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COMME SI LA GUERRE D'ALGERIE N'ETAIT PAS TERMINEE, avec Benjamin Stora, historien


Après le vote de l'Assemblée nationale dénonçant l'accord franco-algérien de 1968, le point sur quelques idées reçues à propos de cet accord, avec Benjamin Stora, spécialiste de l'histoire de l'Algérie contemporaine, notamment de la guerre d'indépendance algérienne et de ses mémoires, et plus globalement des relations France-Algérie. En janvier 2021, Benjamin Stora (membre du CS du PRé) a remis un rapport au Président Emmanuel Macron sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d'Algérie, assorti d'une trentaine de propositions.


"France / Algérie. Anatomie d'une déchirure", Benjamin Stora et Thomas Snégaroff, Lucie Rondeau du Noyer (cartographie), Éditions Les Arènes,23/10/2025
"France / Algérie. Anatomie d'une déchirure", Benjamin Stora et Thomas Snégaroff, Lucie Rondeau du Noyer (cartographie), Éditions Les Arènes,23/10/2025

     L'Assemblée nationale a adopté le 30 octobre dernier à la surprise générale une résolution du Rassemblement national, soutenue par leur allié de l’Union de droites pour la République, avec l'appui de LR et d'Horizon, appelant à dénoncer l'accord de 1968 qui encadre les conditions de séjour des Algériens en France. Beaucoup d'absents sur les bancs des groupes EPR, mais aussi côté LFI, EELV, PC et ultramarins, et LIOT. Seulement 374 des 577 députés ont pris part à ce vote.

Notons que cet accord, négocié et signé conjointement par les deux pays, qui  a permis de répondre aux besoins en main-d'œuvre de la France dans les années 1960 et 1970, a fait l’objet depuis de trois révisions, en 1985, 1994 et 2001, donnant lieu à trois avenants. Plus récemment, en 2022, Paris et Alger avaient, semble -t-il, convenu de le modifier une nouvelle fois, pour le moins de « réactiver le groupe technique bilatéral de suivi de l'accord » (Cf. Jean-Noël Barrot en réponse à une question du le sujet en janvier 2025).

 

En janvier dernier, Sylvain Berrios, député HOR (Horizons & Indépendants) du Val-de-Marne,  faisait valoir à la faveur d'une question posée en séance au gouvernement le souhait de son groupe de voir remis en cause cet accord franco-algérien de 1968 afin d'« engager un dialogue ferme face aux obstacles que met l'Algérie à nos mesures d'éloignement »

S’exprimant à l’issue du comité interministériel sur l’immigration du 26 février - après l’attaque survenue à Mulhouse (Haut-Rhin), dans laquelle un Algérien  (en situation irrégulière et sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français  -OQTF), est accusé d’avoir tué à l’arme blanche une personne et d’en avoir blessé sept autres - le Premier Ministre d'alors, François Bayrou, avait assuré que son « idée n’était pas du tout l’escalade » avec l’Algérie. « Mais notre idée est que personne n’ignore la volonté du gouvernement français de ne pas accepter que perdure une situation aussi dommageable pour les relations entre l’Algérie et la France et pour la société française ». Le chef du gouvernement faisant référence au fait que le ressortissant algérien en question  avait été présenté « quatorze fois » aux autorités algériennes, qui ont toujours refusé de le reprendre. La France, avait-t-il indiqué, va demander à Alger « que soient réexaminés la totalité des accords et la manière dont (ils) sont exécutés », avec un délai d'« un mois, six semaines ». « Pendant ce temps, va être présenté au gouvernement algérien une liste “ d’urgence ” de personnes qui doivent pouvoir retourner dans leur pays et que nous considérons comme particulièrement sensibles », a-t-il ajouté, sans en préciser le nombre. « S’il n’y avait pas de réponse au bout du chemin, il n’y a pas de doute que c’est la dénonciation des accords qui serait la seule issue possible », même si « ce n’est pas celle que nous souhaitons », avait encore prévenu le premier ministre.

 

Depuis, c'est peu de dire que le débat s'est emballé, certains responsables politiques réclamant la suppression de l'accord de 1968, un accord bilatéral relevant, faut-il le rappeler, du droit international public, d'autres sa révision, tandis que d'autres encore essaient d'attirer l'attention sur les conséquences juridiques, diplomatiques et évidemment humaines d'une telle démarche. Une idée reçue étant de considérer que la France pourrait dénoncer unilatéralement l'accord sans conséquences.

C'est peu de dire que le texte voté ravive un débat sensible, non  exempt des postures politiques, apparaissant parfois comme essentiellement animé par la volonté ici et là de faire avant tout un "coup de com" politicienne. L'accord de 1968 étant largement instrumentalisé à des fins politiques. Les promoteurs de sa suppression n'hésitant pas à laisser penser qu'elle entraînerait de facto un retour au droit commun français pour les Algériens. En réalité, cela pourrait réactiver les dispositions des accords d'Évian de 1962, ménageant aux ressortissants algériens une liberté d'installation et de circulation encore plus large qu'aujourd'hui...

La motivation du texte déposé par le RN et voté au Palais Bourbon ne laisse pas d'interroger : « comme si la guerre d'Algérie n'était pas terminée  »... nous dit Benjamins Stora, spécialiste des relations France-Algérie et de la guerre d'Algérie, membre du conseil scientifique du PRé, qui publie un nouveau livre consacré à la «déchirure» entre la France et l’Algérie.

 

   « Les Algériens n’ont plus de traitement de faveur depuis bien longtemps...» estime Benjamin Stora après la dénonciation de l’accord de 1968. Très sollicité par de nombreux médias depuis quelques jours, il tient à revenir sur un certain nombre d'idées reçues. Dans La Voix du nord (31 octobre 2025 : https://www.lavoixdunord.fr/1641357/article/2025-10-30/les-algeriens-n-ont-jamais-eu-de-traitement-de-faveur-estime-benjamin-stora), il indique que les accords de 1968 ont été vidé de leur substance il y a longtemps :

 

Avec ces accords de 1968 entre la France et l’Algérie, de quoi parle t’on exactement ?

 

- «En 1962, les accords d’Evian prévoyaient la libre circulation totale entre les deux pays. Celle-ci visait surtout les Français d’Algérie. C’était les 30 Glorieuses. Les travailleurs algériens ont également traversé la Méditerranée et ont d’ailleurs contribué au développement de la France. En 1968, le général de Gaulle a décidé de réguler les frontières. C’est devenus plus strict, y compris pour les Algériens, malgré quelques compensations.»

 

Les Algériens ont-ils un traitement de faveur ?

 

- «Non ! En 1974, Valery Giscard d’Estaing ferme les frontières à l’immigration. En 1986, les Algériens se voient imposer le visa. Encore aujourd’hui, ils doivent faire la queue pendant des heures pour le demander. En 1993, de nouvelles restrictions concernent les étudiants étrangers. Et les Algériens sont particulièrement touchés. Durant la guerre civile des années 1990, les frontières françaises n’étaient pas ouvertes. Je me souviens de nombreux amis ayant eu les pires difficultés pour venir en France alors qu’ils fuyaient ce conflit. La France n’a jamais ouvert ses frontières, y compris durant la décennie sanglante. En Algérie, tout le monde connait ces restrictions.»

 

Comment ce débat est-il vécu de l’autre côté de la Méditerranée ?

 

- «Les Algériens le ressentent comme une vexation supplémentaire à leur égard. Nous sommes face à un argument idéologique brandi par une partie de la classe politique française pour, quelque part, entraver le travail mémoriel. Comme si la guerre d’Algérie n’était pas terminée. Les accords de 1968 ont été vidés de leur substance il y a longtemps. Ce genre de comportement entrave les efforts pour obtenir la libération de l’écrivain Boualem Sansal et du journaliste Christophe Gleizes.»

 

Pour aller plus loin : Documentaire  "Guerre d'Algérie, la déchirure", une série documentaire de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora. Réalisée par Gabriel Le Bomin. Narration : Kad Merad. Diffusée le dimanche 11 mars 2012 à 20h35 sur France 2.

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