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EHPAD MON AMOUR , par Laurent Garcia, cadre de santé


LAURENT GARCIA : " CE QUE NOUS PARTAGEONS DEPUIS TOUJOURS N'EST PAS D'ETRE DE SIMPLES ACCOMPAGNANTS VERS LA MORT MAIS DES FAISEURS DE JOIE POUR CONTINUER A S'INSCRIRE DANS LA VIE "

 

Entre légèreté et gravité, fragilité et intensité, Laurent Garcia qui se décrit comme un « funambule » s’est fait le chroniqueur de la tension qui a existé et continue d’exister dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), entre la crise pandémique avec le Coronavirus et la nécessité de continuer à vivre. Dans celui où il travaille, l’Ehpad des Quatre saisons à Bagnolet (93), tout le monde essaie de se reconstruire grâce à l’échange, à la parole mais grâce aussi à l’amour.

Il faut écouter Laurent Garcia : c’est un personnage durassien, il se souvient et n’oublie rien. la tessiture de sa voix nous plonge dans la bande-son mélancolique d’un film de Hong Sangsoo qui ferait espérer, où le temps ne ferait pas que juste s'écouler.


 

 

 

En ce premier Dimanche de juillet, jour de repos dans un pavillon de la Seine-Saint-Denis, sévit un confinement bien plus dur à vivre que le mien qui suis un privilégié : celui des pensionnaires de mon Ehpad.

 

Ce jour de repos me donne le loisir de mettre sur le papier pour le PRé ces quelques lignes pour partager ce que j’éprouve en tant que cadre de santé à l’ « EHPAD des Quatre Saisons », mais surtout, peut-être, pour engager une réflexion sur « l’après ».

 

 

 

 

 

 

Isthmes N°23, François Lemaire, "L'Heure bleue", 2018

 

" J’aurais voulu être un artiste…. je suis cadre de santé ou plutôt ambianceur "

 

Cette crise, aussi dure soit-elle, nous donne à réfléchir sur ce que nous, professionnels, familles, souhaitons pour nos « anciens ». Ce que nous vivons et mettons en place actuellement sont des pistes en vue d’un meilleur accueil, même si la réflexion a déjà été engagée.

Il est bon de réentendre les mots adressés avec tant de respect aux personnels soignants qui ont si longtemps été invisibles et peut-être même dénigrés. Aides-soignants, aides-soignantes, infirmiers, infirmières, personnel de cuisine, de service sont autant de professions qui participent effectivement au bien-être de nos aînés quand le choix est fait de l’installation en EHPAD.

Ce respect ne devra pas être oublié et les rémunérations devront être réévaluées.

 

Il y a quelques semaines, paraissait sous la plume de Florence Aubenas dans le journal Le Monde le récit des 11 premiers jours du confinement. Ses mots sur le quotidien de notre établissement étaient justes, sincères et peu de choses sont à ajouter pour comprendre ce que nous vivons actuellement.

Il n’existe pas un dedans et un dehors de l’EHPAD mais des vies.

Une soignante qui traverse des difficultés chez elle continuera de les vivre à la résidence. De ce simple constat, j’ai toujours voulu, comme cadre, que la parole de « mes soignantes » soit libre et qu’elles puissent facilement pousser la porte de mon bureau ou me parler, quand nous nous croisons dans les couloirs. Pas seulement au sujet de la situation de tel ou tel résident mais d’elles, de leur famille.

Voilà à mon sens un point essentiel de ma façon d’exercer ma fonction.

Je ne suis pas le donneur d’ordre mais l’ambianceur, celui qui admire le dévouement des soignants, qui facilite leur travail, qui dit « je vous aime » à défaut de pouvoir les serrer dans ses bras.

 

Je les aime aujourd’hui mais je les aimais hier aussi.

 

Mon travail est d’être disponible, à l’écoute de leurs difficultés quelles qu’elles soient, et surtout de mettre tout en œuvre pour que nous trouvions la solution ensemble. Il est aussi de faire en sorte que les bonheurs s’expriment.

Alors, si parfois la musique, les danses sont bruyantes, je suis là bien sûr: mais sans être dans la réprobation systématique mais en laissant la place à la joie, sans réprimer mais en participant à tout. Le bonheur d’être vivant n’a pas à être sanctionné, et les initiatives des résidents doivent pouvoir s’épanouir autant que possible.

Les EHPAD sont avant tout des lieux de vie.

 

Cette « tribune » n’existe que pour continuer à mettre en avant le travail des équipes soignantes, des cuisiniers, des équipes de service, d’entretien et de la direction. Nous n’avons pas eu le temps de nous abandonner à la sidération : tous autant que nous sommes, nous avons d’abord pensé aux résidents, à faire au mieux avec nos moyens et là où nous étions.

Il est remarquable que ce temps ait permis un décloisonnement des tâches, de mettre en lumière l’entraide qui existait entre tous les membres du personnel. Nous étions une équipe, nous sommes devenus une famille, j’ose le croire et m’en réjouis.

Rien n’était gagné d’avance. Car si pareil comportement en période de crise relève à mon avis du bon sens, j’ai l’impression que ces dernières années le clivage entre cadres et équipes s’était accentué. Les premiers, voyant les seconds comme de simples exécutants, les seconds pensant de plus en plus que les premiers sont dans l’incapacité de comprendre la difficulté et le nombre de tâches quotidiennes qui leur incombent.

 

Réaliserons-nous un jour que onze toilettes pour une soignante n’est pas acceptable ? Qu’un infirmier pour soixante-cinq résidents n’est pas suffisant ?

Est-il raisonnable de penser que deux personnels d’entretien pour soixante-cinq chambres dans un milieu médicalisé permettent de respecter le protocole d’entretien, comme le voudraient les équipes elles-mêmes ? Pouvons-nous nous résoudre à ce qu’il n’y ait seulement que deux personnes présentes la nuit ?

 

Aujourd’hui, dans les lumières d’été, mais aussi les lumières de la crise, plus de "sachants", plus de chefs ou d’ordres péremptoires mais du temps pris (provisoirement ?) pour une réflexion commune sur ce qui est le mieux pour chacun des résidents, pour chacun des membres de l’équipe. Les codes habituels de distance, nos codes de langage, ont été remisés pour cause de Covid, mais nous avons su inventer de nouvelles façons d’échanger, malgré une communication emmaillotée par le port du masque.

Tout ce que j’ai toujours voulu, tenté, est devenu simplement possible (sic !)

 

" L’urgence à créer du temps "

 

De fait, ici aux Quatre Saisons, plus personne n’impose ce qu’il y aurait à faire ou ce qu’il faut faire, mais tout le monde fait. Et quand il faut créer un « espace Covid » nécessitant le déménagement de nombreux résidents, c’est toute une équipe qui se met en marche. Tout un chacun met la main à la tâche, le cadre devient déménageur, le personnel d’entretien devient celui qui prend du temps pour écouter, l’aide-soignante ou l’infirmier permettent que les soins continuent pour chacun des résidents malgré le grand chamboulement.

Tout cela a été fait avec une certaine douceur, car nous n’oublions pas que certains de nos résidents seraient déstabilisés par tant de changement s’il était effectué brutalement. Nous le faisons ensemble.

J’en appelle, encore plus aujourd’hui, à la douceur et à la convivialité.

 

Les repas sont le temps par excellence de la convivialité, le moment où la salle commune se remplit, où le personnel de service virevolte pour que tous puissent être servis chaud, où les aides-soignantes accompagnent, restent attentives pour que tous se restaurent convenablement.

Aujourd’hui cet espace a par la force des choses disparu …  Mais nous avons mis en place un service au perron des chambres, les mots, les rires traversent les couloirs. Si cela permet de moins mal vivre le confinement en chambre, cette solution a également permis d’alléger le travail de service et aux équipes présentes de partager le repas avec de nombreux résidents, comme d’aider à manger les résidents alités.

 

S’autoriser des écarts, c’est aussi permettre à deux de nos hôtes, à tour de rôle, de rejoindre la salle commune, d’y manger « en amoureux » à distance tout en restant protégés. Les tâches restent mais de nouvelles apparaissent : les échanges par de nouveaux canaux avec les familles, des photos envoyées, des petits mots qui rassurent. Des tensions qui n’étaient pas encore réglées ont peut-être disparu ou ont été simplement mises entre parenthèses ?

Je cherche encore la meilleure façon pour que disparaisse l’idée d’un dedans et d’un dehors de l’EHPAD, pour qu’il existe un temps singulier pour les familles.

 

Aujourd’hui, il ne s’agit évidemment pas d’alourdir les tâches du personnel mais d’opérer encore un nouveau partage en mettant en attente certaines tâches administratives dont le nombre a exponentiellement augmenté ces dernières années pour revenir à ce qu’est pour tous notre cœur de métier, être proches des résidents, prendre le temps d’écouter, d’échanger.

 

Comment cela sera-t-il encore possible après ? Quand disparaîtra la mainmise des protocoles et des contre protocoles arrivant par mail au bénéfice d’une réflexion et d’une organisation pensées depuis ce que nous vivons au quotidien ?

Nous essayons d’ouvrir quelques fenêtres. Bientôt, j’espère que nous ouvrirons les portes … que nous multiplierons les échanges, les rencontres, les solidarités.

Certains de nos résidents qui avaient leurs habitudes de balade ont eu besoin de sortir. Nous l’avons fait, les avons accompagnés dehors pour qu’ils réalisent les rues désertes, qu’ils comprennent qu’ils n’étaient pas seuls à devoir vivre le confinement. Nous nous sommes efforcés d’allier le dire à l’agir pour que la nouvelle organisation soit comprise.

 

Finalement, être cadre de santé, c'est à mon sens savoir s’affranchir de la pensée que nous serions indispensables, que nous ne serions que les simples messagers des ordres et contrordres, les bons élèves des ARS (Agences Régionales de la Santé), c'est être capable de penser notre action au regard du nombre de résidents, des forces et des volontés présentes.

Il est clair que les aides-soignants, infirmiers, cuisiniers ou personnels de services qui travaillent, pour certains depuis de nombreuses années en EHPAD, sont pleins de bon sens et que c’est bien leurs sourires et leur expérience qui sont précieux pour les résidents et indispensables pour traverser la crise en cours et penser l’après.

 

Ma manière n’est pas forcément la bonne manière ou celle qui sera possible partout, pour tous. Elle oscille entre respect des recommandations et écarts réfléchis. Tout cela est envisageable au sein de « l’EHPAD des 4 Saisons » pour de multiples raisons : notre taille, nos liens avec la municipalité, nos réseaux.

En effet, les solutions ne seront pas les mêmes dans un établissement accueillant 65 résidents et ceux accueillant 100, 200 personnes ; les possibilités ne sont pas les mêmes quand aucun membre des équipes n’est absent et quand il manque 10%, 20% du personnel.

Je suis cadre dans un petit établissement où l’entente entre tous existait avant le confinement. L’établissement des « 4 Saisons » offre par ailleurs et à plusieurs égards une faculté importante à se réorganiser ; en effet, nous sommes une petite centaine à y vivre, la majorité du personnel réside à proximité et n’a pas à faire des heures de trajet pour venir travailler, personne ne se pense supérieur à l’autre.

J’ai eu la chance que personne n’ait fait valoir une quelconque qualité pour passer un test Covid alors que l’ensemble du personnel et des résidents ne le pouvaient pas, j’ai eu la chance que personne n’ait trouvé judicieux en période de pénurie de masques de faire valoir sa protection personnelle avant celle des personnels en contact direct avec les résidents suspects.

Médecin, directeur, cadre de santé, infirmiers, aides-soignants, personnels de service, de cuisine, personne n’a fait sentir aux autres qu’il était plus important. Nous sommes dans le même bateau.

 

Cadre de santé dans un EHPAD, je me préfère ambianceur dans un lieu de vie. Et je me réjouis de penser que ce que

nous partageons depuis toujours n’est pas d’être de simples accompagnants vers la mort mais des faiseurs de joie pour continuer à s’inscrire dans la vie.


Laurent Garcia est cadre de santé à la résidence médicalisée "Les quatre saisons", Ehpad public du centre Intercommunal d'action sociale (CIAS) de Bagnolet. Il y anime, gère et encadre les équipes; il assure la transmission des informations entre la direction des soins et les équipes de l'Ehpad, a en charge l'organisation des actes de soins et paramédicaux, mais sussi la gestion, le coordination et la planification de l'activité.

C’est à la faveur d’une enquête-immersion de la journaliste Florence Aubenas au sein de l’Ehpad de la banlieue parisienne (donnant lieu à un papier publié le 31 mars en « Une » du Monde) que Laurent Garcia est devenu une figure involontaire du confinement quotidien des soignants, des personnels et des résidents des Ehpad. Son empathie, son caractère sont au cœur même de l’enquête de la grande reporter au Monde. Laurent Garcia aime transmettre sa passion pour son métier : Il a été jusqu’à créer un blog personnel intitulé… ­ehpadmonamour (http://ehpadmonamour.over-blog.com).

Quelques jours après la publication de l’article du Monde, il fut invité en direct dans la matinale d’Europe 1, puis de France Inter et d’autres radios et médias. Il a su toucher le public par son témoignage sur les conditions de vie des pensionnaires et de travail des personnels soignants.

Il a signé le 26 mai dernier avec 150 personnalités, professionnels du secteur de l’aide aux personnes âgées, syndicalistes, acteurs économiques et sociaux, associatifs ou politiques, intellectuels, experts, un Appel (« Manifeste pour une révolution de la longévité » ) qui invite à repenser le lien entre les générations et mobiliser tous les leviers de la société pour relever le défi démographique du grand âge.

 

Il sera l’un des invités, avec Florence Aubenas, des Assises nationales des Ehpad, qui se tiendront à Paris le 16 septembre prochain.

garcia laurent

@garcialaurent16


Remerciements à François Lemaire, artiste-peintre, pour sa toile Isthmes N°23, "L'Heure bleue", 2018, 81 x 65 cm

 

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Commentaires: 5
  • #1

    Ndiwungu (mercredi, 15 juillet 2020 02:05)

    J’ai la joie de lire ce journal, bien notre cadre était toujours derrière nous, il nous a encouragé , il venait chaque jour à 6h50 où 7h a en ehpad.grace à ça que durant la période de covid -19 tout le monde était présent.bref il nous a tenu la main forte. On l’aime bien. Félicitation mon cadre de santé Mr Garcia sans oublié le directeur et le médecin coordinateur.

  • #2

    Frédérique Rouff (mercredi, 15 juillet 2020 07:46)

    Cet homme Laurent Garcia est quelqu’un de fantastique, il est magique il faeut qu il écrive un livre il sera le Goncourt Il aime les gens il est respectueux avec les personnes qui travaillent avec lui , il devrait rentré en politique c est un homme.

  • #3

    URGENT BFMTV (mardi, 25 janvier 2022 10:01)

    Bonjour Mr Garcia,

    Nous souhaiterions vous recevoir dans une émission et pouvoir échanger avec vous.

    Pouvons-nous échanger au 06 30 56 16 73 ?

    Déborah Collet, journaliste chez BFMTV

  • #4

    SOLANGE POUTS (mardi, 08 février 2022 16:58)

    Employée en maison de retraite( collectivité territoriale ) de 1972 à2005 tout ce que j'entends ces jours-ci je l'ai vécu pendant 33 ans( au su de tous) l le nombre de fois ou j'ai voulu partir ........mais chaque fois je disais le peu que je leur apporte c'est toujours CA.....;Je n'entends pas beaucoup de familles dire et si j'avais été plus présent le covid a bon dos .Courage !Continuez...;;;

  • #5

    GILSANZ DELPHINE (jeudi, 05 janvier 2023 07:53)

    Bonjour mr Garcia
    j'étais infirmiere libérale pendant 30 ans sur Drancy, j'ai rejoints mon mari médecin dans le sud de la France et je suis rentrée dans un Ehpad publique, je suis adhérente à l'OGRA, j'ai besoin de votre aide