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EUROPE, LE RETOUR DE LA CONFIANCE, par Thierry Libaert

 

La relation à l’Europe a toujours été complexe tant le décalage peut apparaître important entre un idéal civilisationnel promu par les pères fondateurs et une réalité européenne où ont longtemps prédominé les conceptions strictement économiques. Au moment où l’Europe célèbre le plus discrètement possible le 70ème anniversaire de sa première fondation, la création de la CECA par le traité de Paris, il est possible de s’interroger sur les écueils de communication qui restent à surmonter pour un renouveau de la confiance.

 

L’Europe distante, pas vraiment

 

 

 D’abord, il faut commencer par rectifier l’idée trop répandue que la confiance serait corrélée à la perception de la proximité. Depuis plus de quinze ans que les données existent, les citoyens européens déclarent avoir davantage confiance dans l’Union Européenne que dans leurs propres institutions. Au début de 2021, 49 % des Européens ont confiance dans l’Union Européenne contre seulement 36 % envers leur gouvernement.

 

Ensuite, loin de se dégrader, la relation de confiance tend à s’améliorer. Entre l’été 2019 et l’hiver 2020, les Européens sont 6 % de plus à faire confiance en l’Europe, ce qui représente le niveau le plus élevé depuis 2008. Alors que la méfiance envers les gouvernements nationaux augmentait de 4 points (2019-2020), celle envers l’Union Européenne baissait de 5 points.

 

Un indice de ce renouveau peut être trouvé dans le taux d’abstention aux élections européennes de 2019, le plus faible depuis 1994 avec un taux de participation en hausse de 8 % depuis la précédente élection de 2014 dans l’ensemble de l’Union Européenne et pour la France.

 

Des difficultés qui persistent

 

 

Deux obstacles empêchent encore une dynamique de croissance, ceux-ci apparaissent d’autant plus importants qu’ils sont détectés depuis longtemps sans que de réelles perspectives de progrès n’apparaissent.

 

Le premier obstacle est celui du récit. L’idéal de paix originel n’est bien sûr pas à rejeter, mais il ne peut plus être à lui seul le moteur de l’unité et le passage en 1993 du Marché commun à l’Union Européenne n’a pu empêcher une perception fortement économique de l’action européenne. Les consultations citoyennes qui se sont déroulées en 2018, la conférence sur le futur de l’Europe qui a débuté le 9 mai 2021 et doit durer jusqu’au printemps 2022 montre que deux thèmes se dégagent pour ce nouveau récit ; l’environnement et les droits sociaux. Parce qu’elle est le continent en pointe dans la lutte contre le dérèglement climatique, parce que la moitié des dépenses de protection sociale dans le monde s’effectue pour les européens, ceux-ci perçoivent parfaitement ce qui les distingue, un accord pour le marché et le libéralisme mais à condition qu’il protège l’environnement et le droit des citoyens. C’est autour de l’idée d’une mondialisation civilisée, de la qualité de vie et du bien-être que le nouveau récit européen peut s’inscrire.

 

Le second obstacle, repéré déjà par Jacques Pilhan en 1993, est celui d’absence d’émetteur en matière de communication. Personne n’imagine une institution publique ou une collectivité territoriale sans une direction de la communication, c’est pourtant la réalité au niveau européen. Il existe bien sûr des directions de la communication disséminées au Conseil, à la Commission, au Parlement, mais le problème réside justement dans le cloisonnement organisationnel où chaque structure, et on ne peut leur reprocher, communique sur ses propres activités. Un vrai plan de communication pour l’Europe reste encore à construire.

 

Des avancées non négligeables

 

 

Quatre facteurs plus récents permettent d’envisager une confiance durable. D’abord et pour la première fois, le titulaire en charge des affaires européennes semble s’être affranchi de la tutelle du ministère des affaires étrangères. Cela permet aux sujets européens d’être davantage visibles sur la scène médiatique française.

 

Ensuite, l’Union Européenne conditionne désormais les aides qu’elle peut octroyer au travers de ses fonds structurels à l’information des citoyens portant sur l’origine des financements et ainsi pour mieux faire connaître le rôle de l’Union Européenne dans les investissements territoriaux.

 

L’Union Européenne a également compris que pour retrouver la confiance, elle devait davantage communiquer sur les préoccupations quotidiennes de ses citoyens. Par ses directives sur la qualité de l’air – et la condamnation de la France à une amende de 10 millions d’Euros pour non-respect des normes européennes en août 2021 – , par ses initiatives pour promouvoir une consommation plus durable et des produits plus réparables, l’Europe démontre sa capacité d’écoute du quotidien et rompt ainsi avec l’image qu’elle a pu avoir après la crise des subprimes en 2008 et le reproche de privilégier la sauvegarde des grands intérêts financiers.

 

Enfin, et sans qu’il soit possible d’en mesurer précisément l’impact, il est vraisemblable que le Brexit, en ce qu’il aura révélé des conséquences négatives de sortie de l’Union pour un Etat, en ce qu’il aura discrédité la parole eurosceptique et le processus de désinformation au cœur de son discours, aura durablement stoppé le mouvement de défiance populiste envers de l’Union Européenne.

 

La France aura un rôle particulier au 1er semestre 2022 puisqu’elle présidera l’Union Européenne. Autour d’un triptyque de communication « Relance, puissance, appartenance », trois axes thématiques ont été annoncés, les droits sociaux, le numérique et la lutte contre le dérèglement climatique. La Présidence française peut se révéler un excellent levier pour promouvoir une conception d’une Europe adaptée aux nouveaux enjeux. Le départ d’Angela Merkel qui aura profondément marqué l’Europe conjugué au retrait de la Grande Bretagne de l’UE, offre une opportunité historique à la France pour reprendre un leadership européen. Il faudra pour cela que les enjeux électoraux français liés à l’élection présidentielle n’empiètent pas sur les questions de la relance européenne.

 

 

N.B : Cet article est également paru dans la revue « Parole Publique », revue de l’association Communication publique. N°28. Novembre 2021.


Thierry Libaert, spcécialiste en sciences de l'information et de la communication, collaborateur scientifique au Earth & Life Institute (UCLouvain Belgique) fait partie du conseil des membres du PRé  et préside son conseil scientifique.

Conseiller au Comité Economique et Social Européen (CESE) dont il est le point de contact de la délégation française, il co-préside la Catégorie "Consommateurs et Environnement", est membre des sections « Environnement » et « Marché Intérieur » et est l’auteur du premier texte européen sur la lutte contre l’obsolescence programmée. Il est particulièrement investi sur les nouvelles modalités économiques de la transition écologique. Egalement démocratique en tant que membre du Conseil d’Orientation des Consultations Citoyennes sur l’Europe. il est aussi Pt de l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible (ACCS) et administrateur de l’Institut des futurs souhaitables.

Thierry Libaert est l'auteur de plusieurs ouvrages de référence et et de plusieurs rapports. Auteur notamment d'un récent rapport sur « Publicité et transition écologique » remis en juin 2021 dernier à la ministre de la Transition écologique et solidaire.

 

Derniers ouvrages parus :

- Quelles sciences pour le monde à venir ? Face au dérèglement climatique et à la destruction de la biodiversité, ouvrage collectif, FNH - sous la direction d'Alain Grandjean et Thierry Libaert (Odile Jacob, octobre 2020)

 

- Comment mobiliser (enfin) pour la planète (Ed le Pommier, collec Essais, manifestes, septembre 2020)

- La communication de crise (Ed Dunod, février 2020, 5eme édition d'un livre paru en 2001)

 

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