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LA RAISON ECONOMIQUE ET SES MONSTRES d'Eloi Laurent, par Thierry Libaert


Eloi LAURENT poursuit dans son dernier livre sa critique de la croissance, formalisée notamment dans son livre Nos mythologies économiques (2016). Il en appelle plus que jamais à la désacraliser et à considérer si ce n'est pas à lui substituer les indicateurs de bien-être humain tels que la santé, la qualité de l'eau et de l'air, l'éducation & formation, les inégalités, la confiance, lutte contre le dérèglement climatique et la sauvegarde de la diversité de la vie. La critique de la croissance n'est pas nouvelle, elle est aussi ancienne que la révolution industrielle, sauf qu'aujourd'hui elle a dépassé le stade philosophique pour entrer dans une phase plus politique. En réalité, nous le voyons bien, aussi bien au plan national qu'européen, il ne s'agit pas seulement de modifier les indicateurs, mais de changer de politiques en interrogeant notre vision du progrès au XXIe siècle et la notion de bien-être essentiel. Ce que l'on sait moins, c'est que cette nouvelle ère de la critique de la croissance n'a plus rien de marginale :  elle a été ouverte très officiellement depuis déjà 7 ans par l’adoption des Objectifs dits de développement durable (ODD) par les membres de l'ONU, dans lesquels la croissance fut réduite à une portion très infime. Il est donc temps de passer aux travaux pratiques.


 

    Eloi Laurent est un économiste rare car il essaie de dépasser les limites du discours strictement économique en déconstruisant la manière dont il tente de le faire passer comme reposant toujours sur des vérités scientifiques. Il dénonce à ce propos le fait que les médias donnent trop souvent la parole à des économistes de renom pour qu’ils s’expriment sur des sujets totalement en dehors de leurs champs de compétences. Il observe d’ailleurs que malgré l’enjeu majeur de la transition écologique, seuls 4 % des économistes sont spécialistes des questions environnementales.

 

Dans la première partie du livre, l’auteur remet en cause les mythologies néolibérales, notamment celle de la croissance et de ses indicateurs.

Pour lui, « ce sont des indicateurs de santé-environnement qui doivent désormais gouverner l’économie » (p. 33). Il constate que le discours néolibéral repose sur des hypothèses comme celle de la relation entre la croissance et l’emploi, qui se révèlent aujourd’hui fausses.

 

Dans la deuxième partie du livre, il explore les mythologies sociales-xénophobes comme celle du sentiment d’insécurité, souvent associée à la peur de l’étranger, et note l’absence d’augmentation des violences interpersonnelles en France sur les vingt dernières années. Dans les faits, il rappelle qu’il y a eu en 2019 880 homicides, mais près de 15.000 morts du fait des pics de chaleur.

 

Dans la troisième et dernière partie, il dénonce l’écolo-scepticisme et sa nouvelle façade, son infaisabilité au vu de l’ensemble des autres enjeux. Pour Eloi Laurent, « c’est la non transition écologique qui est hors de prix » (p. 74). Il observe que depuis une vingtaine d’années la décarbonation de l’énergie n’a presque pas progressé et que l’intensité énergétique du PIB a elle augmenté. Selon lui, le constat est celui d’une croissance directement responsable de la crise climatique et « l’efficacité énergétique est en partie une illusion » (p. 82). En clair, tenter de résoudre la crise climatique sans sortir de la croissance n’est pas seulement voué à l’échec, c’est voué à la catastrophe et « la transition écologique n’a de sens qu’au-delà de la croissance » (p.85).

 

En conclusion, l’auteur tente de dépasser le récit économique traditionnel en remarquant que celui-ci s’est figé autour de l’invention du PIB entre 1934 et 1936 et sa généralisation avec les accords de Bretton Woods en 1944. Ce récit doit être dépassé autour de deux éléments, la santé et les liens sociaux.

 

Un petit livre de synthèse (104 pages) que je recommande fortement (éditions Les liens qui libèrent, 2022, 12 €).

 

Thierry Libaert préside le conseil, scientifique du PRé


Eloi LAURENT, expert des questions de bien-être et de soutenabilité environnementale, est économiste sénior et conseiller scientifique à l’OFCE, centre de recherche en économie de Sciences Po.
Il dirige la filière Multi-Level Economic Governance du Master of Public Affairs de Sciences Po et enseigne également à Stanford University (Bing Overseas Studies) et au Collège des hautes études européennes (Paris-Sorbonne).

 

Ses trois derniers ouvrages :

- Et si la santé guidait le monde : L'espérance de vie vaut mieux que la croissance (Les Liens qui libèrent,

- Sortir de la croissance : mode d'emploi (Ed. Les Liens qui libèrent, )

- Économie de la confiance (Ed. La Découverte, 2019)

 

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