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LUTTE CONTRE LA DESINFORMATION, POUR UNE REACTION EUROPEENNE, par Thierry Libaert

 

   L’explosion des pratiques de désinformation représente une réelle menace pour l’Europe. Elle sape la confiance dans nos institutions, elle fragilise nos démocraties notamment dans les processus électoraux, elle pèse sur nos économies particulièrement en raison des attaques sur la réputation des entreprises, elle peut menacer des vies comme nous avons pu le constater avec les dérives informationnelles sur la Covid-19.

 

 

La désinformation a explosé avec la généralisation des réseaux sociaux mais ceux-ci ne peuvent être tenus pour seuls responsables d’un problème plus ancien. La désinformation prend ses racines dans la défiance envers les institutions et les discours officiels. La crise que nous traversons depuis deux années avec la Covid illustre parfaitement l’explosion de la désinformation et ses conséquences dans le domaine sanitaire.

 

Mais la désinformation a aussi des racines économiques. La lanceuse d’alerte américaine Frances Haugen a ainsi révélé en septembre 2021 que loin de lutter contre le phénomène, l’entreprise l’avait intégré à son modèle d’affaires. Une information fausse circule six fois plus vite qu’une information vraie, elle est davantage likée, partagée, elle crée davantage d’activité et retient davantage l’attention. En ce sens, elle génère plus de visiteurs et donc d’intérêt et de recettes publicitaires.

 

L’Union Européenne et notamment la Commission Européenne ont compris l’ampleur du problème et ont commencé à tâcher d’y répondre. Après avoir installé un dispositif de lutte contre la désinformation en 2018, la Commission a publié le 26 mai 2021 son guide d’orientation pour le renforcement de cette lutte. L’ensemble traduit une réelle prise en compte du problème, mais largement insuffisante face à l’augmentation incessante du phénomène.

 

L’avis présenté en session plénière du Comité Economique et Social Européen le 9 décembre 2021 et voté à la quasi-unanimité, a souhaité interpeller la Commission Européenne sur la nécessité d’aller plus loin et plus vite, et particulièrement sur les points suivants :

 

En premier lieu, il convient d’arrêter de se focaliser sur le combat contre les conséquences pour s’attaquer directement aux personnes et organisations à l’origine de la désinformation. Il ne s’agit pas seulement de réduire la propagation de la désinformation, il faut d’abord prioritairement l’empêcher d’émerger.

 

La désinformation est multiple, elle ne peut n’être qu’une question de crédulité anecdotique, elle peut aussi obéir à des intérêts géostratégiques de déstabilisation de puissances extra-européennes. Si les caractéristiques sont différentes, les méthodes de contrôle sont semblables et il est nécessaire de décloisonner les organes en charge de ces dispositifs pour qu’ils collaborent davantage ensemble.

 

Ensuite, il a été démontré que la grande majorité des systèmes de vérification et de modération des informations s’effectuaient en langue anglaise. Or, l’Union Européenne est composée de 24 langues et certains pays, notamment ceux situés à l’Est, sont particulièrement vulnérables. Un réajustement s’avère indispensable.

 

De même, s’il est évident que les grandes plates-formes (Facebook, Twitter, YouTube, …) sont particulièrement considérées, les fake news émergent souvent de plates-formes moins connues auxquelles il s’agit de prêter davantage d’attention, surtout pour empêcher les fausses informations de se répandre ensuite.

 

Un point majeur de la lutte contre la désinformation est d’empêcher sa monétisation. Il a été évalué que chaque année 400 millions d’Euros étaient gaspillés en flux publicitaires sur des sites de désinformation. Couper l’intérêt financier de la désinformation par un meilleur contrôle des flux publicitaires devrait fortement réduire l’intérêt de désinformer.

 

Mais la désinformation ne se réduit pas aux réseaux sociaux. Les médias traditionnels ont aussi une responsabilité majeure. Les politiques d’invitation systématique de pseudo experts sur les chaînes de télévision, notamment sur les chaînes d’information en continu, pour donner une apparente scientificité aux sujets traités, n’aident pas à lutter efficacement contre la désinformation.

 

   C’est donc par une politique globale, résolument offensive et intégrant un maximum de parties prenantes, que l’Europe pourra réagir. Mais le combat ne sera réellement gagné qu’avec la participation de chacun. C’est en effet notre relation à l’information qui est en cause, et celle-ci ne pourra être améliorée sans une profonde remise en cause individuelle et collective.


 

   Thierry Libaert, Professeur des universités, collaborateur scientifique au Earth & Life Institute (Université catholique de Louvain) est membre du Conseil économique et social européen. Il fait partie du conseil des membres du PRé  et préside son conseil scientifique.

il est aussi Pt de l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible (ACCS) et membre du CA de l’Institut des futurs souhaitables.

Il fait partie du conseil des membres du PRé  et préside son conseil scientifique.

Auteur de plusieurs rapports dont le dernier « Publicité et transition écologique » a été remis en juin 2020 à la ministre de la Transition écologique et solidaire.

 

Derniers ouvrages parus :

- Des Vents porteurs - Comment mobiliser (enfin) pour la planète, par Thierry Libaert (Ed le Pommier, collec Essais, manifestes, 16 septembre 2020).

D'année en année, la lutte contre le dérèglement climatique est passée de considérations géopolitiques générales, d'objectifs globaux jamais atteints, à la responsabilisation de chacun, à des écogestes du quotidien qui nous ont rendus plus acteurs de la mobilisation. Pourtant, rien ne change. Pire : l'idée de développement durable a laissé place à celle d'effondrement ! Si le tableau s'est assombri, c'est que nous avons pris conscience que rien ne serait réellement possible si nous ne changions pas notre imaginaire, nos perceptions, nos croyances.

Les leviers de cette transformation ? Thierry Libaert, fin connaisseur de l'intérieur des politiques de l'environnement en France, les a identifiés, et il nous en fait part, non en théoricien abstrait, mais en praticien soucieux d'efficacité. Pour lui, fini le temps des injonctions qui ne servent qu'à valoriser leurs auteurs. C'est tout un modèle qu'il faut réinventer, à commencer par notre façon d'en parler...

- Quelles sciences pour le monde à venir ? Sous la direction d' Alain Grandgean et Thierry Libaert (Odile Jacob, novembre 2020)

- La communication de crise (Dunod, février 2020, 5eme édition d'un livre paru en 2001).

 

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