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ECOLOGIE ET DEMOCRATIE, Joëlle ZASK, Note de lecture de Jean-Marie Pierlot, chercheur en communication des associations

 

  Joëlle Zask est philosophe, elle connaît fort bien la pensée du philosophe pragmatiste américain John Dewey, dont elle a traduit plusieurs œuvres. Son objectif, dans son dernier livre Ecologie et Démocratie, est de déconstruire différentes croyances sur la relation entre démocratie et écologie, afin de démontrer que "soit la démocratie est écologique, soit ce n'en est pas une, et réciproquement, soit l'écologie est démocratique, soit ce n'est pas de l'écologie."

 

Cadre philosophique

 

Nous avons tendance à nous percevoir comme des consommateurs de l'activité du monde politique, exigeant de nos sociétés dites démocratiques qu'elles opèrent le tournant indispensable à la sauvegarde de "l'habitabilité de la Terre". Pourtant il est intéressant de partir de l'expérience que chacun de nous fait d'aménager son propre milieu de vie, de participer activement à la création de ses conditions d'existence.

Voilà pourquoi, à la suite de John Dewey, l'auteure nous invite à rassembler la dimension représentative de la démocratie moderne avec le système participatif d'autogouvernement, qui nourrit la citoyenneté : prendre des initiatives, s'engager dans des actions concrètes, participer activement à la création de ses propres conditions d'existence, prendre soin de notre environnement.

Pourtant, de nombreux points de vue prennent le contre-pied de cette complémentarité :

  au nom d'une certaine idée de la démocratie, celle-ci ne se conçoit pas sans l'abondance. L'écologie, dans ce contexte, apparait alors comme un système punitif qui interdit aux gens de consommer comme ils le veulent.

  certains mouvements politiques s'organisent autour d'arguments climatosceptiques et privilégient le salut individuel contre le "contrôle" que la société exercerait sur les individus.

  d'autres gens se méfient des mesures environnementales en estimant qu'elles sont prises par des élites dirigeantes qui les imposeraient à l'ensemble de la société. Que d'idioties on entend au nom de la défense de la liberté individuelle !

  à l'inverse, certains écologistes radicaux estiment que le passage par une "dictature verte" est inévitable, compte tenu de l'irresponsabilité des populations incapables de percevoir le sens de l'intérêt général. Pourtant, jamais les régimes totalitaires n'ont adopté de politiques écologiques. Elles auraient plutôt tendance à prendre des mesures contraires tant à l'écologie qu'à la démocratie (voir Bolsonaro ou Trump, par ex.).

 

Cadre démocratique

 

« Pour penser la démocratie et la consolider, il faut partir non des institutions et des procédures, mais des mœurs, des habitudes, des manières de penser, des gestes du quotidien qui concernent les individus au plus près de leur existence et leur environnement jusque dans son agencement concret. » (p. 33).

 

Joëlle Zask explore divers lieux où la démocratie participative, visant à agir sur le milieu de vie, nourrissent la pensée de la démocratie écologique. Voici quelques citations ou quelques synthèses de ses réflexions sur ces thèmes.

 

Cultiver, jardiner, cuisiner

 

« Il existe un peu partout des initiatives locales en faveur d'une démocratie à la fois participative et écologique (jardins partagés, écoquartiers, agriculture urbaine, (…)) qui restent isolées et insuffisamment fédérées pour constituer une force politique majeure, mais qui n'en sont pas moins essentielles en ce qu'elles préfigurent la société à venir. » (p. 31)

« Comme le disent les jardiniers, au jardin, qu'il soit thérapeutique, pédagogique, potager, décoratif, il y a de la place pour tout le monde. Chacun peut y être utile, apprendre des autres et transmettre à son tour, échanger des graines, des plants, des fruits et des recettes, tout en restituant au sol et aux plantes ce qui a été prélevé. C'est là une voie pour transformer la ville en cité. » (p. 195)

 

Aimer son pays natal

 

« La thématique de l'amour du pays natal, du lieu où l'on a grandi, du site durable de nos activités, du coin de terre que l'on habite, est la grande absente de la vie politique humaniste. » (p. 140)

« Tout en restaurant la valeur de pluralité que l'universalisme rationaliste et le racialisme territorialiste ont pour but d'éliminer, le couplage entre écologie et démocratie permet d'associer les pratiques de la citoyenneté et l'entretien du monde sans passer ni par l'appropriation exclusive et la souveraineté, ni par la symbiose et l'enracinement. » (p. 151)

« Réconcilier l'art d'être citoyen et l'art de créer et de conserver des lieux communs est devenu une urgence absolue. » (p. 161)

« Si l'enracinement divise, l'amour du pays rassemble. » (p. 165)

 

Consommer

 

« En démocratie, il serait inévitable que, sous l'effet de l'égalisation croissante des conditions, (…) l'avoir l'emporte sur l'être, les gens revendiquant d'accéder à la consommation et, plus généralement, à toutes les ressources individuellement appropriables. » (p. 101)

« En faisant naître, par le truchement de la publicité de manipulation née au début du XXe siècle, des besoins toujours nouveaux, le marché et le technocapitalisme marchand ont accaparé pour les dévoyer à la fois l'idée d'opportunités légales et celle de la satisfaction nécessaire des besoins humains. » (p. 102)

 

Aménager l’espace urbain

 

« Les places urbaines, la hauteur des immeubles, le plan de circulation et bien d'autre aménagements urbains peuvent également, s'ils sont favorables aux libertés d'usage des individus et des êtres vivants qui y élisent domicile, contribuer à l'émergence d'un véritable "pays" aux multiples facettes. » (p. 188)

 

Réduire les inégalités, cultiver sa terre

 

« C'est bien dans le registre des formes anciennes d'autogouvernement local ou de la démocratie libérale agraire défendue par les plus grands démocrates de tous les temps qu'est apparue une solution assez simple : la distribution égalitaire d'un lot de terre à chacun, dont la forme héritée est celle du jardin partagé. (…) C'est avec le lopin qu'est née l'allocation universelle que défend Philippe Van Parijs, voire le revenu minimum d'insertion, non pas en espèces, mais en nature. » (p. 103)

« S'il est normal qu'un individu occupe le coin de terre qui le nourrit, il est en revanche abusif qu'il accapare plus de terre qu'il n'en a besoin. » (p. 104)

 

Joëlle Zask s'inspire principalement de la philosophie pragmatiste de John Dewey, mais aussi des réflexions d’Alexis Tocqueville et sa "Démocratie en Amérique" , où il identifie la sociologie à la Science des associations ; et de Thomas Jefferson, principal rédacteur de la Déclaration d'indépendance des États-Unis en 1776, troisième président des États-Unis de 1801 à 1809.

 

   En conclusion, Joëlle Zask déjoue tous les clichés sur le rôle que peut jouer à elle seule la démocratie représentative pour « sauver le climat » : il y va autant de la culture démocratique dans les initiatives d’autogouvernement qui surgissent un peu partout dans la société civile pour contribuer à la transformation de notre rapport à la nature. Nous faisons partie de la nature, il est peu approprié dès lors de déclarer, comme l’a fait Pierre Rabhi, que nous avons besoin de la nature alors qu’elle n’a pas besoin de nous. Selon Joëlle Zask , « c’est tabler sur une asymétrie dont l’effet est de reconduire les oppositions que la pensée écologique vise précisément à déconstruire. ».

A l’inverse, agir et partager des expériences de transformation de mon environnement, contribuer à la « citoyenneté du gardiennage du monde » conduit à « entrer en démocratie » et à contribuer à une action collective qui poussera les politiques les plus lucides à faire écho à ces démarches et à dialoguer avec la société civile pour construire ensemble les meilleurs moyens d’atteindre des fins communes.

Une pensée critique et stimulante pour tous ceux qui œuvrent à transformer le monde dans lequel ils vivent et qui font confiance à la démocratie écologique qu’ils construisent en tant que gardiens du monde à venir.

 

Ecologie et démocratie, Joëlle ZASK (Les Liens qui libèrent, Paris février 2022).

Joëlle Zask est enseignant-chercheur  en philosophie à l’université Aix-Marseille. Spécialiste de philosophie politique et de philosophie américaine, elle s'intéresse aux enjeux politiques des théories de l'art et de la culture. Elle est l'auteur de divers ouvrages dont Art et démocratie; Peuples de l’art, PUF, 2003 et Participer ; Essais sur les formes démocratiques de la participation, Le bord de l'eau Editions, 2011.


Jean-Marie Pierlot, chercheur en communication des associations, spécialiste de la communication stratégique, de crise et du Fundraising, a travaillé durant 25 ans en Belgique francophone dans divers secteurs (santé, environnement, aide humanitaire, développement, droits humains) et a enseigné la communication du non-marchand à l’UCLouvain (Université catholique de Louvain).

Cet ancien administrateur de Greenpeace Belgique (1989-95) fut aussi membre du LASCO, le Laboratoire d'Analyse des Systèmes de Communication d'Organisations (de 2000 à 2014); il a participé à l'édition d'un n° spécial de Recherches en Communication (UCL) sur Légitimation et Communication (n° 25, 2006) et a co-édité les Actes du colloque "Contredire l'entreprise" (Presses Universitaires de Louvain, 2010).

Il est aujourd’hui administrateur de l'association Entraide et Fraternité et membre du Centre d'Etudes de la Communication (CECOM) de l'UCLLouvain.

Membre du "comité sociétal" de NewB, banque coopérative belge, "éthique et durable".

Auteur de plusieurs livres dont La communication des associations (Ed Dunod, 2014); Les nouvelles luttes sociales et environnementales, avec Thierry Libaert (Vuibert, 2015).

Jean-Marie Pierlot est un ami et un contributeur du PRé.

Dernières contributions :

https://www.pourunerepubliqueecologique.org/2022/06/16/la-democratie-fatiguee-par-jean-marie-pierlot/

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https://www.pourunerepubliqueecologique.org/2022/03/31/si-j-etais-candidat-d-alain-caillé-par-jean-marie-pierlot-chercheur-en-communication-des-associations/

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