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Supprimer l’ÉNA pour refonder la formation des grands serviteurs de l’État, par Christophe Rouillon


Christophe Rouillon, maire de Coulaines, conseiller départemental de la Sarthe, vice-pt de l’Association des Maires de France (AMF), réagit à l'annonce hier par Emmanuel Macron de la suppression de l'ENA, ce symbole français de l'excellence bureaucratique créé par De Gaulle, élaboré par Debré et dont Maurice Thorez fut moteur dans sa naissance. Un "Institut du service public" (ISP) devrait lui succéder qui engagera une réforme du recrutement en faveur notamment de la diversité sociale et sans doute de parcours, une réforme du classement de sortie et une politique d’affectation systématique plus longue dans les régions dans des fonctions opérationnelles sur le terrain, et enfin une réforme de la carrière des hauts fonctionnaires, pour un État plus agile, plus efficace. Cette annonce vient traduire une promesse du Président Macron faite en avril 2019 après le "mouvement des Gilets jaunes" et plus de cinquante après la sortie de ce pamphlet politique fameux signé Jacques Mandrin (pseudonyme collectif utilisé par des membres du CERES, Centre d'études, de recherches et d'éducation socialiste, dont Jean-Pierre Chevènement, Didier Motchane, Pierre Guidoni et Alain Gomez ) « L’Énarchie ou les mandarins de la société bourgeoise » qui dénonçait déjà les travers de l’ENA.


   Finalement oui à la suppression de l’ÉNA !

L’ENA a été créée en 1944 après la deuxième guerre mondiale pour rebâtir l’État et pour mettre fin à un système de cooptation qui avait gangrené le système administratif de la III république.

Cette école a permis de sélectionner des étudiants de très haut niveau et de fins esprits qui ont progressivement occupé les plus hauts postes de la fonction publique, de l’État et des grandes entreprises publiques et privées.

Ils ont rendus de grands services à la France, nous devons leur rendre hommage.

 

Mais avec le temps, le pantouflage des meilleurs s’est généralisé dans des postes grassement rémunérés où l’expérience administrative servait à constituer un carnet d’adresse monnayable. Les pas « bankables » se sont organisés, au sein des administrations, en réseaux serrés et intouchables pour se protéger quoi qu’il arrive face la concurrence des non énarques au point de fossiliser les lignes hiérarchiques et de pousser vers la sortie les non soumis à ce cartel.

 

Dans le monde politique, la non appartenance à l’ÉNA a été un plafond de verre infranchissable et une efficace machine à broyer.

 

Les énarques ne se sont globalement jamais adaptés à l’intégration européenne de la France et, rétifs une administration bruxelloise où leur sauf-conduit acquis à l’âge 25 ans compte pour peanuts, ont flingué consciencieusement leurs camarades de promotion en mobilité.

 

La France est d’ailleurs le seul pays de l’Union où une seule école sélectionne ses administrateurs d’État de très haut niveau.

 

Il est temps de retrouver de la pluralité dans les recrutements et de redonner, comme en Allemagne, toute sa place à l’université comme instrument de sélection des élites administratives.

 

Nous avons toujours besoin de sélectionner nos meilleurs administrateurs sur leur capacité à avoir une vision à 360 degrés et à acquérir une culture générale leur permettant d’aborder avec intelligence les situations les plus complexes.

 

La culture du service public et le sens de l’intérêt général doivent être défendus.

 

   Mais nous avons besoin maintenant de dirigeants réactifs, méthodiques, humbles faces aux situations et aux citoyens, capables de mener à bien des projets de A jusqu’à Z, de travailler en équipe, ouverts sur l’Europe et le monde, sachant voir au loin et garder les pieds sur terre.

 

La suppression de l’ENA ne doit pas permettre aux business schools de coloniser l’Etat car la spécificité d’une administratrice ou d’un administrateur n’est pas de faire du fric mais de promouvoir le service public et de servir l’intérêt général.

 

Cette suppression est une chance de réformer l’État, de le muscler face aux enjeux et aux périls, de l’adapter à l’impératif d’intégration européenne, d’ouvrir la porte à des talents bridés par le culte de l’annuaire de l’ÉNA, de revaloriser les carrières internes, de faire aimer notre administration et de redonner confiance en nos institutions.

 

Christophe Rouillon est maire de Coulaines, conseiller départemental de la Sarthe, vice-pt de l’Association des Maires de France (AMF) chargé de l'Europe, membre du Comité des régions et des villes de l’Union Européenne. Rapporteur de plusieurs avis du Comité européen des Régions dont un en juin 2019 intituté Vers un processus décisionnel plus efficace et plus démocratique en matière fiscale dans l’UE et un autre en 2020 proposant de substantiels aménagements au mécanisme pour la reprise et la résilience, dans le cadre du plan de relance européen Next Generation EU, avec pour principal objectif de permettre aux autorités locales et régionales d'être pleinement associées à sa gestion.

Il est également Pt de l'Union des élus socialistes d'Europe (PES local) et Pt du groupe “Socialistes et Démocrates” du Comité européen des Régions.

Christophe Rouillon est aussi membre du conseil scientifique du PRé.

 

Dernières publications : « La sociale-démocratie à l’heure du cyberespace » (The Progressive Post « Data vs démocratie », mai 2019) ; « L’Europe vraiment ! » (éd. Transmettre, avril 2019).

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