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REFLEXIONS SUR LES CONSEQUENCES ECONOMIQUES DE LA CRISE SANITAIRE, par Jean-Marc Denjean

 

Série PRé Le monde d'après, c'est maintenant

 

Il n’aura échappé à personne que derrière ou plutôt simultanément à la crise sanitaire majeure que nous vivons, se profile le spectre d’une crise économique mondiale systémique dont les conséquences à moyen terme et long terme affectent l’ensemble de l’économie de marché avec les conséquences humaines et sociales que l’on devine.

La priorité est évidemment la protection de la population et donc de chacun d’entre nous contre cette attaque virale contre notre espèce, l’Homo Sapiens. La question du risque économique et donc social mérite une analyse attentive du processus en cours, sur les risques à court et moyen terme et une réflexion sur les voies et moyens d’une issue qui soit la plus positive pour l’humanité.

 

De ce point de vue , les articles ou déclarations dénonçant les causes de cette crise et la responsabilité fondamentale de notre modèle de production et d’échange, à savoir le capitalisme, sont très intéressants mais n’apportent aucun élément nouveau sur ce que nous savons depuis Karl Marx sur la nécessité de changer notre société sauf à continuer à accumuler crise sur crise ce qui s’est vérifié tout au long du 20ème siècle et encore récemment avec la crise financière de 2007-2009. Sans oublier la dimension écologique et les conséquences sur l’écosystème planétaire d’un système particulièrement prédateur.

 

Le capitalisme globalisé, de façon brutale et soudaine, montre ainsi ses faiblesses et ses limites. Non pas que ses contradictions internes et ses impasses systémiques ne soient pas connues, du moins d’une partie éclairée de l’opinion publique.

Cette crise est en fait la première crise majeure mettant à nu toutes les fragilités d’une économie globalisée dans laquelle la division technique du travail, local et transnational avec son cortège d’hyperspécialisation à l’échelle géographique mondiale mais aussi à tous les échelons territoriaux a multiplié les interdépendances. Notre monde s’est ainsi transformé en un énorme château de carte reposant sur un équilibre fragile.

 

L’aspect nouveau de cette crise réside dans le fait qu’elle touche l’économie réelle et donc tous les aspects de la vie quotidienne. Ce n’était pas le cas de la crise de 2007-2009 qui concernait la sphère financière de l’économie à partir d’une bulle spéculative sur les créances « pourries » et d’un défaut bancaire comportant un risque systémique. Les Etats et les banques centrales ont pu éteindre le feu et limiter la contamination à l’ensemble de l’économie au prix « d’un simple ralentissement » de la croissance économique mondiale tirée essentiellement par la Chine. Elle a néanmoins entraîné une crise des dettes souveraines dans la zone euro avec ses conséquences en termes de politiques d’austérité sans que le problème soit structurellement résolu.

 

Pour « relancer la machine » les Banques centrales (FED, BCE, Banque du Japon) ont inondé les économies de liquidités ce qui s’est traduit par la poursuite d’un surendettement au niveau des états comme des ménages à l’échelle mondiale avec évidemment d’importantes disparités entre Etats. Cela s’est également traduit par une baisse sensible des taux d’intérêts à court et long terme à partir de 2014, laissant l’illusion de rentrer dans un monde merveilleux de l’argent « pas cher » pour les ménages comme pour les états. Ce qui est étonnant, c’est de voir certains économistes ne pas s’étonner de cette situation aberrante et théorisant sur le caractère durable des taux d’intérêt négatifs.

 

Le réveil risque d’être dur. En fait, injecter des liquidités dans un système souffrant d’une suraccumulation de capitaux pour alimenter une dette colossale par ailleurs a quelque chose d’aberrant qui relève d’une fuite en avant quelque peu suicidaire.

Dans ce cadre, diminuer les impôts en particulier pour les plus riches comme Donal Trump aux USA ou Emmanuel Macron en France n’a pu que contribuer à aggraver le déséquilibre structurel du système dans sa globalité.

 

C’est dans ce contexte de fragilité globale qu’intervient la crise sanitaire et ses conséquences sur les circuits économiques et le cycle des échanges. L’arrêt ou à tout le moins le ralentissement de l’économie va se traduire par des pertes de valeurs mettant en danger une grande partie des entreprises fonctionnant à flux tendu et dépendantes de la fluidité des échanges et donc des paiements. La capacité de résilience de l’économie est dépendante du financement du cycle de production. En moyenne, celui-ci peut s’estimer à trois ou quatre mois. Au-delà, le système s’arrête en raison des défauts de paiement en chaîne liés à la rupture de l’activité. L’argent ne circule plus. C’est évidemment variable selon les secteurs économiques et la nature des biens et services rendus. Les entreprises ne sont pas exposées de la même manière ce qui signifie que les réponses doivent être spécifiques et sectorielles, ce qui va à l’encontre de notre culture jacobine.

 

Par rapport à la situation de 2007-2009, le risque est inversé. C’est l’économie réelle qui peut contaminer, si j’ose dire, l’économie financière déjà en tension. Les Etats, une fois de plus, même les plus libéraux l’ont compris, les capitalistes aussi qui ont toujours le sens de leurs intérêts. L’effondrement de la bourse n’a pas grand rapport avec le reste. Il s’agit d’un secteur purement spéculatif qui affecte pour l’essentiel les détenteurs de capitaux et les épargnants imprudents, fonds de pension compris, la perte de valeur correspondant à la disparition partielle des capitaux « excédentaires » dans le système.

 

Pour aller à l’essentiel, tout cela veut dire que les Etats se retrouvent en première ligne. Ils devront amortir le choc budgétaire et financier pour couvrir les décalages de recouvrement des impôts et des cotisations sociales sur les entreprises, voire leur abandon partielle, la baisse des rentrées fiscales basées sur la consommation (TVA), compenser la perte de chiffre d’affaire des secteurs les plus fragiles, financer le chômage partiel ou total, « étatiser » certaines entreprises majeures (Air France), cautionner les prêts bancaires aux entreprise fragiles et financer, bien évidemment, les dépenses directement liées à l’épidémie. Bruno Le Maire estime la diminution du PIB (qui n’est pas une fiction, mais la comptabilisation de la richesse marchande disponible) à 1%.

Je pense qu’il est optimiste. Je dirai plutôt entre 2 et 3%.

 

Devant cette situation, les Etats ne sont pas à égalité. Les plus fragiles auront les marges de manœuvre plus étroites.

Le rebond des dettes souveraines va probablement se traduire par un risque de flambée des taux d’intérêts pour les Etats déjà surendettés ce qui aura par ailleurs un effet négatif sur l’ensemble de l’économie, l’argent étant plus cher. Je ne suis pas inquiet pour les Etats-Unis, la Chine et le Japon qui sont des Etats-nations solides dotés d’une économie puissante et d’un système monétaire et financier contrôlé par un pouvoir politique fort. Je le suis pour l’Union Européenne et pour l’Euro et donc pour la France. A défaut de solidarité à l’échelle de l’Europe et de réponses coordonnées des états européens, non seulement la zone Euro peut se trouver très rapidement fragilisée mais l’existence de l’Union elle-même qui peut être en cause avec, à la finale, tous les peuples européens comme perdants.

 

Pour être précis, les Etats doivent se mettre d’accord sur la feuille de route à fixer à la BCE en cohérence avec les engagements budgétaires de la commission et du conseil européen d’une part, avec les politiques nationales d’autres part.

C’est le message qui me semble essentiel à très court terme. L’Union européenne pourrait mourir du virus ce qui modifierait définitivement les équilibres géopolitiques mondiaux à son détriment et le déplacement du centre de gravité planétaire de l’Atlantique vers le Pacifique. A moins que ce soit le moment fondateur d’une véritable solidarité européenne fondée sur l’appartenance à une communauté de destin qui se traduise par une avancée vers une Europe fédérale.

 

Jean-Marc Denjean est administrateur territorial. Il est membre d’EELV (il fait partie de son conseil fédéral - le « parlement » d’Europe Écologie – Les Verts). Partisan d’une « écologie positive », il œuvre depuis 2016 pour une "fédération des écologistes républicains". Egalement membre du club de l’Olivier.


LE MONDE D'APRES, C'EST MAINTENANT

 

 

Une série de contributions sur " le monde d'après, c'est maintenant ", sous forme d’articles, analyses, idées, sous forme de tribunes d’opinion, sous forme d’entretiens, voire de chroniques de post-confinement, mais aussi possiblement sous forme de textes littéraires, poétiques, de gestes artistiques, de vidéos smartphone, capsule vidéos PowerPoint…

 

Il est trop tôt pour faire le bilan de la crise du Covid 19, mais pas pour commencer à « tirer des leçons », à analyser les premiers effets de cette crise pandémique et à songer utilement à « l’après ». Le Covid-19 n’est évidemment en rien « salutaire », mais il nous permet cependant de mesurer nos fragilités et celle de nos sociétés dont le caractère non safe et non durable éclate au grand jour. C’est un chaos humain dont la réponse génère un désastre humain.

 

Il interroge notre rapport à la mort. Il nous amène à repenser le progrès, le monde, à nous repenser nous-mêmes et dans notre rapport aux autres. Il plaide pour une réhabilitation de l’État dans sa fonction de stratège, délaissée au fil du temps, pour sa restauration en tant que garant de la protection et de la prospérité pour tous, pour sa transmutation en un État à la fois social et écologique.

 

La question, aujourd’hui, pas demain, n’est pas d’attendre que ça passe, de revenir à « la normale », elle est ni plus ni moins de se ménager un monde où les humains puissent se retrouver, où leurs désirs et leurs besoins les plus basiques, la nourriture, un toit, aux plus sociaux, aux plus «humains», le besoin de reconnaissance et d’affiliation, leur désir de participer à la vie et aux décisions de la Cité, soient entendus. Elle nous invite en ce XXI ième siècle à « faire commune ».

 

La question est de définir un espace où nous pourrions continuer de vivre, sans nous laisser accaparer par la peur, ni nous laisser distraire par la pensée magique ou les déconstructions hasardeuses, ni nous faire enfler par l’extension du domaine de la biopolitique, ni nous abandonner davantage à la tentation du repli tribal. Elle ne concerne pas que la stratégie de sortie progressive de l’actuelle crise sanitaire, elle commande de se préparer à la diversité des menaces : virales, dans toutes leurs formes, y compris cyber-attaques, etc. mais aussi d’anticiper le pire à venir pour amortir les conséquences des chaos dont nous savons la prévisibilité (crise climatique). La question convoque les enseignements de l’expérience vécue, mais aussi notre sens du défi et la puissance de l’imaginaire. Et notre ambition : s’agit-il de penser le « Jour d’après » ou le « monde d’après » ?

 

On ne va pas sortir de la crise. Autrement dit, il n’y a aura pas d’après. Mais un rappel permanent de nos vulnérabilités, de notre précarité, de la non-durabilité de nos sociétés, comme de la finitude du monde. On ne va passer d’un coup d’un monde écrasé par le désir d’accumulation à un mondé ré-enchanté qui ferait toute sa place à la confiance mutuelle, à l’émancipation et au sublime de la vie. Mais il n’est pas interdit d’y travailler. En faisant avec les paradoxes de la situation et en se défaisant de l’illusion de perspective.

 

"Il n'y a pas de lendemain qui chantent, il n'y a que des aujourd'hui qui bruissent" (Alain Damasio).

 

 

 

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