut dire à la fois Maison mais aussi biens et habitat et a donné "écologie" (science de l'habitat) et « économie » ou loi qui régit la maison. Le panier de la ménagère à l'origine des problèmes boursiers ?

A Sparte, on appelle trophimoi les enfants des « périèques » - peri-oikoi "gens du pourtour".

 

Education, zone d'influence ?

 

Ces trophimoi, ce sont littéralement les jeunes gens étrangers nourris de la même manne éducative qu'un Spartiate. Une fois leur éducation accomplie, ils ne peuvent rester qu'en contingent très limité, encouragés qu'ils sont à repartir dans leur région d'origine pour élargir l'influence de Sparte et y semer les graines d'une éducation d'homme libre, qui profite ainsi à tout le monde.

Ce serait le législateur mythique Lycurgue (IXè-VIIIè siècle av. J-C) qui en aurait institué le principe. Assez actuel si l'on considère les débats autour des étudiants étrangers d'aujourd'hui.

Un drôle de coco ce Lycurgue qui s'élevait déjà contre la thésaurisation en remplaçant or et argent par une monnaie de fer frottée au vinaigre qui cassait très vite. Une autre manière de casser la spéculation !

 

N.B : cet article a été initialement publié par Elisabeth Antébi dans "Le Petit Journal" (www.lepetitjournal.com/cologne) le 20-11-2011 dans le cadre de sa chronique "Génie de la Langue".

 

(1) Cf. Eschyle Les Perses, et Xénophon Anabase

 


1- Ave Lucifer, sur le Diable en Occident, Elisabeth Antébi ( Calmann Lévy, 1970 et collection de poche "J'ai lu") / 2- Les Filles de Madame Claude, Elisabeth Antébi, Anne Florentin (Stock Juilliard, 1974, France Loisir puis livre de Poche) / 3- Les Jésuites ou la gloire de Dieu, François Lebrun et Elizabeth Antébi  (Antébi & Stock, 1990) / 4- L'Homme du Sérail ( Nil, 1996) / 5- Les Missionnaires juifs de la France (Calmann Lévy, 1999) / 6- Edmond de Rothshild (Rocher, 2003) / 7- Le Burn out à l'hôpital, Pierre Canouï, Aline Mauranges, Elizabeth Antébi (Masson, 2015) / 8- La Chatte à puces (Maia, 2020)


Spécialiste de l'image et de l'écrit, passionnée par la culture et les valeurs de notre héritage européen, par l'histoire qui permet de mieux envisager l'avenir, par la découverte de gens exceptionnels et humanistes, Elisabeth Antébi est historienne, docteur en histoire des religions, journaliste, écrivain, vulgarisatrice sciences et techniques et rédactrice-interprète de sketchs.

Elisabetth Antébi s'intéresse à l'écologie depuis les années 70 et s'y est même beaucoup investie. Elle a collaboré notamment avec la revue Sauvage. Elle a mené entre autres un entretien marquant avec Philip K. Dick, ce géant des livres de science fiction, hors norme de par les sujets abordés dans ses livres (auteur de plus d'une soixantaine de nouvelles et de nombreux romans dont certains ont été portés à l'écran comme "Blade Runner" ou "Total Recall").

A Dusseldorf, elle ouvre le Salon de Madame Verdurin/Vert du Rhin. Elisabeth Antébi n’aime rien tant que de donner des conférences, écrire des livres, des articles, tourner des vidéos, participer à des DVD interactifs, créer, monter, regrouper, écrire, écrire, écrire. Elle est sur tous les fronts. En 2005, elle crée et lance le premier Festival Européen de Latin et de Grec avec Jacques Lacarrière et l'aide de Jacqueline de Romilly. Elisabeth Antébi retourne depuis quelques années au théâtre, une passion de jeunesse, et a donné en 2020 un "Seule en Scène" brillant et très humoristique consacré à l'impact des nouvelles technologies sur notre vie - amour, famille...

Elisabeth Antébi est membre du conseil scientifique du PRé.

 

Dernier livre paru :

- La Chatte à Puces au Village des Livres (éd. Maia, 2020)

 

Dernières contributions d'Elisabeth Antébi :

https://www.pourunerepubliqueecologique.org/2023/07/15/l-obscene-par-elisabeth-antébi-écrivain/

 

https://www.pourunerepubliqueecologique.org/2022/06/14/j-ai-vu-naitre-l-art-du-fake-par-elisabeth-antébi/

https://antebiel.com/

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