Le 27 juin dernier, le lancement d’un concours international d’architecture dans le cadre du projet « Louvre – Nouvelle Renaissance » a été annoncé pour répondre à la nécessité de désengorger la Pyramide du Louvre qui accueille 9 millions de visiteurs par an, en créant une nouvelle entrée, et faire bénéficier la Joconde d'un espace dédié. Beau programme de principe mais qui soulève bien des problèmes selon Jean-Claude Ribaut, architecte, chroniqueur gastronomique (ancien critique du journal Le Monde). Il réagit au cahier des charges du concours, et questionne le refus d'envisager un accueil du Louvre par les jardins, une idée qu'il défend et plaide en conséquence pour l'étude sérieuse de cette option, plutôt que de la « refouler » au nom d'une éventuelle reconstruction du Palais des Tuileries. Le jury est choisi, cinq architectes sont invités à concevoir un projet. Là où le bas blesse, estime Jean-Claude Ribaut, c'est l'obligation de situer la nouvelle entrée du Musée, à l'Est, face à l'église Saint-Germain-l'Auxerrois et, donc, investir obligatoirement, sous la Colonnade (à laquelle il est naturellement impossible de toucher) les espaces souterrains de la Cour Carrée (jusqu'à - 9 mètres) qui n'ont fait jusque là l'objet que de fouilles archéologiques partielles (splendides vestiges du donjon du Louvre de Philippe Auguste). Il s'agit donc d'un "chantier de reprise en sous-oeuvre tout à fait considérable", nous explique t-il, car "le portail situé dans l'axe de la Colonnade n'est pas à l'échelle du flux des visiteurs".
Jean-Claude Ribaut ne conteste pas les objectifs du concours, mais seulement "le fait de ne pas permettre d'étudier une ouverture à l'Ouest, en pente douce, de l'Arc du Carrousel vers le sous-sol de la Pyramide, et surtout dans la perspective majeure des Champs-Elysées". Une étude, réalisée par ses soins et d'autres de ses confrères, estime que cette solution s'élèverait à 40% seulement de l'enveloppe du programme annoncé (135 millions).

Depuis la destruction des ruines du palais des Tuileries par la IIIe République, en 1883, le Musée du Louvre bénéficie d’un dégagement unique sur l’axe historique qui va des Tuileries à l’Arc de triomphe, en passant par la place de la Concorde et les Champs-Elysées. Ce vide, longtemps perçu comme une blessure, est aujourd’hui une chance. Il offre une transition harmonieuse entre jardin, patrimoine et lumière. Il crée un appel d’air visuel et symbolique. Il invite à penser une autre manière d’entrer dans le Louvre : non par la compression des foules sous la pyramide, ni par une entrée de service latérale, mais par un accueil majestueux et fluide, dans le grand axe républicain. Car une évidence s’impose : le Louvre regarde aussi vers l’ouest. Or, cette évidence semble frappée d’amnésie.
Le 27 juin, un concours international d’architecture a été lancé pour en reconfigurer les accès. Le programme, tel qu’annoncé, prévoit la création d’une nouvelle entrée monumentale à l’est du palais, sous la colonnade de Perrault, non loin de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Or ce choix suscite de nombreuses objections, patrimoniales, symboliques, urbaines et pratiques.
Car pourquoi l’option ouest n’est-elle pas envisagée dans le cadre du concours ? Pourquoi tant de discrétion autour d’un espace pourtant si propice ? Pourquoi ce refoulement ? Devant ces questions, une hypothèse s’impose, embarrassante mais crédible : l’ouest du Louvre serait aujourd’hui verrouillé par un tabou architectural, celui d’un retour possible – voire fantasmé – du palais des Tuileries.
Nier l’histoire
Depuis plusieurs décennies, des voix s’élèvent pour en réclamer la reconstruction à l’identique. Elles émanent du Comité national pour la reconstruction des Tuileries, créé en 2002, de figures comme l’académicien Maurice Druon (1918-2009) ou Alain Boumier (1937-2009, président de l’Académie du Second Empire) et de cercles traditionalistes, nostalgiques d’un Ancien Régime idéalisé. La monarchie, les fastes impériaux, les beaux ordres de l’architecture classique sont invoqués comme autant d’arguments pour reconstituer le « chef-d’œuvre » de Philibert Delorme. Même le général de Gaulle, dit-on, aurait confié une étude sur le sujet à l’architecte Henry Bernard (auteur de la Maison de la radio).
Mais reconstruire les Tuileries aujourd’hui serait un contresens. Ce serait nier l’histoire, celle d’un palais incendié par la Commune et démoli par la République. Ce serait rejeter les principes mêmes de la conservation patrimoniale moderne, qui préfère préserver les traces plutôt que reconstituer les simulacres. Ce serait enfin réactiver une fracture politique – monarchie contre république – que le paysage parisien, dans sa puissance de suggestion, avait permis de pacifier par le vide.
Faut-il pour autant laisser ce vide devenir un impensé ? Faut-il s’interdire de l’habiter autrement, d’en faire un lieu vivant, d’y accueillir les publics du plus grand musée du monde ? En figeant l’ouest du Louvre dans une éternelle hypothèse de reconstruction, on sacrifie une possibilité d’aménagement à un passé qui ne reviendra pas. On condamne l’avenir à l’immobilisme, au nom d’une fiction patrimoniale.
Nous ne demandons pas que l’entrée à l’ouest s’impose*. Nous demandons qu’elle soit au moins étudiée, pensée, envisagée, dans les termes du présent, et non censurée au nom d’un projet irréalisable. Un concours d’architecture digne de ce nom ne peut exclure, par avance, une option si évidente.
Le Louvre n’est pas un sanctuaire. C’est un lieu de culture, d’ouverture, de circulation. Il mérite que chaque accès, chaque façade, chaque seuil, soit interrogé avec liberté et rigueur. Laisser l’ouest aux chimères d’une reconstruction, c’est tourner le dos à ce que Paris fait de mieux : penser sa forme à travers le temps, sans se laisser prendre au piège des nostalgies.

Jean-Claude Ribaut, architecte D.P.L.G, écrivain, a officié au journal Le MONDE comme critique gastronomique pendant 25 ans (1989-2012), souvent en connivence graphique avec Desclozeaux, après avoir fait ses premières armes journalistiques à Combat.
Il créé le magazine d’Architectures et dirige la première Maison de l’Architecture (jusqu’en 1996).
Sa première chronique gastronomique est parue en 1980, sous le pseudonyme d'Acratos (celui qui ne met pas d’eau dans son vin) dans le Moniteur des Travaux Publics. Il collabore à plusieurs revues et magazines : Atabula (plateforme d’information et d’opinion numérique sur la gastronomie en France et à l’étranger); Chroniques d'architecture; Dandy magazine; l'Encyclopædia Universalis; Global Magazine; LaRevue : pour l'intelligence du monde; Le Monde de l'épicerie fine; Le Monde des grands Cafés; le Petit journal des Toques blanches lyonnaises; Plaisirs (magazine suisse bimestriel); SINE Mensuel; Tentation (trimestriel), etc.
Membre fondateur de la "Mission Française du Patrimoine & des Cultures Alimentaires" (M.F.P.C.A – "Le Repas gastronomique des Français") depuis 2007, Jean-Claude Ribaut est aussi membre fondateur de La Liste, classement qui répertorie les meilleurs restaurants à travers 180 pays (créée par Philippe Faure, ancien diplomate, qui fut président d'Atout France, l'agence de développement touristique de la France, et plusieurs journalistes et critiques gastronomiques ) depuis 2015.
Prix Jean Carmet 2015 pour son livre Voyage d'un gourmet à Paris (Calmann-Lévy, 2014).
Dernier ouvrage paru : Dictionnaire gourmand du bien boire et du bien manger, 890 p (Editions du Rocher, 2024).
Jean-Claude Ribaut est membre du conseil scientifique du PRé et co-anime la rubrique "Tutti Frutti".
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