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C'EST BEAU UNE BILE LA NUIT, par Vianney Huguenot

   [C'est beau une bile la nuit]

Par quel hasard suis-je tombé l'autre nuit, poursuivi par l'insomnie, sur un recueil des grands discours à l'Assemblée nationale ?

"Moi je ne crois pas aux coïncidences", ce truc que tous les commissaires de police télévisés de France ont un jour chuchoté à la jeune inspectrice stagiaire débarquée de Montluçon, je l'ai dit à moi-même, je ne crois pas aux coïncidences, Eluard a raison, "il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous". J'arrive, c'est vrai, à saturation en observant les débats parlementaires du moment : des bouts d'idée, des invectives et le souci dominant et permanent d'intéresser twitter, la tartineuse des petitesses des grands de ce monde. Mais ne soyons pas trop durs avec nous-mêmes, puisqu'il paraît que nous avons les élus qu'on mérite, on trouve sous toutes les Républiques de la sauce de caniveau dans les travées. On trouve également, de la Première à la Cinquième République, des discours magnifiques, de très haute tenue (dans le verbe, le geste, l'accent, la pensée, la portée historique), de surcroît parés d'humour, d'ironie ou de lyrisme pour enfoncer le dernier clou de la bière de l'adversaire et embarquer la foule.

 

L'Assemblée nationale est une foule, ni mieux ni moins bien élevée que celle de la rue. Ceux qui ont détenu un fauteuil dans l'hémicycle racontent qu'il s'agit d'un chaudron et que savoir affronter la meute révèle un vrai talent (surtout pour une femme se coltinant quelques mâles éméchés dans une séance de l'après-midi !). Encanaillée ou cravatée, une foule se montre plus souvent faible et brutale qu'attentionnée et inspirée. Cela dit, je ne suis pas sûr d'avoir raison (je ne dispose pas de tous les éléments, travaux dans les commissions, etc.) mais un début de certitude me tripote tout de même les méninges : ça manque cruellement de pointures aujourd'hui à l'Assemblée nationale, de tribuns et de penseurs, d'hommes et de femmes à même d'indiquer les chemins, longs et escarpés, nous menant à l'un ou l'autre horizon, ce qui s'appelle avoir une vision politique, et non simplement un souci électoral, et accessoirement du courage.

 

J'ai rallié mon lit avec le triste sentiment que les papillons gouvernent désormais. Les aiguillons, eux, papillonnent.

 

Dans ce livre, complété par quelques recherches sur internet, j'ai stoppé après lecture de la passe d'armes entre Jules Ferry et Georges Clemenceau à propos de colonialisme et de "races supérieures et inférieures", le 28 juillet 1885, il y a donc tout juste 137 ans mais ceci n'est pas le plus important 😎

 

Jules Ferry : « […] Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l'écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure, toute expansion vers l'Afrique ou vers l'Orient, vivre de cette sorte, pour une grande nation, croyez-le bien, c'est abdiquer, et dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c'est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième [...] ».

 

Georges Clemenceau : « […] Pour ma part, j'en rabats singulièrement depuis que j'ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d'une race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation inférieurs [...] ».


Vianney Huguenot est journaliste,  enseignant, formateur. Chroniqueur sur France Bleu Lorraine et France Bleu Alsace, il y anime une émission ("Les rencontres de Vianney Huguenot" ) dans laquelle il nous fait découvrir les lieux insolites et secrets de la région Grand Est. Il anime également " Sur ma route " une émission co-produite par la chaîne de télévision mosellane ViàMoselle TV (anciennement Mirabelle TV) et la TV locale ViaVosges au cours de laquelle, à travers les souvenirs d’enfance et le regard de personnalités, il donne à voir la région Grand Est et nous fait partager son sentiment géographique. Collaborateur de plusieurs journaux, magazines et revues, Vianney Huguenot est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages, entre autres : « Les Vosges comme je les aime » (Vents d'Est 2015), « Jules Ferry, un amoureux de la République » (Vents d'Est 2014), « Jack Lang, dernière campagne. Éloge de la politique joyeuse » (Editions de l'aube 2013), « Les Vosges par le cul de la bouteille » (Est livres 2011, préfaces de Philippe Claudel et Claude Vanony).

Vianney Huguenot co-anime la rubrique Tutti Frutti du PRé.

 

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