Alors que la flamme olympique s'est éteinte au jardin des Tuileries, et qu'un nouveau premier ministre a été nommé à Matignon en la personne de Michel Barnier, les sujets de préoccupation reviennent avec force.
Ainsi, avec la dette économique, la dette écologique qui convoque la responsabilité de l'humanité sur la qualité de l'environnement et sur l'urgence à réparer le passé et assurer l'avenir. Trois ans après la loi "Climat et résilience" qui vise à accélérer la transition écologique de la société et de l'économie françaises, notre ami Thierry LIBAERT, professeur des universités en communication des organisations, collaborateur scientifique du Earth and Life Institute (UCLouvain), s'interroge sur l'efficacité de sa mise en oeuvre, sur les engagements, tenus ou pas, et plus particulièrement sur les moyens dégagés en termes de communication et de publicité, et donc de modes de consommation.

La loi Climat et résilience, promulguée au Journal officiel le 22 août 2021, aura profondément marqué la vie politique et les orientations climatiques en France. Elle l’aura fait tant par son processus d’élaboration, basé sur une convention citoyenne pour le climat commencée le 4 octobre 2019, que par son contenu et l’adoption de 146 propositions à l’issue de sept sessions et huit mois de travail pour les 150 participants.
Parmi les huit titres et les 305 articles de cette loi, un volet mérite une attention particulière, celui du lien entre la publicité et la lutte contre le dérèglement climatique. Cela pour trois raisons principales. D’abord en raison de ses enjeux. La publicité concerne en effet chacun d’entre nous. Chaque individu reçoit en moyenne selon les méthodologies entre 400 et 3 000 messages publicitaires quotidiennement. Le législateur ne s’y est pas trompé, puisque ce thème est placé immédiatement après une déclaration générale sur les objectifs de l’accord de Paris et du pacte vert, au tout début de la loi.
Pourtant, le thème du rôle de la publicité dans la transition écologique n’avait pas été anticipé à l’origine de cette convention. Je peux en témoigner, car j’ai été auditionné sur ce sujet par les membres de la convention citoyenne. Pour l’essentiel, il était envisagé des mesures sur la mobilité, l’alimentation, le logement, mais les aspects liés au rôle du consommateur restaient embryonnaires. Ce sont les participants qui, dès la deuxième session de travail, ont fait monter ce sujet.
Ce thème offre pourtant un éclairage hautement significatif des logiques de pouvoir à l’œuvre dans la prise de décision politique, et sur le devenir de préconisations issues d’un des plus fantastiques exemples de démocratie participative.
Mais, trois ans après, force est de constater l’absence de toute avancée significative sur ces sujets. Comparativement aux préconisations de la convention citoyenne, il s’agit d’un échec total. En dehors de quelques mesures symboliques, à l’exemple de l’interdiction de la publicité relative à la promotion des énergies fossiles (article 7) ou de celle de l’allégation de neutralité carbone (article 12), aucune mesure structurante n’a été adoptée, et les pratiques de greenwashing continuent de prospérer.
Jamais, avant ou après la loi Climat et résilience, le sujet de la publicité n’a fait l’objet d’un débat entre les principaux acteurs concernés, c’est-à-dire entre les professionnels de la publicité, des médias et les ONG environnementales et les associations de consommateurs. La proposition d’Assises de la publicité, proposée par le rapport remis au ministre de la transition écologique le 6 juin 2020, a toujours été écartée.
L’absence de respect des engagements demeure le point le plus inquiétant. Dans une volonté d’évitement des contraintes légales, les acteurs de la communication commerciale ont formulé en mars 2021 une série de sept engagements. Si l’on excepte l’engagement relatif à la sensibilisation des salariés, souvent réduit à une présentation de la Fresque du climat, aucun engagement n’a été tenu.
Dans sa note publiée le 26 juin, l’Arcom, autorité chargée d’évaluer l’efficacité des contrats climat, notait que seules 18 % des entreprises assujetties étaient signataires d’un contrat climat. Le ministère de la transition écologique semble avoir abdiqué sur ce point, avec un comité de suivi qui ne s’est plus réuni depuis juin 2023.
Tant d’efforts et d’énergie gâchés ! Il reste toutefois quelques signaux positifs. Une prise en main effective du sujet par le Secrétariat général à la planification écologique, qui s’est rapproché du monde universitaire pour nourrir sa compréhension du sujet, la mission spécifique confiée avant l’été par le premier ministre à l’inspection générale de l’environnement et du développement durable, à l’inspection générale des finances et à l’inspection générale des affaires culturelles, les initiatives de la Commission européenne pour faire du consommateur un levier de la transition écologique (propositions de directives des 30 mars 2022 et 22 mars 2023), tout cela indique une inscription durable du sujet dans l’espace public.
La lutte contre le dérèglement climatique ne peut faire l’impasse sur les questions de consommation, de communication commerciale et d’imaginaire publicitaire. Il est temps que la profession constate que le débat ne se réduit plus à une guerre de position « pro » et « antipub ». Il se pose désormais et en urgence, en matière d’accompagnement d’une société vers un mode de vie sobre et désirable.
N.B : Le billet de Thierry Libaert a également été publié par le journal Le Monde (28 août) sous forme de tribune.

Thierry Libaert préside le conseil scientifique du PRé.
Précurseur de la communication environnementale en France, il est conseiller au Comité Economique et Social Européen dont il est le point de contact de la délégation française; co-président de la catégorie Consommateurs et Environnement, membre des sections « Environnement » et « Marché Intérieur », et est l’auteur du premier texte européen sur la lutte contre l’obsolescence programmée. Il est particulièrement investi sur les nouvelles modalités économiques de la transition écologique.
Président de l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible (ACCS), Thierry Libaert est également collaborateur scientifique du « Earth & Life Institute » de l’Université catholique de Louvain (UCLouvain, Belgique); membre du GR-CESS (Groupe d’Études et de Recherche « Communication, environnement, science et société »; membre de l’Académie de Sciences Commerciale, du GIE Toute l’Europe, et du Conseil de l’Ethique Publicitaire.
Il a été négociateur lors du Grenelle de l’Environnement (Commission Gouvernance, 2007), membre du cabinet du ministre de l’environnement (2004), vice-Président du Conseil Paritaire de la Publicité (2008-2011), maître de conférences associé à l’Université Paris-IV (Celsa, 1992-2008), maître de conférences à Sciences-Po (2000-2013) et professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université catholique de Louvain (2008-2014).
Il fut membre du Conseil d’Orientation des Consultations Citoyennes sur l’Europe mis en place pour accompagner le processus en 2018. Missionné la même année par le ministre de la transition écologique pour un rapport sur la durabilité des produits, rapport remis en janvier 2019, il a été (septembre 2019) chargé d’une nouvelle mission relative à la compatibilité du modèle publicitaire face aux enjeux de la transition écologique. Il a été membre du Comité de suivi pour la préparation de la Présidence française de l’Union européenne (1er semestre 2022). Il travaille actuellement comme chef de mission à la direction développement durable du Groupe EDF où par ailleurs il a été élu à la Commission Sociale et Economique du Siège Social (liste CFE-CGC).
Lauréat du Prix du livre Environnement 2021.
Derniers ouvrages parus :
- Quelles sciences pour le monde à venir ? Face au dérèglement climatique et à la destruction de la biodiversité, ouvrage collectif,
FNH - sous la direction d'Alain Grandjean et Thierry Libaert (Odile Jacob, octobre 2020)
- Comment mobiliser (enfin) pour la planète (Ed le Pommier, collec Essais, manifestes, septembre 2020)
- La communication de crise (Ed Dunod, février 2020, 5eme édition d'un livre paru en 2001)
Plus d'une trentaine d'ouvrages : https://www.tlibaert.info/qui-suis-je/francais/bibliographie-decembre-2021/
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