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UE et COVID-19 : quels outils de solidarité ?, par Yves Bertoncini

 

 Série PRé Le monde d'après, c'est maintenant

 

La diffusion mondiale du coronavirus suscite une crise à la fois sanitaire, économique et sociale en Europe, et qui menace de se transformer en crise politique sur fond de vives tensions entre pays de l’UE.

Il est donc essentiel de mieux identifier le contenu des réponses que l’UE et ses Etats-membres formulent pour faire face à cette crise multiforme, mais aussi de clarifier les enjeux du débat qu'elles suscitent,avant d’en tirer toutes les leçons pour projeter l’Europe dans l’après-crise.

 

 

Sur le 1er registre, il convient tout d’abord de souligner que les Européens doivent affronter la crise du coronavirus dans le cadre juridique et politique défini par les Traités. Ce sont donc essentiellement les Etats-membres qui disposent des outils de gestion de crise les plus importants, avec l’intervention complémentaire mais décisive de l’UE.

 

1. Les réponses européennes à la crise sanitaire : une coordination des Etats à renforcer

 

La santé publique étant une compétence largement nationale, voire régionale, les Etats de l’UE sont en 1ère ligne face au coronavirus. Les critiques dénonçant le « déficit d’Europe » face à cette crise sont à la fois paradoxales et globalement injustifiées. Ceux qui émettent ces critiques auraient-ils accepté la légitimité de décisions de confinement prises par le Conseil européen, voire la Commission ? Et accepteront-ils que soient renforcés les pouvoirs de coordination et d’intervention de l’UE en matière sanitaire lorsque les leçons de la crise auront été tirées ?

 

A ce stade, les interventions de l’UE se sont limitées à coordonner la mise en œuvre des mesures sanitaires adoptées par les Etats-membres, dans le cadre défini par l’article 196 du TFUE relatif à la prévention des catastrophes naturelles ou d’origine humaine et à la protection contre leurs effets. Ce sont notamment les outils disponibles dans le cadre du « mécanisme de protection civile »  européen qui ont pu être mobilisés (centre de crise « ERCC », « réserve européenne de protection civile » constituée d’experts en protection civile, de moyens de transport et d’équipements, Corps médical européen, etc. Une réserve d’équipements médicaux supplémentaire a même été créée pour l’occasion (« RescEU »), incluant des respirateurs et des masques financés à 90% par l’UE et 10% par les Etats-membres, pour un budget de 50 millions d’euros. Le lancement d’un appel d’offre commun pour l’acquisition de matériels médicaux et le financement de projets de recherche européens sur les vaccins font aussi partie des interventions européennes venant utilement compléter la mobilisation sanitaire des Etats-membres.

 

Des actions de solidarité entre Etats membres ont par ailleurs pu se mettre en place, notamment pour le transfert de patients ou l’envoi de matériels médicaux nécessaires à la lutte contre le coronavirus – après que la Commission ait utilement dû rappeler à l’Allemagne et à la France qu’il était illégal d’interdire l’exportation d’équipements médicaux vers l’Italie et les autres pays de l’UE…

 

Ces balbutiements soulignent à eux seuls la nécessité de tirer les leçons de cette crise afin de renforcer les capacités de coordination de l’UE en matière sanitaire : d’une part quand il s’agira de planifier la sortie de crise, et notamment la fin des périodes de confinement et de restriction de la libre circulation des personnes, afin d’éviter une nouvelle propagation du virus et de conforter la reprise des économies ; d’autre part afin d’élargir le financement et le champ d’intervention du mécanisme européen de protection civile sur notre continent, dans la lignée des propositions formulées par Michel Barnier il y a près de 15 ans…

 

2. Des réponses économiques et sociales d’abord nationales : une flexibilité à valoriser

 

Les stratégies de confinement peu à peu mises en place dans la quasi totalité des pays de l’UE ont conduit à un placement en coma artificiel des économies et des entreprises de notre continent, qui place là aussi les Etats membres en 1ère ligne. Financer le chômage partiel des salariés ou indemniser les nouveaux chômeurs, différer ou alléger les prélèvements obligatoires acquittés par les acteurs économiques ou financer des mesures d’urgence en matière médicale et hospitalière sont en effet autant d’actions décisives appartenant au registre d’intervention des Etats et/ou de leurs collectivités régionales.

 

Dans ce contexte, les institutions européennes ont fait le nécessaire pour donner toutes les marges de manœuvre aux Etats-membres, en acceptant de mettre à profit la flexibilité des contrats de mariage passés au moment de la création du marché commun, puis de la zone euro : d’une part en laissant largement libre cours aux aides d’Etat accordées aux entreprises des pays de l’UE ; d’autre part en activant la « clause de suspension générale » du pacte de stabilité et de croissance, qui autorise les Etats-membres à laisser leur déficit filer bien au-delà des 3% de leur PIB.

 

Une flexibilité comparable a été accordée pour l’activation des clauses de sauvegarde permettant le retour des contrôles systématiques aux frontières dans l’espace Schengen. Les institutions européennes ont fourni aux États membres des lignes directrices sur les mesures à prendre aux frontières pour protéger la santé des citoyens tout en permettant la libre circulation des biens essentiels (via des couloirs spécifiques) et la liberté de mouvement des personnels médicaux. Des aménagements ultérieurs sont à prévoir, par exemple en matière agricole, afin de favoriser les mouvements des travailleurs européens saisonniers, dont la présence est indispensable pour nombre de récoltes printanières sur notre continent.

 

Il importe de valoriser comme il se doit cette flexibilité européenne bienvenue, qui va à l’encontre des faux procès régulièrement instruits contre les présumés « dogmes bruxellois » – sauf à laisser célébrer une mise en cause plus fondamentale des engagements européens pris par les Etats membres et formalisés par les Traités. Cette valorisation de la flexibilité temporaire accordée par l’UE est d’autant plus essentielle qu’il s’agit là aussi de préparer l’après-crise, c’est-à-dire le moment du retour à l’esprit des contrats de mariage passés entre Européens en matière de libre circulation et de finances publiques.

 

3. L’usage des outils budgétaires et financiers européens : une solidarité à approfondir

 

Après quelques atermoiements initiaux, les institutions de l’UE ont mobilisé de manière plutôt convaincante les outils budgétaires et financiers dont elles disposent, et qui matérialisent la solidarité entre Européens.

 

La Commission européenne s’y est pris à deux fois pour annoncer la mise en place d’un fonds spécial de 25, puis de 37 milliards d’euros, notamment abondés par des fonds structurels non utilisés, sans exclure de mobiliser plus encore le budget communautaire. Ce budget est certes d’une ampleur limitée (à peine 1% du PIB de l’UE), mais il pourra avoir un impact décisif dans le secteur agricole.

 

La Banque Européenne d’Investissement (BEI) a déjà accordé 8 milliards d’euros de prêts supplémentaires aux PME et a annoncé son intention de porter ce montant à 20 milliards.

 

La Banque centrale européenne a décidé le 18 mars d’adopter un « programme d’achat urgence pandémique » prévoyant des rachats de dette publique et privée pour 750 milliards d’euros d’ici fin 2020. Elle a annoncé qu’elle pourrait racheter les dettes des Etats les plus nécessiteux sans se conformer aux limites fixées par la répartition de son capital social. Au total, ses interventions pourraient excéder 1 000 milliards d’euros, soit un montant d’une ampleur inédite sur une si courte période.

 

Ces trois contributions notables n’ont pas empêché le développement d’un vif débat de sur les voies et moyens d’approfondir la solidarité financière européenne, via le recours à de multiples actions et outils complémentaires, allant de l’ajustement du prochain « cadre financier pluriannuel » 2021-27 à la levée de ressources européennes sur les marchés (par la BEI, le Mécanisme européen de stabilité ou grâce à l’émission de « project bonds ») en passant par des interventions complémentaires de la BCE (via son programme « Outright Monetary Transactions »).

 

Ces interventions financières complémentaires et mutualisées sont nécessaires afin de permettre à l’ensemble des Etats membres d’affronter efficacement la crise et l’après crise, dans une Union si interdépendante que les défaillances dans tel ou tel pays auraient un impact négatif direct sur ses voisins : il ne suffit pas de laisser les Etats membres dépenser comme bon leur semble, il faut aussi soutenir ceux dont les marges de manœuvre budgétaires sont très limitées, alors qu’ils sont en 1ère ligne (en particulier l’Italie). De telles interventions financières semblent aussi possibles d’un point de vue politique : à la différence de la zone euro, le coronavirus frappe l’ensemble des Etats de l’UE et aucun d’entre eux ne peut être suspecté d’être à l’origine de ce virus. Le Conseil européen du 26 mars n’ayant pu aboutir sur le sujet, ses membres se sont donnés deux semaines pour approfondir leurs réflexions – dont il faut espérer qu’elles soient conduites sans totem, ni tabou…

 

Dans cette attente, il est souhaitable que l’ensemble des interventions européennes déjà engagées soient connues et valorisées comme elles le méritent, mais aussi que lers termes du débat public sur ce que fait ou non l'UE face au coronavirus soient clarifiés de manière urgente.

 

Yves Bertoncini est consultant en affaires européennes. Il a occupé de multiples fonctions, d'administrateur de la Commission européenne à celles notamment de directeur de l’Institut Jacques Delors (Notre Europe) entre 2011 et 2017, chargé de mission « Europe » au Centre d’analyse stratégique/France Stratégie (2006-09) et conseiller auprès du Secrétaire général des Affaires européennes (2010-11).

Il est Senior Adviser chez APCO Worldwide, Conseils stratégiques sur les affaires européennes.

Enseignant à la Paris School of International Affairs, Sciences Po et dans le cadre du séminaire Connaissance de l'Union européenne, Corps des Mines / Mines Paris Tech.

Yves Bertoncini est président du Mouvement Européen – France..

 

Dernier ouvrage paru : « Politique européenne : Etats, pouvoirs et citoyens de l'Union européenne » (Dalloz, 2010)

Dernier article publié par le PRé : « Covid-19 : « Où est passé l’esprit de corps européen ? » (03-04-2020)

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LE MONDE D'APRES, C'EST MAINTENANT

 

 

Une série de contributions sur " le monde d'après, c'est maintenant ", sous forme d’articles, analyses, idées, sous forme de tribunes d’opinion, sous forme d’entretiens, voire de chroniques de post-confinement, mais aussi possiblement sous forme de textes littéraires, poétiques, de gestes artistiques, de vidéos smartphone, capsule vidéos PowerPoint…

 

Il est trop tôt pour faire le bilan de la crise du Covid 19, mais pas pour commencer à « tirer des leçons », à analyser les premiers effets de cette crise pandémique et à songer utilement à « l’après ». Le Covid-19 n’est évidemment en rien « salutaire », mais il nous permet cependant de mesurer nos fragilités et celle de nos sociétés dont le caractère non safe et non durable éclate au grand jour. C’est un chaos humain dont la réponse génère un désastre humain.

 

Il interroge notre rapport à la mort. Il nous amène à repenser le progrès, le monde, à nous repenser nous-mêmes et dans notre rapport aux autres. Il plaide pour une réhabilitation de l’État dans sa fonction de stratège, délaissée au fil du temps, pour sa restauration en tant que garant de la protection et de la prospérité pour tous, pour sa transmutation en un État à la fois social et écologique.

 

La question, aujourd’hui, pas demain, n’est pas d’attendre que ça passe, de revenir à « la normale », elle est ni plus ni moins de se ménager un monde où les humains puissent se retrouver, où leurs désirs et leurs besoins les plus basiques, la nourriture, un toit, aux plus sociaux, aux plus «humains», le besoin de reconnaissance et d’affiliation, leur désir de participer à la vie et aux décisions de la Cité, soient entendus. Elle nous invite en ce XXI ième siècle à « faire commune ».

 

La question est de définir un espace où nous pourrions continuer de vivre, sans nous laisser accaparer par la peur, ni nous laisser distraire par la pensée magique ou les déconstructions hasardeuses, ni nous faire enfler par l’extension du domaine de la biopolitique, ni nous abandonner davantage à la tentation du repli tribal. Elle ne concerne pas que la stratégie de sortie progressive de l’actuelle crise sanitaire, elle commande de se préparer à la diversité des menaces : virales, dans toutes leurs formes, y compris cyber-attaques, etc. mais aussi d’anticiper le pire à venir pour amortir les conséquences des chaos dont nous savons la prévisibilité (crise climatique). La question convoque les enseignements de l’expérience vécue, mais aussi notre sens du défi et la puissance de l’imaginaire. Et notre ambition : s’agit-il de penser le « Jour d’après » ou le « monde d’après » ?

 

On ne va pas sortir de la crise. Autrement dit, il n’y a aura pas d’après. Mais un rappel permanent de nos vulnérabilités, de notre précarité, de la non-durabilité de nos sociétés, comme de la finitude du monde. On ne va passer d’un coup d’un monde écrasé par le désir d’accumulation à un mondé ré-enchanté qui ferait toute sa place à la confiance mutuelle, à l’émancipation et au sublime de la vie. Mais il n’est pas interdit d’y travailler. En faisant avec les paradoxes de la situation et en se défaisant de l’illusion de perspective.

 

"Il n'y a pas de lendemain qui chantent, il n'y a que des aujourd'hui qui bruissent" (Alain Damasio).

 

 

 

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