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LES PAPILLONS (II), par Gérard de Nerval / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


Les Papillons de Gérard de Nerval, lithographie de Christian Sorg (né en 1941), MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève. Don de Remy Maure, 2020

    Nous revoici donc en compagnie de Gérard de NERVAL (Gérard Labrunie) pour la deuxième partie de son poème Les Papillons. En 1853, Nerval insère dans les proses de ses Petits Châteaux de Bohème, publié chez Eugène Didier, une quinzaine de courts poèmes, à l'exception notable de Les Papillons ( l'un des poèmes les plus longs que je connaisse !) écrit en 1830 (Mercure de France au XIXième siècle), et témoignant d'un ton et d'un style qui persisteront jusqu'aux Chimères. Sous le titre d'Odelettes (publié la première fois en 1831 dans l'Almanach des muses de 1832, en 1834 dans Les Annales romantiques, puis sous forme de recueil en 1853, deux ans avant sa mort, année où est publié pour la première fois le fameux Sylvie, Souvenirs du Valois, à La revue des Deux Mondes).

En cette même année 1830, Nerval publie (sous la signature de Gérard) un premier volume de Poésies allemandes dans la collection de la Bibliothèque choisie de Laurentie. Il participe le 25 février à la bataille d’Hernani, et en juillet aux Trois Glorieuses (Le Peuple, et Les Doctrinaires, odes à la gloire des insurgés de juillet). Et il publie en octobre un Choix de Poésies de Ronsard, du Bellay, Baïf, Belleau, du Bartas, Chassignet, Desportes, Régnier dans la même collection que les Poésies allemandes.

LES PAPILLONS (II)

 

Comme un éventail de soie,

Il déploie

Son manteau semé d’argent;

Et sa robe bigarrée

Est dorée

D’un or verdâtre et changeant.

Voici le Machaon–zèbre,

De fauve et de noir rayé;

Le Deuil, en habit funèbre,

Et le Miroir bleu strié;

Voici l’Argus, feuille–morte,

Le Morio, le grand–bleu,

Et le Paon–de–jour qui porte

Sur chaque aile un œil de feu !

*

Mais le soir brunit nos plaines;

Les phalènes

Prennent leur essor bruyant,

Et les sphinx aux couleurs sombres,

Dans les ombres

Voltigent en tournoyant.

C’est le Grand-paon à l’œil rose

Dessiné sur un fond gris,

Qui ne vole qu’à nuit close,

Comme les chauves–souris;

Le Bombice du troëne,

Rayé de jaune et de vert,

Et le Papillon du chêne

Qui ne meurt pas en hiver !

Voici le Sphinx à la tête

De squelette,

Peinte en blanc sur un fond noir,

Que le villageois redoute,

Sur la route,

De voir voltiger le soir.

Je hais aussi les Phalènes,

Sombres, hôtes de la nuit,

Qui voltigent dans nos plaines

De sept heures à minuit;

Mais vous, papillons que j’aime,

Légers papillons du jour,

Tout en vous est un emblème

De poésie et d’amour !

 

BUTTERFLIES (II)

 

He spreads like silken fan

His mantle silver–sewn :

With shifting gold

And emerald

He gilds his motley gown.

Zebra stripe of Swallowtail,

Black and tawny–yellow hue;

Marbled White, black–draped and pale,

Chequered Skipper, streaked with blue;

Argus, dead leaf; Camberwell

Beauty; Large Blue — rare, so rare;

And the Peacock, brandishing,

On each wing,

Eye of fire !

*

Brown our fields, at fall of night.

See the Moths’

Noisy flight:

First a dusky Sphinx, in shade,

Twists and turns his escapade.

Here comes the Great Peacock Moth,

Pink eyes on a grey back–cloth :

Like the bats, the flittermice,

It’s at nightfall that he flies.

Privet Hawk–Moth, funny fellow,

Stripes on grub of green and yellow;

While the Oak Procession Moth

Laughs at winter, cheating death.

There’s a Sphinx displays a skull,

White on black, piratical :

In the byways he appals

Villagers, as evening falls.

Moths, grim guests of night, I hate :

Which in our fields gyrate

From seven till too late.

But, my precious Butterflies,

Fluttering in daylight skies,

You are all a symbol of

Poetry, a pledge of love.

Copyright © Timothy Adès


Papillon Machaon-zèbre, Swallowtail / Papillon Argus,Argus / Papillon Morio, Camberwell Beauty / Phalène (du bouleau), Birch Moth / Papillon Grand Paon, Great Peacock Moth / Papillon Bombice, Privet Hawk-Moth / Papillon du chêne, Oak Procession Moth [chenille: caterpillar] / Papillon Sphinx, Sphinx [crâne]


Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, de Federico García Lorca, d'Alberto Arvelo Torrealba, d'Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end).

Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.

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