
« Faire rentrer le dentifrice dans le tube ».
Je ne sais comment mieux résumer l’urgence politique. Si le contexte géopolitique est déjà assez inquiétant en lui-même, notre malaise national va en s’aggravant et pèse lourdement sur notre moral.
En l’espèce, il ne s’agit pas du seul « moral des ménages » mais bien de celui de toute une nation : des jeunes dont le quart exprime des problèmes de santé mentale, et la majorité des angoisses diverses quant à l’avenir ; des plus âgés qui voient se déliter la solidarité ; des actifs qui se retrouvent au soutien de tous et sous pression au travail…
Cela fait bien longtemps que les Français doutent de la politique, mais le paysage est désormais celui de la désolation, et nos concitoyens ont désormais mis une distance abyssale avec elle. La crise politique née de la dissolution de 2024 n’en finit plus de produire ses effets, et nos concitoyens n’entendent plus la politique, jugée par essence inefficace.
À l’Elysée, le « maître des horloges » a depuis longtemps perdu la clé ; après avoir méticuleusement détruit le paysage politique, il prétend encore régner sur le champ de ruines. Ce n’est plus possible. S’acharner à ce point dans l’erreur de jugement, après avoir commis un détournement institutionnel, est une faute grave. Rien ne peut l’obliger à partir. Tout commande qu’il cède à d’autres la conduite des affaires gouvernementales.
Bien que tenté par une dissolution voire par une élection présidentielle anticipée, je pense qu’il faut préférer la voie parlementaire à condition de changer d’axe politique. Parce que la politique c’est du sérieux, ce ne sont pas des caprices. La « trivialisation » de la politique du fait de ses acteurs et de ses commentateurs est un mal profond qui ne fait qu’amplifier la fatigue démocratique. Comme le rappelle Raphaël LLorca citant Tocqueville, « les régimes politiques meurent moins de la colère du peuple que de leur propre fatigue ».
Il faut encore d’ici 2027 deux exercices budgétaires à la France, avec une trajectoire économique, écologique et sociale ambitieuse dans un contexte qui ne pardonne aucun retard et qui ne peut souffrir d’injustice.
L’heure est aux responsables.

Il n’y a pas que les effets de la fatigue politique et ses effets démocratiques qu’il convient d’évoquer : dans ce moment d’incertitude aggravée, j’invoquerai la nécessité d’un patriotisme républicain.
Tout est dit de la nécessité de trouver jusqu’en 2027 les moyens d’une stabilité politique fondée sur quelques points essentiels qui redonneront du sens à l’action publique ainsi que la confiance nécessaire à un débat serein pour la prochaine élection présidentielle qui inaugurera un nouveau cycle à défaut de pouvoir tout régler.
Ces points essentiels sur lesquels il faut avancer sans attendre sont, selon moi : la garantie d’un Etat de droit menacé par la radicalisation politique, les stratégies d’influence de quelques oligarques et les ingérences étrangères ; la reconstruction d’une nécessaire souveraineté industrielle et stratégique (s’appuyant autant que possible sur une cohérence européenne) ; la planification des investissements indispensables à la conversion écologique de l’économie, à la mutation des villes et au logement ; le soutien résolu aux acteurs économiques, dans un cadre d’intérêt général fondé sur la responsabilité écologique et territoriale, le soutien à l’emploi et le respect du dialogue social ; la recherche d’une plus grande efficacité des services publics, que ce soit sur le plan des missions et de leurs moyens, pour les remettre au cœur du projet national, à commencer par la santé et l’éducation ; une trajectoire de finances publiques concentrée sur l’investissement, qui sera la plus à même de rassurer les créanciers dans la main desquels nous nous sommes mis depuis 50 ans.
Tout ce qui pourra être fait d’utile d’ici le rendez-vous de 2027 doit être fait, sans trop d’arrières pensées si possible, et même si l’élection présidentielle ne peut assurément plus être lestée de tous les espoirs. Et si d’ici là il faut des gestes symboliques destinés tout autant à favoriser ce chemin de stabilité politique qu’à apaiser notre nation, il ne faut pas hésiter. Nous gagnerons en maturité pour résoudre des problèmes plus graves.
N’en doutons pas : notre démocratie est devenue fragile et mortelle, parce qu’elle est attaquée sur plusieurs fronts et car de plus en plus de nos concitoyens s’en détournent. Que ce soient les plus humbles s’estimant méprisés, ou même des « patrons » qui considèrent que leur entreprise doit évoluer sans contrainte nationale - tous se plaçant de fait à l’extérieur du champ démocratique mais aussi de ce qui constitue notre nation si politique et fondée sur l’Etat.
La démocratie, c’est d’abord l’art d’être d’accord sur nos désaccords, et d’accepter de les résoudre pacifiquement par la loi du nombre. La république, c’est considérer que ce qui nous unit n’est pas qu’une question d’institutions mais un projet qui nous transcende tous en tant qu’acteurs citoyens, informés et curieux du bien commun. Pour que ce projet soit encore possible, la réconciliation autour de ce patriotisme républicain est urgente.
Dernière contribution de Jérôme Saddier : "Un géant méconnu : Charles GIDE (1847-1932)" :

Jérôme SADDIER est un « réformiste radical », comme il se définit lui-même, en ce sens qu’il est absolument convaincu qu'il y beaucoup de choses à changer dans notre société, « mais toujours par la voie de la réforme ».
C'est un acteur majeur de l'économie sociale et solidaire (ESS) en France.
Il préside le Crédit coopératif (depuis janvier 2021), est membre du conseil de surveillance du groupe BPCE (deuxième acteur bancaire en France), Pt de la confédération Coop FR (organisation représentative du mouvement coopératif français), administrateur de plusieurs établissements culturels dont le Festival d’Avignon (depuis juin 2024), et enseigne à Sciences Po Lille.
Passé par des postes de direction dans le secteur mutualiste ces dernières années (MFP, LMDE, MNT, groupe VYV), Il a présidé, de 2019 à 2024, la Chambre syndicale de l’Economie sociale et solidaire, dite aujourd'hui ESS France (créée par la loi sur l'Economie Sociale et Solidaire - ESS - de 2014), où il a succédé au Niortais Roger BELOT qui la présidait depuis sa création.
Il préside également depuis 2016 l’AVISE (Agence de développement de l’ESS) et est vice-président de la section française du CIRIEC (Centre international de recherches et d’information sur l’économie coopérative, publique et sociale).
Auteur notamment de Pour une économie de la réconciliation · Faire de l'ESS la norme de l'économie de demain (Ed. Les Petits Matins, collection « Mondes en transitions », avril 2022) et de Toi des villes et moi des champs, les ruralités au XXI siècle, avec Félix Assouly, Salomé Berlioux, Rémi Branco, Tristan Guerra, Laurence de Nervaux et Corine Royer (Ed. de l'Aube / Fondation Jean Jaurès, 2024).
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