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LA PLANETE BRULE, par Thierry Libaert, universitaire, conseiller scientifique du PRé et membre de son conseil


Mais les pompiers sont à pied d'œuvre. Peut-on se rassurer ?

Thierry Libaert : " Cela fait plus de 30 ans que nous essayons de convaincre de la nécessaire transition écologique, de la lutte contre l'emballement climatique, et pourtant rien ne bouge, ou si peu.

Et si on essayait sereinement de se poser la question de nos obstacles, de revoir nos manières de communiquer ? "

La planète brûle. Heureusement, les pompiers sont à pied d’œuvre. Immédiatement, prévenus, les soldats du feu de la caserne la plus proche sont sur les lieux.

 

Les préparatifs sont enclenchés. Les lances à eaux sont braquées sur l’incendie, la grande échelle a été déployée sans que l’on sache encore très bien quelle sera son utilité. Avant le démarrage des opérations d’extinction, le capitaine des sapeurs-pompiers réunit ses hommes pour un rapide briefing ; il faut faire vite car le feu menace de s’étendre et de devenir incontrôlable. « Messieurs, avant toute chose, il est important de savoir si cet incendie a été causé par l’homme ou s’il est d’origine naturelle. » Les pompiers, à ces propos, sont abasourdis tant le péril semble imminent. Ils comprennent mal l’utilité de cette question. Alors qu’ils s’apprêtent à réagir, une autre voix se fait entendre. « De mon côté, je m’interroge : cet incendie n’a pas l’air totalement négatif et peut procurer de nombreux avantages aux habitants de cette planète. »

 

L’étonnement est complet. Rompus aux missions les plus périlleuses et sachant pertinemment que chaque minute compte, les pompiers s’interrogent sur l’utilité d’éteindre un incendie. Revêtu d’une blouse blanche, ce qui détone un peu parmi les nombreux uniformes noirs, le responsable scientifique de la lutte contre les incendies interroge les soldats du feu : « Messieurs, pourquoi ne pas croire en l’intelligence de l’homme et en son ingéniosité ? Vous voilà prêts à balancer des tonnes d’eau sur les flammes et à gaspiller un liquide si précieux. Il suffirait de temporiser un peu et, dans quelques années, la science trouvera nécessairement un moyen plus efficace et moins coûteux pour éteindre cet incendie. »

 

Un jeune apprenti pompier hausse la voix. « Collègues, êtes-vous devenus fous ? Vous savez qu’il nous faut agir immédiatement, le péril croît, nous sommes ceux qui sauvent. » Sur ce, il se saisit d’une lance, ouvre l’arrivée d’eau et s’avance vers les flammes.

 

Le lieutenant ferme aussitôt le robinet et s’adresse à la jeune recrue : « Ton dévouement t’honore et je ne peux que t’en féliciter.

Mais apprends à refreiner tes impulsions. En éteignant cet incendie, tu risques d’attenter à d’importants intérêts économiques auxquels tu n’as peut-être pas pensé. »

 

La situation vire à l’absurde. Une nouvelle voix s’élève. « Nous ne pouvons pas éteindre cet incendie en ordre dispersé, pour projeter de l’eau sur les flammes, chacun d’entre nous devrait disposer de quotas. »

 

Présents en masse, les nombreux badauds qui s’étaient agglutinés ne comprennent rien aux atermoiements des pompiers.

Une nouvelle dispute apparut toutefois et les pompiers se rangèrent en deux camps ; ceux qui pensaient préférable d’éteindre le feu par le haut et ceux qui jugèrent plus efficace d’orienter les lances directement vers les racines des flammes.

 

Une sonnerie téléphonique se fit alors entendre. Le capitaine des pompiers décroche, puis après une courte conversation prévient aussitôt ses hommes : « Les ordres sont formels. Notre rôle n’est pas d’éteindre cet incendie, mais de faire en sorte qu’il ne s’étende pas à plus de 20 % de sa surface actuelle d’ici 2050. »

 

N’y tenant plus, les badauds de plus en plus nombreux commencent à houspiller les pompiers pour leur incapacité à agir. Particulièrement excédée, une personne présente depuis l’apparition des premières flammes interpelle les autres spectateurs.

« Mesdames, Messieurs, nous assistons à un double échec. Ce n’est pas que les pompiers ne réussissent pas à éteindre l’incendie, c’est surtout qu’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l’objectif même de son extinction. Il nous faut agir nous-mêmes : que chacun d’entre nous récupère des seaux. Cet incendie, nous l’éteindrons nous-mêmes. »

 

Chacun approuva et se prépara à agir, il fallait reprendre le contrôle de la situation trop longtemps déléguée à des soi-disants experts de la lutte contre les incendies.

 

Couvrant le brouhaha ambiant, quelqu’un cria sa question : « Les seaux, de quelle couleur ? »

 

 

N.B : cette (nouvelle) fable - à peine - dystopique que nous offre Thierry Libaert constitue l'avant-propos de son dernier livre à paraître demain :

Comment mobiliser (enfin) pour la planète (Ed Le Pommier, collec Essais, manifestes) chez l'éditeur du regretté Michel Serres.

 


Thierry Libaert, universitaire, membre du conseil scientifique et du conseil des membres du PRé est Pt de l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible (ACCS) et membre du CA de l’Institut des futurs souhaitables.

Auteur d'un récent rapport sur « Publicité et transition écologique » remis en juin dernier à la ministre de la Transition écologique et solidaire.

Dernier ouvrage paru : La communication de crise (Dunod, février 2020, 5eme édition d'un livre paru en 2001).

 

A paraître demain 16 septembre 2020  : Comment mobiliser (enfin) pour la planète (Ed le Pommier, collec Essais, manifestes)

D'année en année, la lutte contre le dérèglement climatique est passée de considérations géopolitiques générales, d'objectifs globaux jamais atteints, à la responsabilisation de chacun, à des écogestes du quotidien qui nous ont rendus plus acteurs de la mobilisation. Pourtant, rien ne change. Pire : l'idée de développement durable a laissé place à celle d'effondrement ! Si le tableau s'est assombri, c'est que nous avons pris conscience que rien ne serait réellement possible si nous ne changions pas notre imaginaire, nos perceptions, nos croyances.

Les leviers de cette transformation ? Thierry Libaert, fin connaisseur de l'intérieur des politiques de l'environnement en France, les a identifiés, et il nous en fait part, non en théoricien abstrait, mais en praticien soucieux d'efficacité. Pour lui, fini le temps des injonctions qui ne servent qu'à valoriser leurs auteurs. C'est tout un modèle qu'il faut réinventer, à commencer par notre façon d'en parler...

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