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FLAMBART TIRE SA REVERENCE, par Dominique Lévèque

LE COMEDIEN MARC DUDICOURT EST MORT


Un ami du PRé, le comédien Marc Dudicourt, s'en est allé. Egalement un ami personnel qui n'avait de cesse de m'interroger ces derniers mois sur la folie du monde et des Hommes, l'état de la France et l'avancée de...la transition écologique. Me sollicitant, ces cinq dernières années, sur la pensée de Françoise d'Eaubonne, sur les écrits de l'ami Yves Paccalet dont il m'a signalé l'adaptation théâtrale de L'Humanité disparaîtra, bon débarras !, sur l'Humanité en péril, l'essai de la romancière Fred Vargas , et jusqu'aux thèses du collapsologue Pablo Servigne, dont il avait lu et gardait beaucoup de leurs ouvrages dans sa bibliothèque.


 

 

   Pendant près de 60 ans, il aura été un homme de spectacle. Et le théâtre, son terrain de jeu favori durant quelques 47 ans : il y aura servi les auteurs les plus exigeants, les plus méditatifs, les plus divertissants, les plus pasticheurs, les plus nonsens et les plus poétiques, d’Arthur Adamov à Shakespeare, en passant par Arrabal, Beaumarchais, Brecht, Cocteau, Courteline, Roland Dubillard, Alexandre Dumas, Feydeau, Dario Fo, Adolphe d’Ennery, Guy Foissy, Christopher Franck, Armand Gatti, Gogol, Goldoni, Jean-Claude Grumberg, Sacha Guitry, Victor Hugo, Ionesco, Ben Jonson, Labiche, Félicien Marceau, Marivaux, Molière, Marlowe, Arthur Miller, O’Neil, Pagnol, Planchon, Patrick Rambaud, Edmond Rostand, la Comtesse de Ségur, Peter Shaffer,…

Il eût pu intégrer la Maison de Molière. Il était capable d’être habité par tous les personnages.

 

 

 

Au Bistrot Le Tramway, Paris 15 - DL, 2019

 

Il a joué au cinéma de nombreux grands seconds rôles et est devenu populaire grâce à la télévision avec la série télévisée Les Nouvelles Aventures de Vidocq.

Le comédien chanteur Marc Dudicourt est mort, le 1er mai 2021, à l’âge de 88 ans. Une cérémonie funéraire a été organisée à Paris, quasi confidentiellement - Covid oblige - le mardi 18 mai, en l’église Saint Antoine de Padoue, puis au crématorium du Père Lachaise.

 

Par Dominique Lévèque

 

   Avec "Dudu", comme l’avaient surnommé ses camarades du théâtre à la suite de Pierre Santini, c’est un artiste aux talents protéiformes qui prend à son tour ses clics et ses claques et tire le rideau, sans doute pour ne pas laisser Claude Brasseur et Michel Robin (morts en nov. et déc. 2020) faire trop longtemps seuls le voyage. Et tant d’autres disparus intempestivement en 2020.

Acteur insaisissable, au jeu explosif, prodigieux d’animalité créatrice, il n’avait pas besoin de grimacer pour produire son effet.

Il avait, comme relevé par la dramaturge Jeannine Worms, des silences, des étonnements, des « naïvetés » très savantes, qui étaient de la meilleure efficacité comique.

Fasciné depuis son plus jeune âge par la lanterne magique, Il se donne au cinéma dans des films réalisés par Jean-Paul Rappeneau ou Edouard Molinaro, Philippe de Broca, Jean-Luc Godard, Louis Malle, Yves Robert, Joël Séria, Jacques Bral, Roman Polanski, Gérard Brach… où, grâce à sa maestria, il réussissait à donner de la densité à ses personnages, les plus secondaires étaient-ils, au point qu’ils en devenaient essentiels.

Il débute en 1962 dans El Otro Cristobal, un conte fantastique d’Armand Gatti dans lequel il interprète le dictateur "Anastasio", aux côtés de Jean Bouise et Bertina Acevedo, un film tourné à Cuba qui durera plus d’un an, en pleine affaire de crise des missiles entre la Russie et les Etats-Unis. Il a joué ensuite dans une quarantaine de films dont cinq réalisés par Philippe de Broca (le premier : Le Roi de cœur, 1966).

Le dictateur Anastasio dans El Otro Christobal d'Armand Gatti, 1963

Le petit écran lui apporte à partir de 1971 la célébrité et la popularité avec la série Les Nouvelles Aventures de Vidocq de Marcel Bluwal, qui fait un tabac dans les foyers, dans laquelle il interprète un inénarrable "Inspecteur Flambart", aux côtes de Pierre Brasseur dans le rôle-titre. C’est en 1963, qu’il y fait ses premiers pas, sous la direction de Georges Barrier, dans Le Grain de sel.

Il jouera dans une cinquantaine de productions, sous la direction, entre autres, de René Lucot, Jean le Poulain, Yves Boisset, Michel Boisrond, Jean-Pierre Decourt, Stellio Lorenzi, Jean-Michel Ribes, Nina Companeez ou encore Jacques Fansten et Francis Girod...

Les enfants de ceux de la génération des années 50 et 60 le découvrent à leur tour à la faveur de la réédition publique, en 2013, de la série par L’INA et surtout lors de la sortie en salles, en 2018, de L’Empereur de Paris réalisé par Jean-François Richet, avec Vincent Cassel, qui leur donnera envie d’aller voir les précédentes interprétations.

Mais c’est au théâtre qu’il aura son royaume. Il s’y voue entièrement et donne la pleine mesure de son talent sous la houlette des plus grands noms : André Barsacq, Peter Brook, Jean Dasté, Gabriel Garran, Armand Gatti, Hubert Gignoux, Roger Planchon, Jean Rougerie, Régis Santon, Jérôme Savary… Dans une soixantaine de pièces (hors les nombreuses pièces filmées d’Au Théâtre ce soir). Bertrand Tavernier dira de lui qu’il « a éclairé de son talent tant de textes, tant d’auteurs (" Bienheureux ami…") »

 

   Fils de Maurice Dudicourt qui, après Les Beaux-Arts, était devenu peintre décorateur, avant de bifurquer vers le dessin industriel, et de Suzanne Dégremont, sténodactylographe, il vient vivre à Paris avec sa famille en 1943. Il a onze ans et ses yeux brillent devant le cinéma en bois de Courbevoie. Il n’a jamais rêvé de devenir acteur. Il n’y a même jamais songé. Lui, ce qui le fascine, c'est Walt Disney et l’univers du dessin animé ; il commence à inventer des personnages et se destine à devenir dessinateur. Après trois mois passé aux Beaux-Arts, il apprend le dessin dans l’atelier du sculpteur Robert Coutin et se fait engager par le réalisateur et producteur de films d’animation Jean Image dans son atelier de production. Ce sont ses collègues, sous le charme de son caractère enjoué, facétieux, fantasque, qui le révèleront à lui-même et le pousseront à embrasser la comédie. « Avec la tête que tu as, tu devrais faire du cinéma » ne cessent-ils de lui répéter. Il décide alors de s’inscrire comme élève comédien à l'Ecole Charles Dullin qui a formé des générations d’artistes (cinéma, théâtre, danse, humour, mime…); il crée avec quelques camarades une petite troupe dénommée « La Jeune Scène ». Mais là, où il apprendra véritablement le métier, c’est au Théâtre national populaire (T.N.P), sous la régie de Jean Vilar (lui-même ancien élève de Charles Dullin), auréolé du succès croissant du Festival d’Avignon, aux côtés de Silvia Montfort, Georges Wilson, Gérard Philippe, Philippe Noiret, Monique Chaumette, Maria Casarès, Alain Cuny, etc.

En cette année 1952, il a vingt ans, et il lui est donné l’opportunité de figurer, puis de jouer, dans plusieurs pièces, notamment dans « Macbeth » et « Marie Tudor » ! Non sans quelques palpitations, mais il apprendra vite que chez le comédien, le trac est « nécessaire» ; plus tard, que la vanité est « obligée », à condition qu’elle soit « retenue, tempérée », comme pouvait l’enseigner Louis Jouvet, une des figures tutélaires de sa génération, avec Raimu et Michel Simon.

 

Planchon, son maître de théâtre

 

Il débute véritablement au théâtre en 1958, à La Comédie de l'Est, à Strasbourg, dirigée par Hubert Gignoux, arrivé un an auparavant, qui deviendra l’un des chefs de file du théâtre public; il est engagé à la faveur d’une réplique qu’il donne à l'un de ses jeunes camarades qui passe une audition. Il y joue "Lamme Goedzak", l’ami de Till, dans Les Aventures d’Ulenspiegel, Till l’Espliègle, chronique légendaire allemande (datée de 1519), d'après Charles De Coster, dans une mise en scène de René Jauneau; il sera également Tullius Rotondus, dans la comédie historique Romulus le Grand de Friedrich Dürrenmatt (Romulus der Grosse, 1949), mise en scène d’Hubert Gignoux. Il rejoint ensuite La Comédie de Saint Etienne dirigée par Jean Dasté, le pionnier en France de la sortie du théâtre hors des murs à partir de la fin des années 30. Il joue dans le Cercle de craie caucasien de Brecht.

   En 1959, il intègre la troupe de Roger Planchon, qui deviendra son maître de théâtre, au Théâtre de la Cité ouvrière de Villeurbanne (Théâtre de la Cité) où il participe à l’aventure en faveur du théâtre populaire ouvrant ainsi la voie à la décentralisation théâtrale. Il y interprète William Shakespeare (Falstaff et Henri IV); Alexandre Dumas (Les Trois Mousquetaires); Molière (Tartuffe, aux côtés notamment de Michel Auclair, Jacques Debary, Anouk Ferjac, Pierre Santini, Françoise Seigner, également joué au Théâtre de l’Odéon, puis au Festival d’Avignon); jouant parfois plusieurs personnages, comme chez Nicolas Gogol (Les Âmes mortes, adaptées par Arthur Adamov) où il sera tête d’affiche avec Alain Mottet; Brecht (Schweik dans la Seconde Guerre mondiale), Christopher Marlowe (Édouard II); Goldoni; Planchon lui-même dans sa première pièce (La Remise)…

Il dira de ces six années de formation intense: "Chez Planchon j'ai tout appris... J'en faisais beaucoup trop. Il m'enseigna la rigueur, la discipline, le sans bavure. Je suis resté six ans dans sa troupe. Six années exaltantes." (Cf. entretien Danièle Sommer Télé 7 jours, 1971). C’est le temps où se tissent des affinités électives avec ses camarades Pierre Santini, Jean Bouise, Julia Dancourt, Colette Dompietrini, Jean Lescot, Claude Lochy, Pierre Meyrand, Michel Robin, Isabelle Sadoyan, Françoise Seigner, Georges Staquet… C’est aussi l’époque où, avec Pierre Santini, il passe ses soirées à écouter - et à imiter ! - Raimu, sur les 33 tours de la trilogie de Pagnol, l’un de leurs maîtres avec Louis Jouvet et Michel Simon.

 

Pendant qu’il interprète Edouard II, on lui offre en 1963 de reprendre le rôle du Vicaire dans Le Vicaire de Rolf Hochhuth, aux côtés de Michel Piccoli, dans une mise en scène de François Darbon et une adaptation scénique de Peter Brook (Théâtre de l'Athénée) qui fit scandale en 1964. Ensuite, tout s’enchaîne : La Vie imaginaire de l’éboueur Auguste Geai d’Armand Gatti, dans une mise en scène de Jacques Rosner (Théâtre de l’Odéon, 1964) ; La Mort d'un commis voyageur d'Arthur Miller, dans une mise scène très remarquée de Gabriel Garran, avec Claude Dauphin (théâtre de la Commune d'Aubervilliers, 1965); George Dandin de Molière, aux côtés de Gérard Darrieu, Danièle Lebrun et Michel Robin, mise en scène Stephan Meldegg (Théâtre de l’Athénée, 1965-66), également mis en scène par Planchon en 1958, repris en 1966 puis en 1968; La Princesse et la communiante d'Arrabal, mise en scène de Jorge Savelli (Théâtre de poche Montparnasse, 1966), Leçons de français pour Américains, La Jeune Fille à marier, et Au pied du mur d'Eugène Ionesco, mise en scène Antoine Bourseiller (Théâtre de Poche Montparnasse, 1966); Les trois Sœurs de Tchékhov, mise en scène d’André Barsacq, aux côtés des soeurs Poliakoff, Marina Vlady, Odile Versois et Hélène Vallier (théâtre Hébertot,1966), qui connut un très grand succès; L'instruction - oratorio en onze chants - de Peter Weiss, mis en scène de Gabriel Garran (théâtre de la Commune d’Aubervilliers,1966), aux côtés de Pierre Dac et René Farabet; Le Marchand de glace est passé d'Eugène O'Neill, sous la direction une nouvelle fois de Gabriel Garran (théâtre de la Commune, 1967).

En 1969, il joue dans Le vison voyageur de Ray Cooney, mise en scène de Jacques Sereys, avec Poiret et Serrault (théâtre du Gymnase). Puis, notamment, dans le réjouissant Le gobe-douille (1970) - titre d’un sketch désopilant des « Diablogues » de Roland Dubillard (écrit par Roland Dubillard, Guy Foissy, Christopher Franck et Jean-Claude Grumberg); La Jeune fille à marier dans une mise en scène de Jacques Mauclair (The Barbizon Plazza Theater à New-York, 1970) dont le New-York Times soulignera le jeu de « Marc Dudicourt whose bulging eyes and quivering self-importance turned an amusing scene into a comic gem ».

Dans Frégoli (Bernard Haller et Patrick Rambaud) - Jérôme Savary, 1991

En 1970, il joue dans une pièce radiophonique policière proposée et réalisée par Pierre Billard, Bonsoir Léon, d'après un texte de Jean Cosmos, aux côtés de Georges Geret; cette dramatique sera reprise et filmée pour la télévision en 1971; il poursuit dans After-show du même Dubillard, mise en scène de Jacques Seiler (1971); La main passe de Feydeau, mise en scène de Pierre Mondy (1971); Un yaourt pour deux (The Starving Price) de Stanley Price, mise en scène Michel Roux, avec Francis Blanche, Michel Roux et Jacques Balutin (1972); Balzac de Félicien Marceau ; Le Tube de Françoise Dorin, mise en scène François Périer (1974); Les Secrets de la Comédie humaine de Félicien Marceau où il joue Balzac (1975) ; Par-delà les marronniers de Jean-Michel Ribes (1976); L'eau en poudre de Roland Dubillard, mise en scène de Jacques Seiler (1978), qui lui fera rencontrer un public plus jeune; L’Enterrement du Patron de Dario Fo, mise en scène de Mehmet Ulusoy (1978-79) ; Les fiancés de Loches de Feydeau, mise en scène Jean-Paul Farré (1981); Amadeus de Peter Schaffer, mise en scène de Roman Polanski (1982); Les marchands de gloire de Pagnol, mise en scène Jean Rougerie (1984); Le veilleur de nuit de Sacha Guitry, mise en scène Jacques Nerson (1986) dont Le Monde dira (sous la plume de Michel Cournot) que « Marc Dudicourt est subtil et très émouvant dans le rôle de l'homme de sciences »; Double mixte de Ray Cooney, mise en scène Pierre Mondy (1986); Un chapeau de paille d'Italie de Labiche, mise en scène de Jean-Paul Lucet (1989);

le remarquable Fregoli de Patrick Rambaud et Bernard Haller, mise en scène Jérôme Savary (1991), avec Bernard Haller ; Lundi 8 heures (Dinner at eight), d’après George S. Kaufman et Edna Ferber, mise en scène de Régis Santon, La Mégère apprivoisée de Molière, mise en scène de Jérôme Savary (1993), etc.

 

Schimmelbeck !

 

   Au cinéma, il est appelé notamment dans La vie de château (1966) pour jouer "Schimmelbeck" (qui deviendra ensuite comme un gimmick, une sorte de cri de ralliement entre Santini et Dudicourt) ; Les Mariés de l'an II (1971), premier et deuxième film de Jean-Paul Rappeneau; Le roi de cœur (1966) ; Les caprices de Marie (1970); l'Incorrigible (1975) ; On a volé la cuisse de Jupiter (1980) de Philippe de Broca où Dudicourt se livre à un excellent numéro parodique qui surpasserait presque ceux d'Annie Girardot, Philippe Noiret, Francis Perrin et Catherine Alric, drôles, mais plus attendus ; Made in USA de Jean-Luc Godard (1967); Le Voleur de Louis Malle (1967); Alexandre le bienheureux d'Yves Robert (1968); Mais ne nous délivrez pas du mal de Joël Séria (1972) qui fut un temps interdit par la censure; Boulevard du rhum de Robert Enrico (1971); Un nuage entre les dents de Marco Pico (1974); Sérieux comme le plaisir de Robert Benayoun (1975); Polar de Jacques Bral (1984); Nuit d'ivresse de Bernard Nauer (1986); Frantic de Roman Polanski (1988)...

A la télévision, son premier rôle sera en 1963 dans Le Grain de sel de Georges Barrier, ancien assistant de Roger Planchon, sur un scénario du journaliste Henri Lapierre, auteur de pièces policières pour la radio et futur auteur de romans policiers. Il est l'inoubliable inspecteur principal Flambart dans la série très populaire Les Nouvelles Aventures de Vidocq (1971-1973) de Marcel Bluwal (adaptation, scénario et dialogues de Georges Neveux, Pierre Nivollet et Jean Boyer), que l’on reconnaissait au générique grâce au clavecin de Jacques Loussier, aux côtés de Claude Brasseur et Danièle Lebrun. Un Flambart qui ne digère pas qu’un ancien bagnard soit intégré à la direction de la Sûreté parisienne, qui plus est comme son chef dont il est l'adjoint : « Alors, c’est avec des charlatans, des faux aveugles, et des acrobates que nous allons faire la police, maintenant ?! ». Il finira, envieux, par en convenir : « Vous êtes trop fort pour moi ». Un rôle dans lequel il succède à Alain Mottet dans la précédente série Vidocq du même Bluwal; un rôle qui lui collera à la peau, le fixera dans le regard des gens comme dans un plan fixe, mais dont il s’accommodera, non sans avoir fait cependant le choix de refuser une comédie musicale au Théâtre Marigny que Robert Manuel lui proposera pour un nouveau Vidocq...

   On se souvient aussi de lui dans La vie et la passion de Dodin-Bouffant de Marcel Rouff, réalisé par Edmond Tyborowski (1972), où il interprète le bourgeois épicurien, ami de Curnonsky; Les Folies Offenbach de Michel Boisrond (1977-1978), aux côtés de Michel Serrault, Evelyne Buyle, Jean-Pierre Darras, Claude Piéplu…; Emile Zola ou la conscience humaine de Stellio Lorenzi (1978), dans lequel il incarne le Président Millerand, aux côtés de Jean Topart, François Chaumette… ; Thérèse Humbert de Marcel Bluwal, sur un scénario de Jean-Claude Grumberg (1983), aux côtés de Simone Signoret; également dans les dramatiques d'Yves Boisset, Pierre Cavassilas, Jean-Marie Coldefy, Jean-Pierre Decourt, Maurice Frydland, Abder Isker, René Lucot, Jean Prat ; dans la série Palace de Jean-Michel Ribes; dans Patron sur mesure de Stéphane Clavier; Signé Picpus (un épisode des Enquêtes du commissaire Maigret) de Jacques Fansten. Sans compter les nombreuses pièces de " Au théâtre ce soir " de Pierre Sabbagh.

 

De gauche à droite : Marc Dudicourt, Claude Brasseur, Michel Robin (Les Nouvelles Aventures de Vidocq)

 

" Prestigieux interprète du tragique comme du rire, en chaque personnage, il met à vif la personne et nous touche infiniment " (Andrée Chédid)

 

   Marc Dudicourt n’a jamais fait de plan de carrière, n’était pas du genre à intriguer pour avoir un rôle, pas davantage il ne s’appliquait à cultiver ses relations professionnelles et goûtait peu les soirées de bamboche conventionnelles. Il était soucieux de sa liberté. Cela l’a amené parfois à décliner des offres qui n’étaient pas sans intérêt. Il lui est arrivé, ces dernières années, de regretter certains choix, lorsque, faisant défiler le kaléidoscope de sa vie, il se demandait s’il ne s’était pas trompé : ainsi, lorsqu’il lui fut proposé d’entrer par deux fois à La Comédie Française, et qu’il refusa. Par « connerie », comme il le disait lui-même, par singularisme, méfiance excessive de soi-même ou excès de modestie, souci de rester libre et indépendant, il ne le savait pas vraiment lui-même. La fois où il avait fini par accepter, ce fut lorsque Jean Le Poulain, alors administrateur général, le lui proposa, mais l’ironie du sort voulut que ce dernier mourut dans le même temps, de sorte que l’affaire ne s’est jamais faite. Il se demanda longtemps s’il n’avait pas manqué et de raison et d’instinct sur cet épisode de sa « carrière ». Et pourtant de l’instinct, il n’en manquait pas. Il était un homme du moment, de l’instant, qui arrivait à créer une émotion intense, mais qui ne s’était jamais véritablement projeté dans l’avenir.

   Il faut dire aussi que Marc Dudicourt n’était pas du genre réservé, « mousse et pampre » comme faisait dire Audiard à Bernard Blier dans Les Tontons (Flingueurs): Il lui arrivait de faire des faux-pas, voire d’être grossier, plus souvent qu’il ne l’aurait voulu, surtout ces dernières années tant il souffrait de se voir perdre en autonomie. Il était surtout ce que l’on peut appeler une nature. Certains diront : « un phénomène » ! Généreux dans ses accès d’amitié, d’affection et de tendresse, comme dans l’amour de son métier, il savait l’être aussi dans ses accès de colère homérique, réelle ou de composition. Son tempérament éruptif qui pouvait le faire passer du plus charmant au plus odieux, constitue un des souvenirs marquants de ceux qui l’ont approché de près, même s’ils ne veulent retenir aujourd’hui que le meilleur de lui. L’un de ses proches se souvient de la grosse contrariété, très légitime, que lui avait causé en 2014 le fait de découvrir que son nom avait été caviardé de la distribution originale de la série TV Les Nouvelles Aventures de Vidocq sur la jaquette d’un coffret DVD réédité, alors qu’il avait toujours figuré au générique, aux côtés de ceux de Claude Brasseur et Danièle Lebrun, que ce soit à la télévision, sur les affiches promotionnelles ou sur les cassettes VHS…

 

   Il aima intensément la vie, comme il aima la scène. Il en était gourmand. Excessivement.

Il parlait haut et fort. Rien ni personne ne pouvait le décourager ni l’affaiblir. La défaite, comme la carrière, est un mot qui ne faisait pas partie de sa partition lexicale. Il envoûtait, il rugissait, il explosait, il vitupérait, mais il sensualisait aussi. C’était dans la vie un être hyper sensible derrière le masque comique de façade. Il pouvait faire aussi peur qu’il fascinait. Il restait attachant. Exigeant en amitié, mais généreux, séducteur, mais attentionné, quelquefois féroce dans ses relations féminines, il méprisait par-dessus tout, les relations superficielles. Les femmes, à qui il doit beaucoup, lui instillèrent le doux sentiment de l’amour et du désir, le firent se tenir debout quand parfois il pouvait douter et que la vie le laissait pantois. Curieux de l’utopie fouriériste, il eût pu avoir un phalanstère amoureux. Il n’en aima jamais qu’une seule à la fois. Il essaya. Il fut aimé ou envisagé par un certain nombre, ce qui est un peu différent. Il aima les regarder, comme des œuvres d’art, « comme un paysage, avec du rêve, du rêve à soi ». Il s’en trouva une qu’il rencontra en 1969, devint sa compagne au long court, et avec laquelle il vécut une vie de couple jusqu’à ce qu’un soir d’hiver, un 31 décembre 2003, la lui enlève : Marthe Nochy. Proche amie de l’écrivain poétesse Andrée Chédid, Marthe était libraire de l’Unesco et s’était spécialisée dans l’organisation de « Musées des Musées » ; elle dirigea la Librairie de Seine qui faisait également galerie d’art, au cœur du Paris artistique de Paris (93, rue de Seine), à Saint-Germain-des-Prés, un lieu vivant où elle proposait à des artistes, des peintres notamment, d’exposer (c’est à elle que l’on doit la première exposition à l’époque des tableaux du romancier anglais Lawrence Durrell). C’est aussi de là que partirent, sous son impulsion, vers les pays les plus divers, des ensembles artistiques qui avaient l’ambition d’initier un mouvement d’éducation artistique à travers le monde. Le poète colombien Eduardo Caballero Calderon fut ainsi à l’origine du premier Musée des Musées d’Amérique latine.

Marthe Nochy fut tout à la fois son amour, son port d’attache, son point d’ancrage, ainsi que celle qui le soulagera accessoirement des contraintes domestiques, et l’assistera dans ses formalités administratives et fiscales.

 

Andrée Chédid dira de Marc Dudicourt, sans doute dans l’un des hommages de son vivant les plus justes, les plus beaux : « Marc Dudicourt, c’est la vie, c’est le théâtre, à plein bras, à plein souffle. C’est aussi la fibre la plus fine, la plus sensible, tendue entre la scène et le spectateur. Prestigieux interprète du tragique comme du rire, en chaque personnage, il met à vif la personne et nous touche infiniment. »

 

 

Gourmand et gastrosophe

 

   Marc Dudicourt fut époustouflant, comme dans la série de sketches délirants l’Eau en poudre de Roland Dubillard, délicieusement absurde, nonsense, aux côtés de Jacques Seiler, auquel le public fit un triomphe. Il arriva même que payant les pots cassés d’une mise en scène faiblarde, comme dans Amadeus de Polanski, dont l’exigeant critique dramatique Michel Cournot, dans un article vachard du Monde intitulé « Un blanc à remplir », dézinguant la pièce, la prestation de Polanski et de François Perrier, il récolta malgré tout un compliment en creux : « D'habitude, il est très bien Dudicourt, parfois même c'est lui le meilleur… ». En tous les cas, Dudicourt était souvent remarquable d’émotion, superbe de fragilité, comme dans Le Veilleur de nuit de Guitry. Gourmand et très souvent juste dans son jeu. Diablement drôle, comme, entre mille autres, dans Bonne chance Denis de Michel Duran. Il fut tout cela et plus encore. « Gourmand et gourmet », tel qu’il se définissait lui-même, il le fut sur la scène comme dans la vie, comme dans La vie et la passion de Dodin-Bouffant d’après Marcel Rouff réalisé par d’Edmond Tiborovski, où il campa un magistrat gastronome, un poète, un esthète de l’art culinaire, un apôtre du bien manger, un disciple du goût, un fustigeur des gâte-sauces, un philosophe qui épouse sa cuisinière de peur qu’elle ne parte mitonner pour un autre ! Stupéfiant de naturel. Un personnage dont il dira qu’il était très proche de lui.

Marc Dudicourt était inénarrable,  un être amoureux du métier, capable de surprendre par ses flamboyances. Il savait vivre, faire la fête, hors les murs de son milieu, savait déconner, savait rire, tout en étant rigoureux professionnellement.

A propos d’Un chapeau de paille en Italie de Labiche, dans lequel il jouait "Nonancourt", Jean-Michel Ribes disant à son propos qu’il était « l’acteur idéal » pour la pièce, ajoutait que du chapeau, Marc Dudicourt « a la majesté, le charme feutré, la forme souple et, lorsqu’on le porte de côté, la drôlerie » ; de la paille, « la passion avec laquelle elle prend feu, le bonheur qu’elle donne quand on la tire courte et son don de garder le soleil de l’été » ; et de l’Italie, « en a d’abord l’arte de la comédia, la saveur des pâtes fraîches et le sourire gourmand de ses empereurs ».

 

Il était pareillement l’ami idéal. Très attaché à la qualité des relations interpersonnelles. Comme à celle des nourritures terrestres et spirituelles., ce qui en faisait un compagnon de table, un partenaire de conversation tout aussi idéal. Membre de la Confrérie de la Tête de veau, il avait son circuit, ses tables préférées *. Sociétaire des Ateliers du Mardi, un club de gastrosophie pratique (il y était "Marco"), conjuguant pratique culinaire et pratique philosophico-poétique, il dégustait, plus qu’il ne concoctait en brigade, mais il affectionnait ces moments de partage, de convivialité, de déconnade joyeuse, mais aussi de poésie; il devisait avec ses compagnons sur « la philosophie des restes » de sa mère et de sa grand-mère, rêvant d’un « maître cuisinier, expert des restes célestes », comme celui évoqué par Peter Handke pour le spectacle La cuisine de Mladen Materić; il aimait la cuisine aussi parce qu’elle raconte le chemin et les circonstances de la vie et des envies de la tablée.

Avec Francis Blanche, aux côtés duquel il avait joué au théâtre dans Un Yaourt pour deux et, nonobstant son éducation catholique, il confessait : « Je suis plus intéressé par notre vin d’ici que par leur au-delà.» Au point qu'il appliquait le mot âme prioritairement au vin et qu'il n'était pas loin de hisser au rang des Beaux-Arts, quasi de religion,  le pot au feu, comme son personnage Dodin-Bouffant qui l'avait habité et ne l'avait plus quitté depuis 1972.

 

   Le cinéma, le théâtre, comme l’écriture, la littérature, comme le voyage ou l’amour, comme la table, étaient pour lui un démultiplicateur. Pourquoi rester soi ou un seul ? Quand on joue, quand on écrit, quand on lit, quand on voyage, quand on aime,

« on se redéfinit » disait-il. Cela « donne du plaisir », mais aussi « la sensation vitale » (l’illusion) d’être multiple, de ne pas être tout le temps le même, assigné à un rôle, un rang, un statut, une fonction sociale, un choix affectif.

Gourmand, il l’était aussi des mots qu’il aimait déclamer, des bons et des beaux, des utiles comme des inutiles. Egalement de ceux qui vont jusqu’à former un « maquis » dans lequel il aimait se promener.

Aussi amoureux de la Bibliothèque rose que de l’Enfer de la bibliothèque, cette section spéciale de la BnF rassemblant dans les années 1830 les ouvrages dits "contraires aux bonnes mœurs". Il affectionnait les pointes, les pamphlets et les diatribes. Il était curieux, insatiable en tout. La lecture des Classiques resta jusqu’à il y a peu son (bel) ordinaire. La lecture d’Octave Mirbeau - qui n’en était pas vraiment un - prototype de l'écrivain engagé, libertaire et individualiste, le ravissait. Le Cantique des cantiques le transportait. Les friandises littéraires de Pierre Louÿs l’égayaient pareillement. Féru de philosophie indienne, il n’était pas rare qu’il prêtât à tel ou tel de ses proches un livre sur le sujet pour pouvoir échanger ensuite.

Il avait plus que tout la passion de la rencontre et de l’échange.

 

   Il n’oubliait pas de s’amuser. Il s’amusait des mots inconvenants et ses yeux pétillaient quand il abordait les mots et la chose, pour dire à une femme dont il aimait éprouver les sens et l’imagination, ou devant un auditoire élargi, convoquant Diderot et Jean-Claude Carrière, que faire la chose ne suffit pas, encore faut-il savoir en parler. Il y ajoutait bien sûr ses mots à lui. Il avait appris des poètes, comme de l‘œuvre d’André Le Chapelain, de celle de Rabelais et son abbaye de Thélème, du projet de Fourier, comme de sa vie avec Marthe, l’idée essentielle que l’amour est en quelque sorte « une œuvre d’affinement ».

Et jusqu’à ces derniers mois, Il n’a cessé de se passionner sur le sens de l’amour, sur le sens de la vie, sur qui nous sommes, sur ce que nous pourrions ne plus être du fait, entre autres, du dérèglement climatique, sur les enjeux de la transition écologique, sur la pensée collapsollogiste, sollicitant son interlocuteur jusqu’à la relativité d’Einstein, les trous noirs, la mécanique quantique...

Toute sa vie, il aura essayé de se connaître et de connaître les autres. Toute sa vie, il n’aura cessé d’interroger son monde, comme lui-même, pensant avec Claude Roy que « si les hommes ont inventé le théâtre, c’est peut-être parce qu’à l’origine tout se passe comme si un théâtre avait inventé les hommes, ces acteurs perplexes. »

 

   Sa dernière partition au cinéma se jouera en 1996 dans le film d'Édouard Molinaro, Beaumarchais, l'insolent, dans lequel il interprète Bartholo. Ses derniers engagements au théâtre se feront en 1997, dans Hygiène de l’assassin d’Amélie Nothomb dans une mise en scène de Didier Long (Petit Théâtre de Paris); las, il se casse la jambe pendant les répétitions et est remplacé par Jean-Claude Dreyfus dans le rôle de "Prétextat Tach". La pièce récoltera trois nominations aux Molières 1998. Il jouera aussi en 1998 et 1999 dans Les deux Orphelines d’après Ennery et Eugène Cormon, dans une mise en scène de Régis Le Rohellec (théâtre de l’Eldorado), avec Pascale Petit et Ginette Garcin et lui-même dans les rôles principaux (il y interprète le Comte de Linières). Et dans une autre pièce, Les Marchands de gloire de Paul Nivoix et Marcel Pagnol (Comédie des Champs Elysées), il remplace au pied levé Michel Galabru souffrant : une pièce qu’il connaissait bien pour l’avoir déjà jouée en 1984 dans une mise en scène Jean Rougerie (Comédie de Paris). L’une de ses ultimes scènes sera celle du Théâtre Falguière en janvier 2013.

A la télévision, il tiendra son dernier rôle dans le long métrage L’Oncle de Russie de Francis Girod (2006), aux côtes de Claude Brasseur et Marie-Josée Nat, ainsi que dans le court métrage Commérages d’Ingrid Lanzenberg (2008).

   A partir du début des années 2000, Marc Dudicourt amorce un virage et assouvit sa passion ancienne pour la chanson en se lançant dans la préparation de tours de chants. Il travaille sa voix de baryton, et se produit dans divers lieux, interprétant les répertoires de Brassens, Brel, Fanon, Guitry, Mouloudji, Vian, etc. L’une de ses chansons fétiches : l’écharpe de Frantz Fanon. Ou encore L’Auvergnat de Brassens et Les Copains d’abord, que son hôte cuisinier du vendredi avait l’habitude de programmer, car il savait que l’entendant et l’entonnant, il suivrait dans le même temps et que cela le mettrait en joie.

 Au Petit Journal Montparnasse avec Laurent Gerra - Rémi Gidel

Il crée en 2008 avec son ami Rémi Gidel l’association "La vie en Chanson" afin de promouvoir la chanson française et les jeunes artistes ; il se produit aux Journées Georges Brassens, aux Printemps des Poètes, à Paris, ou encore au Petit Journal Montparnasse, aux côtés de Laurent Gerra et de ses camarades Claude Brasseur et Pierre Santini

Devenu comédien chanteur, il n’avait jamais cessé pour autant de dessiner et excellait au fusain auquel il s’était remis frénétiquement ces derniers mois, utilisant chez lui tout support qu’il avait à portée de main, jusqu’à des morceaux de carton qu’il découpait dans les emballages des commandes faites à ses épiciers.

 

   Sa dernière apparition publique remonte au printemps 2019, quand il se rend, sur l’invitation conjointe de Jean-Jacques Hocquard, administrateur de la Compagnie d’Armand Gatti, directeur gérant de "La Parole errante" et de Stéphane Gatti, à la projection à Montreuil du film d’Armand Gatti El Otro Cristobal (1963), tourné à Cuba vers où il s’envole en août 1962 pour y jouer son premier rôle au cinéma.

 

   Marc Dudicourt est décédé le samedi 1er mai 2021 à 21h55, à la clinique Alleray-Labrouste (Paris 15), où il avait été admis en cardiologie, puis en soins intensifs.

Il allait avoir 89 ans le 6 mai. Il avait décidé de ne pas attendre d’avoir 90 ans. La tristesse du monde lui paraissait plus éprouvante qu’à l’ordinaire. L’époque s’exaspérant, tout cela, et le reste, lui étaient devenu assez insupportable. Depuis 2009, il avait connu des hauts et des bas, et la perte de Planchon (qui avait le même âge que lui), cette même année, l’avait beaucoup affecté. Il a vécu les derniers mois comme « À la lisière du temps ». Pris par des bouffées d’enfance, le souvenir des copains et de l’école mixte,

Avec Pierre Santini - Rémi Gidel

de ce séjour d’un an dans un tout petit village de Picardie, alors qu’il n’avait que six ans, où il avait pu faire provision d’émotions champêtres pour le restant de sa vie, les dessins de son père, les petits chemins de campagne de sa Somme natale, la cuisine de sa grand-mère maternelle Jeanne. Il ne rêvait plus guère, ou du moins ne s’en souvenait pas; même ses songes les plus érotiques semblaient s’être dissipés. Des souvenirs parmi les plus anciens, comme celui de Gloria, connue à Cuba, s’estompaient. Il ne parlait plus de revenir au Grand Hôtel de la mer sur la presqu'île de Crozon où il avait passé tant de délicieux moments avec Marthe.

A l’automne dernier, il avait arrêté de remplir ses cahiers à spirales où il notait pêle-mêle ses envies, les courses à faire, des noms qui surgissaient du passé, ses quelques regrets, des petits poèmes en prose de forme courte, qui sonnaient comme des résurrections de moments vécus : il ne cachait plus qu’il envisageait Le voyage. Il avait arrêté jusqu’aux tours de magie qu’il prisait particulièrement et dont raffolaient, entre autres, les paroissiennes de son fan club du 15°; finis également les jeux de hasard.

Il était toujours aussi émerveillé d'être au monde, bénissait la vie d'avoir été un cadeau pour lui, mais n'entendait pas la prolonger plus que nécessaire si elle devait se résumer à n'être qu'un fardeau. Surtout, il ne vivait plus du désir qu'il avait, non pas seulement de vivre, mais aussi  de jouir de la vie. L'idée même de devoir "vivre" de manière incommode lui était étrangère. Cervantès et Montaigne ne lui étaient plus d'aucun secours. Il ne voulait plus « faire la tombe buissonnière », partir pour l’au-delà « par le chemin des écoliers », ce thème de la chanson Le Testament de son cher Brassens; il n’entendait plus « prendre le chemin le plus long » et

« quitter la vie à reculons ». Ce n’est pas qu’il avait peur de la mort, il concédait tout juste que « ne plus vivre peut être fâcheux » ;

il aimait dire à ses amis qui s’inquiétaient que « naître tue », que c’était « le mouvement naturel de la vie ».

Il l’acceptait bien plus que ses plus proches. A l’un de ses tout derniers visiteurs, dans un moment de grande lucidité, il lui confiera : « mentir avec finesse est un art, dire la vérité n’est rien d’autre qu’agir en conformité avec la nature. » ; ajoutant d’un mot de son cru : « on gâche souvent à faire durer », qui voulait tout dire… Il a rendu son dernier souffle comme s’il avait rejoué en vrai, mais avec un final cut qu’il aurait décidé, une des scènes mythiques des Nouvelles Aventures de Vidocq où son personnage arrivait souvent essoufflé, en retard d’une calèche, en retard d’un indice, d’une intuition, par rapport au chef de la Sûreté, qu’incarnait le flamboyant Claude Brasseur. A 88 ans, au même âge que son prédécesseur dans le rôle, Alain Mottet. Marc Dudicourt rejoint ainsi aussi son vieux complice Michel Robin connu du temps de la troupe de Roger Planchon, lui aussi mort fin 2020.

Les dernières semaines, il avait choisi de délaisser la figure du fou du roi pour se cantonner à celle du tragédien où il était saisissant de sobriété et de profondeur parfois glaçante : « elle nous renvoyait à notre propre sentiment de solitude » confie l’un de ses derniers visiteurs. A deux de ses trois amis aidants autorisés à se relayer pour le visiter, masqués comme il se doit, Covid oblige, il a tenu à rendre la politesse en affichant son art du masque « naturel », plus beau encore que celui du masque de scène en carton Fallas dont il faisait collection. Il est parti comme il avait vécu, en tant que comédien et en tant qu'homme, sachant qu’entre les deux il ne faisait pas de distingo. Sans tapage.

 

Très affecté par l’annonce de sa mort, son camarade Pierre Santini, l’un des premiers à avoir réagi, avec Jean-Michel Ribes, Jean-Pierre Kalfon, le musicien auteur compositeur interprète Camille Bazbaz, ou encore le dessinateur de BD Frank Margerin, déclare : « Un des meilleurs acteurs de sa génération vient de disparaître (…) Nous avons joué ensemble la première fois en 1959. Il était le Lamme Goedzach de Till l’Espiègle à la Comédie de l’Est à Strasbourg. Nous avons beaucoup joué ensemble par la suite : chez Planchon, chez Gatti, chez Garran...(…) Je penserai toujours à lui comme à un grand acteur et un ami. »

 

*A lire : Les tables de Flambart

 

Dominique Lévèque est co-fondateur des Ateliers du Mardi. et secrétaire général du PRé (Pour une République écologique).

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Essai de Théâtrographie et filmographie de Marc Dudicourt
Théâtrographie & filmographie partielles
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Commentaires: 2
  • #1

    ELIOT Dom (samedi, 12 juin 2021 19:32)

    Formidable hommage à Marc Dudicourt, écrit par son ami fidèle et dévoué, Dominique Lévèque.

  • #2

    Diane (mercredi, 16 juin 2021 14:22)

    Magnifique tout ce que tu as écrit sur Marc, afin que nous n’oubliions pas ce superbe parcours cinématographique, théâtral , télévisuel et musical de cet artiste complet et de cet ami si charmant, et si drôle. Grâce à toi, nous avons revécu sa vie, et nous serions bien heureux de revoir certaines de ses prestations à la télévision.