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DEREGELEMENT CLIMATIQUE : EN FINIR AVEC LA PROCRASTINATION ET LES ERREURS DE COMMUNICATION

Note du PRé du 15-07-2021

 

COP 21 Paris - Célèbration de l'accord sur le climat en décembre 2015. Photo ONU Mark Garten

 

   Il n’y a pas que la crise pandémique qui soit toujours là, ainsi que ses conséquences économiques et sociales. Alors qu’une 4ième vague est évoquée dans les milieux scientifiques et que le Président de la République relance la lutte contre la Covid et remise le

« retour à la normale » à plus tard, comme la promesse de « jours heureux » ou certains de ses projets de réformes, le dérèglement climatique ne connait pas de mise entre parenthèses : il prospère sans digues sérieuses et durables pour l’instant.

 

L’enjeu pour le PRé reste entier : concilier la lutte pour une économie décarbonée et le souci d’une croissance sociale.

Et si en France, on commençait déjà par se hisser à la hauteur de l’Accord de Paris sur le Climat de 2015 ?

Si on se contraignait à respecter nos propres engagements en matière de réduction des gaz à effets de serre? La politique des petits pas a fait son temps, elle n’est plus adaptée, les promesses ne suffisent plus ; il faut passer pleinement aux actes, sans baisser en ambition, sans surtout dévier d’un bon rythme et sans différer outre mesure. Il n’est pas interdit de penser que la France et l’Europe, qui ont essayés d’être des leaders de substitution en la matière pendant la période Trump, réussissent à dimensionner leurs ambitions aux nécessités du moment et aux attentes de protection des populations, et qu’un espace se dégage pour un nouveau projet de société qui libère l’espérance en même temps que de nouveaux enthousiasmes.

 

Passer de l’incantation à l’action pour une transition écologique

 

   On le sait : les objectifs fixés par les lois de programmation françaises n’ont pas été pleinement et effectivement réalisés. Au reste, dans une décision inédite du Conseil d’Etat rendue en novembre 2020 (Décision du Conseil d'État n°427301 du 19 novembre 2020), celui-ci n’a pas manqué de relever que si la France s’est engagée à réduire ses émissions de 40 % d’ici à 2030, « elle a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d’émissions qu’elle s’était fixés et que le décret du 21 avril 2020 a reporté l’essentiel des efforts de réduction après 2020 ».

 

Le juge administratif a relevé plus récemment que la baisse des émissions fut « limitée » en 2019 ou « pas significative » s’agissant de l’année 2020. Il souligne par ailleurs que le respect de la trajectoire, qui prévoit une baisse de 12 % des émissions pour la période 2024-2028, « n’apparaît pas atteignable si de nouvelles mesures ne sont pas adoptées rapidement ». Moyennant quoi, le Conseil d’Etat, dans une décision rendue le 1er juillet dernier (décision 427301), considérant que le récent projet de loi « Climat et résilience » adopté par l’AN le 4 mai dernier (qui devrait l’être définitivement cet été, maintenant que députés et sénateurs sont parvenus à un texte commun en commission mixte paritaire) n’y suffisait pas de ce point de vue, a fixé un nouvel ultimatum au gouvernement : le 31 mars 2022 pour d’ici-là « prendre toutes mesures utiles » pour atteindre les objectifs qu’il s’est lui-même fixés.

Le fait est que le texte amendé par le Sénat ne respecte pas davantage l'objectif européen d'une réduction d'au moins 55% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990, que le projet de loi initial adopté par l’Assemblée nationale.

 

   L’ambition du PRé, année après année, est intacte, même si passablement contrariée par l’actualité qui encourage les atermoiements, parfois par excès de précaution : elle s’ancre dans ce que nous avons appelé lors de notre création en 2010 une écologie des solutions.

Nous persistons à soutenir que l’écologie est un défi, une opportunité, qu’elle est la clef d’une prospérité future. Cependant que nous sommes confrontés à de multiples défis : des tumultes persistants de l’Orient à l’Afrique, la raréfaction des matières premières, la menace grandissante des risques sanitaires, pandémiques, produisant plus d’inégalités, et en même temps l’idée d’égalité, comme un horizon de sens commun, progresse à l’échelle d’un monde qui semble se déglobaliser. Nous persistons à penser qu’une vision et un programme d’actions écologiques sont capables d’apporter des solutions durables à ces nouveaux défis mondiaux.

 

Mais il suffit de rabâcher qu’une «nouvelle» ou une «autre» croissance est possible qui se fonderait sur la transition écologique & énergétique, c’est-à-dire sur un changement radical de nos manières de produire et de consommer, il faut s’y engager réellement, le prouver.

 

Cela commence à faire en sorte que le prix de l’énergie reflète les vrais coûts environnementaux et c’est pourquoi il convient de ménager une fiscalité incitative qui pousse les entreprises et les particuliers à faire les bons investissements, tout en conciliant les deux objectifs impératifs en la matière: équité et efficacité. Sans se bercer des illusions de la «décroissance», et en ne craignant pas d’être audacieux sur la vision de l’après et les investissements à réaliser malgré ou plutôt à la faveur de la montée de la dette publique liée à la crise sanitaire, alors que les taux sont négatifs et que les charges d'intérêt décroissent.

 

Transitionnons l’économie et mettons en place un Green new deal d’envergure pour faire face aux multiples aspects de la crise actuelle, sans se contenter de remettre au centre la taxe carbone, mais d’articuler cette nouvelle donne autour de la création d’emplois et d’un programme de relance, mais aussi de métamorphoses économiques et sociales partagées. L’écologie a aujourd’hui dépassé le stade du simple constat des carences de la gouvernance mondiale. Depuis le 24 juin dernier, l’Europe essaie de donner le ton et de doper le tempo avec un pacte vert ambitieux (Un pacte vert pour l’Europe https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr) qui notamment taxerait aux frontières européennes les importations les plus polluantes. C’est en tous les cas le sens des annonces que la présidente Ursula von der Leyen a faites hier mercredi 14 juillet.

 

La résistance des lobbies ne doit pas être un frein à l’action. Au contraire, sur le chemin de l’écologie, il convient de saisir toutes les opportunités, y compris en termes de gisement de nombreux nouveaux emplois. L’une des premières mesures à traduire en actes pleinement, la rénovation thermique des bâtiments, publics et privés, susceptible de donner un visage à la transition écologique & énergétique, permettrait de créer entre 500 000 et 1 million d’emplois en quelques années, en plus de renouveler au passage le paysage de nos villes, de diminuer notre dépendance au pétrole et de contribuer à réduire le déficit de la balance commerciale de la France.

 

Au plan européen, la Commissaire Ursula Von der Leyen avance que " les bâtiments accaparent 40% de la consommation d'énergie, et les émissions du transport routier ne cessent de gonfler, il faut à tout prix inverser la tendance d'une façon juste et sociale ".

 

   Mais pourquoi tant de retard à promouvoir des énergies substituables et renouvelables qui permettront à la fois de diminuer les émissions de CO2 et de lutter contre la précarité énergétique à venir? Nous sommes de plus en plus nombreux à savoir ce qu’il en est, notamment depuis le Grenelle de l’Environnement de 2007. En réalité, les choses sont sur la table depuis longtemps et ne sont guère plus contestées. Depuis les années 90. Et bien avant : un rapport commandité par Jacques Chaban-Delmas en 1970 évoquait déjà les enjeux et la littérature écologiste des années 60 militante et/ou savante ne manque pas qui abordait déjà la question de la qualité de l’air, des pesticides, de la déforestation, de la «biodiversité», et interrogeait déjà le modèle de production de nos sociétés.

 

En réalité, la « défense de l’environnement » est un thème déjà présent au XIXe siècle, portée par les milieux « progressistes », mais marginalisée par d’autres courants, convertis au productivisme.

Le « présocialiste » Charles Fourrier (1772-1837), l’un des fondateurs de l’économie coopérative, a anticipé dès 1823 dans Sommaire du Traité de l’association domestique agricole ou Attraction industrielle un « risque majeur pour la planète », dû à la « logique dévastatrice du capitalisme industriel », et a développé par la suite une intuition aiguë de l’irréversibilité des dégâts environnementaux. Il dénonçe dans Le Nouveau monde industriel et sociétaire (1829), la contamination à la fois des denrées, des individus et de la société toute entière, ajoutant à sa critique des dégâts sanitaires et environnementaux un volet social : « La multitude pauvre ne peut plus se procurer de comestibles naturels ; on ne lui vend que des poisons lents, tant l’esprit de commerce a fait de progrès jusque dans les moindres villages. »

Dans notre période plus contemporaine, Thierry Libaert, universitaire, spécialiste de la communication de crise, a trouvé des traces de la question écologique en 1952 (1), dans un ouvrage du botaniste Roger Heim, président de l’Académie des Sciences.

 

 

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530064966/f1.item

Il nous rappelle à la faveur de cette plongée dans une histoire méconnue ou oubliée qu’en communication de crise, il est souvent dit qu’il faut prêter une extrême attention aux signaux faibles. En matière environnementale, les signaux sont pour la plupart tous allumés, et pourtant les actes sont loin d’être tous à la hauteur des enjeux. Ce qui nous fait penser qu’il y a peut-être un problème dans la manière avec laquelle ces grands enjeux ont été communiqués aux populations. Notre sentiment premier est que nous avons collectivement trop eu tendance à considérer que la dégradation de la «planète» était un sujet «environnemental» et cela a conduit à cataloguer la défense de l’environnement dans une sphère de militance strictement écologiste et à l’éloigner d’autant des préoccupations du plus grand nombre.

 

Corriger le tir en matière de communication

 

   Le fait est qu’un sujet comme le dérèglement climatique est d’abord un problème de santé publique avec les vagues de canicule ou de grand froid, la montée des eaux, des océans, la pollution de l’air, l’extension des maladies tropicales, les maladies transmises par les moustiques, la sous-nutrition, etc.

 

C’est aussi un problème géopolitique avec l’accélération des migrations en raison de l’augmentation des événements climatiques extrêmes et des prospectives en la matière on ne peut plus alarmistes, également un problème militaire si l’on veut bien considérer les conflits hautement probables qui risquent d’apparaître pour l’accès à de nouveaux territoires. Et c’est dans le même temps un problème économique et social. Alors, comment faire pour sensibiliser et éviter de poursuivre dans les erreurs de communication que l’on ne peut que constater quand elle se révèle anxiogène, culpabilisante, voire contre-productive ?

 

Il a été mésestimé que c’est un sujet à considérer sous au moins deux angles : sous un angle sociologique quand on réalise que les citoyens sont plutôt responsables, globalement contre le gaspillage, mais que les consommateurs qu’ils sont aussi sont beaucoup plus opportunistes, qu’ils ont du mal à réguler leurs désirs de consommation. Egalement, si l’on veut bien admettre que les personnes les plus sensibilisées à la cause environnementale sont aussi celles qui génèrent l’impact environnemental le plus élevé. Cela semble paradoxal, mais c’est assez facile à expliquer et une enquête récente du Credoc (2) en démontre bien le mécanisme: notre impact environnemental est très lié à notre capital économique et culturel. Sociologiquement, la sensibilité environnementale élevée se retrouve majoritairement chez les plus diplômés. Ceux-ci sont clairement en avance au niveau de la pratique d’un mode de vie éco-responsable, ils préfèrent prendre une douche plutôt qu’un bain, réduisent la consommation de viande, recyclent leurs emballages, achètent bio, font réparer leurs appareils en panne, mais l’aller-retour annuel au temple d’Angkor, au Machu Picchu ou aux Seychelles, les virées à Dublin, Lisbonne ou à Rome, les escapades en Islande ou en Amérique du Nord ont tôt fait de réduire à néant en termes d’impact global l’ensemble des petits efforts quotidiens, surtout si l’on y ajoute l’achat des derniers modèles de smartphone, de tablette ou d’enceinte connectée, ou encore la frénésie d’achats via Amazon qui ne participe pas vraiment à la «neutralité carbone» et dont les cartons d’emballage encombrent les poubelles qui n’y suffisent plus...

 

C’est un sujet à considérer également sous un angle psychologique : la réalité psychologique est que la peur paralyse, alors que l’espoir mobilise. Toutes les études disponibles mettent en évidence cet effet inhibiteur de la peur qui peut même entraîner un effet boomerang: si la situation laisse aussi peu d’espoir, à quoi bon s’engager dans des efforts d’éco-responsabilité ? C’est d’ailleurs un des grands dangers du discours de la collapsologie.

 

La seule nuance permettant à un message alarmiste d’être performant est de l’accompagner d’indications relatives à l’efficacité de l’action individuelle. Si l’on contrebalance le message d’alerte par un message basé sur la responsabilité et la capacité d’action de chacun, le message peut produire des effets, à défaut la peur peut attirer l’attention sur une question mais n’entraîne aucune modification du comportement.

 

   En matière de transition écologique & énergétique, on a trop longtemps cru qu’il suffisait d’informer pour transformer les comportements. Informer n’est pas communiquer et il ne suffit pas de transmettre une information pour modifier des habitudes. Informer est une étape certes nécessaire mais insuffisante, d’autres modalités de communication sont nécessaires pour le passage à l’action. Aussi, sans doute faut-il commencer par réorienter l’objectif pour renforcer le degré d’acceptabilité et d’implication active dans la population: l’objectif est d’envisager, et de le donner à voir, un futur où l’énergie sera plus propre, l’air et l’eau plus purs, le mode de vie moins stressant, les produits plus sains. La lutte contre le dérèglement climatique apparaîtra alors pour ce qu’elle n’aurait jamais cessé d’être: non pas un objectif civilisationnel qui serait délivré aux Hommes, mais un simple moyen. Il convient aussi de mieux cibler: en répétant urbi et orbi qu’il faut «combattre les gaz à effet de serre», comme le font trop souvent et trop exclusivement les campagnes de communication officielles, on se trompe d’ennemis.

 

On se souvient que le premier semestre 2020 fut le plus chaud que nous ayons connu et la période estivale de l’année dernière fut globalement marquée par des records de températures, les incendies de forêt dépassèrent en intensité tout ce que la météorologie a en mémoire. En juin dernier, des orages violents se sont abattus en Occitanie privant 15 000 foyers d'électricité et interrompant le trafic SNCF sur certains axes. En ce moment même, des pluies diluviennes et inondations frappent plusieurs pays européens, faisant d'importants dégâts, l’Allemagne en particulier, faisant des morts, mais aussi la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. Dans l’ouest de l’Allemagne, la situation est, ce jour, la plus préoccupante. Au moins 19 décès ont été recensés, dont 8 dans le seul district d’Euskirchen (Rhénanie du nord-Westphalie).

 

Les tempêtes et inondations rythment désormais notre actualité médiatique. Un temps dissimulée par l’expansion de la Covid-19, la menace climatique ressurgit et le gouvernement doit désormais trancher sur les 146 propositions émises par la Convention citoyenne sur le Climat. Depuis plus de trente ans, les scientifiques du Groupement Intergouvernemental des Experts pour le Climat (GIEC) nous alertent sur le risque climatique lié à nos modes de vie, et pourtant, l’ensemble des signaux d’alerte est désormais allumé. Et malgré l’ensemble des campagnes de sensibilisation, nos comportements évoluent peu. Il est temps de nous interroger sur les raisons de ce blocage.

 

De nombreuses illusions règnent dans le domaine de la sensibilisation au dérèglement climatique. Trois peuvent être ici signalées. D’abord, il faut se défier des sondages ponctuels indiquant une préoccupation environnementale au plus haut, ou savoir prendre de la distance vis-à-vis d’événements d’actualité comme la Convention citoyenne pour le Climat présentée comme un tournant de la société civile pour une consommation plus responsable. La réalité est que, du tri des déchets à l’extinction des appareils en veille, de l’utilisation des transports en commun à l’achat d’aliments de saison, comme l’a bien repéré l’ADEME,

« Depuis 2006, la tendance est plutôt à la baisse ou à la stagnation sur un ensemble des gestes vertueux en matière de climat. »

 

La deuxième illusion porte sur l’idéal salvateur qu’incarne la jeunesse. Des marches pour le climat aux différentes initiatives lycéennes ou étudiantes, partout les jeunes sont présentés comme les nouveaux sauveurs. Hautement responsabilisés, ils constitueraient les nouvelles légions du combat climatique. Là aussi, cela mérite d’y regarder de plus près, car le constat révèle que derrière quelques étudiants fortement mobilisés, souvent issus de grandes écoles, la majorité de notre jeunesse reste fortement adepte d’un mode de vie carbonée, des voyages aériens à la fast-fashion en passant par le streaming, et que les 18-24 ans ne se démarquent aucunement en matière de préoccupation environnementale, et ne comptons pas trop sur leur engagement politique, puisqu’ils sont de loin les plus abstentionnistes, avec notamment, rappelons-le, un score de 72 % d’abstention pour les 18-34 ans aux dernières élections municipales, loin devant toutes les autres catégories d’âge.

 

La troisième illusion qu’il convient de dissiper porte sur les éco-gestes qui symbolisent à eux seuls la prise de conscience citoyenne. Prendre une douche au lieu d’un bain, réduire sa consommation de viande, éteindre la lumière en sortant, déconnecter sa box, fermer le robinet pendant le lavage des dents, le devoir civique se dédouble d’un devoir d’éco-responsabilité de nos attitudes. L’incantation est parfaitement illustrée par Régis Debray : « Au « Ah, ça ira ! Ça ira !» succède-le « Ah, ça triera, ça triera» (3). Force est de reconnaître que l’hypothèse sur laquelle reposait l’objectif des éco-gestes n’a pas fonctionné. L’idée d’amener chacun sur une trajectoire vertueuse par petits efforts successifs s’est rapidement heurtée au désir de supprimer tout ce qui pouvait apparaître trop contraignant.

 

   Tout cela interroge beaucoup nos manières de communiquer, à commencer par celle des pouvoirs publics, nos manières de sensibiliser au dérèglement climatique. En la matière, trois erreurs ont été commises. On a d’abord pensé que les individus étaient réellement soucieux de la cause environnementale juste parce qu’ils le disaient. On a ensuite pensé que l’information était le levier essentiel des mobilisations, et on a enfin été persuadé que si les citoyens étaient réellement soucieux des questions écologiques, cela entraînerait un changement de comportement.

 

Il est plus qu’urgent d’arrêter de fixer des objectifs lointains, de déclarer qu’il nous reste trois ans pour atteindre la «neutralité carbone» en 2050 et viser les «deux degrés» en 2100, il faut stopper la communication fondée sur des données quantitatives, la communication distanciée reposant sur la sempiternelle image de l’ours polaire sur son morceau de banquise, il faut arrêter la communication qui évoque l’alourdissement des contraintes et la diminution des plaisirs. A l’inverse, il est nécessaire de communiquer sur le ravage des reports incessants de nos actions, et surtout de réorienter notre objectif.

 

Le combat contre le dérèglement climatique n’est pas le bon. Il n’est plus temps d’informer sur le risque climatique, mais de nous concentrer et sur les solutions et sur un nouveau modèle de société désirable par les populations, mettant l’accent sur une meilleure qualité de vie, une énergie plus propre, des produits plus sains, un mode de vie moins stressant. Un projet affranchi de la matrice actuelle de dépendance au productivisme frénétique et marqué d’un imaginaire alternatif positif afin de donner à voir d’autres finalités collectives et individuelles. Un projet qui reconnaisse et traite les autres crises révélées et aggravées par la crise actuelle : celle des inégalités sociales et celle de la coopération sociale (solidarité sociale et mutualisation des risques).

 

Comme dire autrement ? Un projet social-écologiste qui ait le souci du « commun », des biens publics nationaux et mondiaux, comme l’eau, l’air…Un projet qui réactiverait les promesses d’anticipation d’antan.

 

La lutte contre les effets du dérèglement climatique apparaîtra alors pour ce qu’elle doit être: un simple moyen.

 

   Si nous considérons que notre ennemi s’appelle CO2, comment s’étonner que la mobilisation soit si faible. Arrêtons de mettre la neutralité carbone au frontispice de l’avenir radieux de notre humanité. La communication classique telle qu’elle se pratique actuellement est linéaire, descendante, contraignante, incantatoire, lointaine, alarmiste et technique.

 

Thierry Libaert enfonce à juste titre le clou: « D’année en année, la lutte contre le dérèglement climatique est passée de considérations géopolitiques générales, d’objectifs globaux jamais atteints, à la responsabilisation de chacun, à des écogestes du quotidien qui nous ont rendus plus acteurs de la mobilisation. Pourtant, rien ne change. Pire : l’idée de développement durable a laissé place à celle d’effondrement ! Si le tableau s’est assombri, c’est que nous avons pris conscience que rien ne serait réellement possible si nous ne changions pas notre imaginaire, nos perceptions, nos croyances. La communication sur le dérèglement climatique, et plus globalement sur la transition écologique, est linéaire, descendante, purement informationnelle, incantatoire, lointaine, technique et alarmiste. Et l’on s’étonne qu’elle ne parvienne pas à mobiliser! Fini le temps des injonctions qui ne servent qu’à valoriser leurs auteurs. C’est tout un modèle qu’il faut réinventer, à commencer par notre façon d’en parler...»

 

   Nous ne pourrons pas davantage espérer résoudre la question du dérèglement climatique si nous ne sommes pas capables de le nommer correctement et d’utiliser un vocabulaire adapté. Nous utilisons par exemple trop souvent le terme de «réchauffement» qui est à proscrire parce qu’il passe à côté de la réalité du problème. La gravité de celui-ci réside d’abord dans des événements météorologiques extrêmes. Dans l’absolu, le fait d’accroître d’ici à la fin du siècle la température de 2 à 3 degrés ne peut faire réagir personne. De la même manière, il n’est pas plus heureux d’utiliser le terme de «changement» climatique parce que le changement nous apparaît en lui-même comme un phénomène constitutif de nos sociétés.

 

En Angleterre, le journal The Guardian a procédé à un changement de dénomination en la matière, il évoque plutôt «la crise climatique», «l’urgence», voire la «surchauffe climatique». En anglais, on peut également remplacer «Global warning» par «Global heating» qui évoque davantage un phénomène provoqué techniquement. Mais le travail sur les termes n’est pas propre au dérèglement climatique, l’ancien vice-président du GIEC, Jean-Pascal van Ypersele, celui qui a vraiment permis au GIEC de se doter d’une stratégie de communication, ne parle plus de «climato-sceptiques», puisque selon lui, le scepticisme est consubstantiel à la démarche scientifique. Il évoque de préférence «les négateurs de la science du climat».

 

L’expression «effet de serre» nous renvoie à la perception d’une serre, c’est-à-dire d’un lieu parfaitement sous contrôle, plutôt harmonieux, propice à la production de végétaux et où règne une température constante. Alors que la réalité des conséquences du dérèglement est très éloignée de cette image. De même, en matière «d’érosion de la biodiversité», expression qu’il serait préférable de remplacer par sa réalité immédiate, la disparition des espèces animales et végétales, nous pensons qu’il faut arrêter d’employer un jargon technique, peu susceptible de faire comprendre réellement les enjeux, en parlant de «stocks de poissons», mais évoquer plutôt les populations de poissons. La notion de «stock» n’est vraiment pas propice à une conscientisation émotionnelle forte.

 

   Le moment que l’on vit depuis l’apparition de la Covid est lourd en termes de gestion de crise, tant il faut savoir décider sans trop de retard à l’allumage. Les Français ont besoin que l’on se soucie d’eux. Leur environnement vital aussi. La société gagnerait à se convertir à une logique d’anticipation sans en rester à la seule logique de réparation. C’est sans doute aussi le moment propice pour se convertir pleinement à une réelle culture d’évaluation des politiques publiques.

 

L’idée avance depuis les années 80 où quelques francs-tireurs se risquaient à en populariser l’idée. En matière environnementale, il n’est plus incongru ou jugé superflu, comme il l’était auparavant, de faire de l’évaluation. Ainsi, il est de plus en acquis que s’engager dans une perspective de production et de consommation durables nécessite d’évaluer l’impact environnemental des biens et services, en prenant en compte l’ensemble de leur cycle de vie : production, utilisation, élimination. En évitant de se limiter à des approches trop parcellaires ou en veillant qu’en cherchant à diminuer les impacts sur un aspect de tel ou tel produit, les modifications apportées n’entrainent pas d’autres impacts par ailleurs. D’où la nécessité de s’assurer de la pertinence globale de ces modifications.

 

Mais qu’en est-il des décisions générales de l’Etat ou du législateur? Evaluer ainsi la politique en faveur de la transition écologique & énergétique pourrait être un exercice pratique profitable. Un Etat moderne peut-il se contenter d’attendre du juge administratif qu’il lui oppose ses propres engagements climatiques en estimant dans le cas d’espèce qu’il faut accentuer les efforts mais sans préciser quelles mesures supplémentaires “utiles ”devraient être prises ?

Une démocratie moderne ne devrait-elle pas se doter des moyens d’évaluer de son propre chef les décisions et les engagements de l’Etat ? Incidemment, cela serait-il incongru de se poser collectivement la question de savoir le sens que cela a d’être vertueux à l’intérieur de nos frontières, qu’elles soient hexagonales ou européennes, si par exemple l’on continue à subventionner les énergies fossiles à l’étranger?

 

Evaluer est aussi un exercice démocratique.

 

 

1-Des Vents porteurs. Comment mobiliser (enfin) pour la planète, Thierry Libaert (Editions Le Pommier. Septembre 2020).

https://www.pourunerepubliqueecologique.org/2020/09/15/la-planete-brule-par-thierry-libaert-universitaire-membre-du-conseil-scientifique-et-du-conseil-des-membres-du-pré/Thierry Libaert, professeur des universités, auteur d’une trentaine d’ouvrages, président de l’Académie des controverses et de la communication sensible, membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot, du Earth & Life Institute et du CES européen. Il est l’auteur du premier texte européen sur la lutte contre l’obsolescence programmée. Il est particulièrement investi sur les nouvelles modalités économiques de la transition écologique. Il a auparavant été négociateur lors du Grenelle de l’Environnement (Commission Gouvernance, 2007). Missionné en 2018 par le ministre de la transition écologique pour un rapport sur la durabilité des produits, rapport remis en janvier 2019, il a été (septembre 2019) chargé d’une nouvelle mission relative à la compatibilité du modèle publicitaire face aux enjeux de la transition écologique.

Thierry Libaert a aussi publié sur cette question Communication et Environnement, le pacte impossible (Presses Universitaires de France, 2010), La communication verte. L’écologie au service de l’entreprise (Editions Liaisons, 1992. Médaille de l’Académie des Sciences Commerciales).

Thierry Libaert est président du conseil scientifique du PRé

 

2-« Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures », Credoc, Consommation et modes de vie –Mars 2019

 

3-Le siècle vert, Régis Debray (Gallimard, coll. Tracts, 2020)

 

Communication de crise

Thierry Libaert, Professeur des universités, Conseiller au Comité Economique et Social Européen, et Auteur

L'INVITÉ - CMO Radio.Tv

Avec l'air des réseaux sociaux, l'information se diffuse à vitesse grand V. Pour gérer une communication de crise, il faut être flexible et réactif tout en ayant une vision sur le moyen terme. Thierry Libaert nous donne les clefs quant à la stratégie à adopter en cas de crise en entreprise :

https://btobradio.tv/radios/cmo-radio-tv/linvite-4/communication-de-crise-thierry-libaert-professeur-des-universites-conseiller-au-comite-economique-et-social-europeen-et-auteur

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