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HERCULE, par André Chénier / Timothy Adès


 LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES

Timothy Adès nous propose deux poèmes d’André Chénier (1762-1794), dont Hercule avec un pas de deux en compagnie de Joachim du Bellay, déjà évoqué dans cette rubrique Tutti Frutti.


 Né à Constantinople (Galata) en 1762, d’une mère grecque (Elisabeth Lomaca) et d’un père français, le poète et journaliste André Chénier grandit en France. Poète dit “classique”, très tôt, il s’essaie à la poésie en s’inspirant de Homère, Ovide, Sapho, ou Virgile. On connait un peu mieux le Chénier engagé, sous la Révolution, dans l’action politique; il se révèle un grand prosateur et produit de multiples brochures et articles. Devenu suspect après le 10 août 1792, Chénier continue à agir et à écrire dans la clandestinité, poursuivant sa lutte contre les Jacobins. Il finira guillotiné le 7 thermidor an II (25 juillet 1794), laissant une œuvre posthume, dont le recueil de poèmes inachevés "Les Bucoliques", publié en 1819.

C’est un peu plus que deux de ses poèmes que Timothy nous donne à lire ici, presque à entendre, c’est Chénier lui-même que les Français connaissent peu en tant que poète. Sauf peut-être comme le poète de " L’Enlèvement d’Europe " et de " l’Oaristys ", et encore…Plus peut-être (assurément des “générations Lagarde et Michard”) comme le précurseur des Romantiques au travers cette ambition de décrire l’épopée de l’humanité.


 

   En 2020, les forêts du monde ont brûlé; ce qui ne semble pas devoir finir.

Chénier nous montre Hercule, affolé par la tunique empoisonnée, qui brûle la forêt, qui s’immole et fint par rejoindre l'Olympe, parmi les dieux.

 

Ovide nous le raconte… Il y a longtemps, Hercule a tué le centaure Nessus qui emportait sa femme Déjanire, fille d'Œnée, roi de Calydon : toile #1 de Jules-Elie Delaunay ("Hercule décochant une flèche à Nessus”, 1870). La flèche, trempée dans le sang de l’Hydre de Lerne, pénètre la tunique, que Nessus mourant donne à la dame, disant que c’est un philtre d’amour qui lui permettra de s’assurer de la fidélité d’Hercule : toile #2 de Bartholomeus Spränger ("Hercule, Dejanira et Nessus mort”, 1580). Hercule se ballade partout en faisant un grand nombre d’enfants ; il épouse Iolé ; Déjanire voulant se rétablir dans sa position lui envoie la tunique, qui se révèle fatale pour Hercule, lui comprimant et lui consumant le corps ; ce dernier mettra fin à son agonie en se brûlant sur un bûcher au sommet du mont Oeta : toile #3 de Francisco de Zurbarán ("Hercule mourant sur le bûcher 1634) et gravure anonyme ("Hercule embrasé").

Hercule

 

André Chénier (poème classique extrait du recueil “Poésies Antiques”)

 

Oeta, mont ennobli par cette nuit ardente,
Quand l'infidèle époux d'une épouse imprudente
Reçut de son amour un présent trop jaloux,
Victime du centaure immolé par ses coups;
Il brise tes forêts: ta cime épaisse et sombre
En un bûcher immense amoncelle sans nombre
Les sapins résineux que son bras a ployés.
Il y porte la flamme; il monte, sous ses pieds
Étend du vieux lion la dépouille héroïque,
Et l'oeil au ciel, la main sur la massue antique,
Attend sa récompense et l'heure d'être un dieu.
Le vent souffle et mugit. Le bûcher tout en feu
Brille autour du héros, et la flamme rapide
Porte au palais divin l'âme du grand Alcide!

 

 

Oeta, by flames at midnight glorified,

When faithless husband from unwitting bride

Received love’s jealous gift: his doom, to slay

The Centaur, yet at last to fall its prey:

He breaks your forests! and your dense dark crest

Heaps up the countless pines his arm depressed

Into a resinous gigantic pyre.                    

He kindles it. Beneath him, climbing higher,

His hero’s pelt, old lion-skin, he lays;

Grasps his rough club, awaits with upturned gaze

His imminent reward of deity.

The stormwind roars; the blaze more torridly

Shines round the hero, and the fiery breeze

             Bears heavenward the soul of Hercules!

 


 N.B : ma version anglaise a également été publiée par Classical Association News


 

Joachim du Bellay (1522-1560), par contre, trouve qu’Hercule ressemble à lui-même amoureux…

 

 

 

Sonnet de l'honnête amour – 2

 

J'ai entassé moi-même tout le bois

Pour allumer cette flamme immortelle,

Par qui mon âme avecques plus haute aile

Se guinde au ciel, d'un égal contrepoids.

 

Jà mon esprit, jà mon coeur, jà ma voix,

Jà mon amour conçoit forme nouvelle

D'une beauté plus parfaitement belle

Que le fin or épuré par sept fois.

 

Rien de mortel ma langue plus ne sonne:

Jà peu à peu moi-même j'abandonne

Par cette ardeur, qui me fait sembler tel

 

Que se montrait l'indompté fils d'Alcmène,

Qui, dédaignant notre figure humaine,

Brûla son corps, pour se rendre immortel.

 

Sonnet of True Love No.

 

Myself I’ve heaped the wood up high

To kindle this immortal flame.

My soul on soaring wing shall fly

To heaven, for the weight’s the same.

 

My heart, my voice, my love, my mind,

All these more comeliness acquire

Than gold in seven shifts refined:

 

 

I slowly yield me to the fire,

And cease from mortal colloquy.

Like the unconquered god am I,

 

Alcmena’s Hercules, who spurned

Our human shape, whose body burned,

Who gained his immortality.



Et de Chénier enfin, une scène d’amour beaucoup plus relaxe avec J’étais un faible enfant qu’elle était grande et belle

(Recueil : "Poésies Antiques" )

 

J’étais un faible enfant qu’elle était grande et belle.

Elle me souriait et m’appelait près d’elle.

Debout sur ses genoux, mon innocente main

Parcourait ses cheveux, son visage, son sein,

Et sa main quelquefois, aimable et caressante,

Feignait de châtier mon enfance imprudente.

C’est devant ses amants, auprès d’elle confus,

Que la fière beauté me caressait le plus.

Que de fois (mais, hélas! que sent-on à cet âge?)

Les baisers de sa bouche ont pressé mon visage !

Et les bergers disaient, me voyant triomphant :

- Oh! que de biens perdus! ô trop heureux enfant !

I was an infant: she, a full-blown rose!

She smiled at me, and called me to come close.

I stood upon her knees, and, guiltless, pressed

With roving hand her hair, her face, her breast;

And, many times, her own hand’s sweet caress

Feigned to rebuke my childish recklessness.

When her admirers, all abashed, stood by,

She, proud and fair, caressed more eagerly.

How often (what was I to feel, alas,                                          

So young?) her lips with kisses touched my face!

The rustic lads looked on: I crowed and smiled:

“Ah, what a waste!” they cried; “ah, lucky child!”

 


Translation: Copyright © Timothy Adès




Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.

 

Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.

Timothy Adès | rhyming translator-poet

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