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HUILE DE PALME : REGARDONS AU DELA DE CE QUE L'ON NOUS LAISSE VOIR, par Dominique Lévèque

 

Cela peut étonner, mais il faut savoir que l'huile de palme apparue en 2001 sur le marché européen et le marché français, fut pendant longtemps cantonnée aux réseaux parallèles des produits diététiques ou biologiques, parce que qualifiée de « bonne graisse » car végétale…
On la vendait alors sous forme de pain de palme. Sa place est allée grandissante, non seulement en raison de son rendement élevé et donc de son coût relativement modéré à la vente, mais aussi parce qu'elle a pris la place des graisses partiellement hydrogénées, discréditées depuis les années 80, alors que l'huile de palme a certains avantages nutritionnels, notamment par rapport aux acides gras transformés, présents précisément dans les huiles végétales hydrogénées.

 

 

Pourquoi cette huile après avoir été portée aux nues est-elle aujourd’hui
clouée au pilori ? Pourquoi incarne-t-elle le mal quasi incarné ?

Pour ce que nous en savons, faire de cette huile un « poison » n'est pas justifié.

Cela peut étonner l’opinion commune qui a été matraquée ces dernières années par des campagnes de communication massives ou sur laquelle la rumeur a simplement déteint, marquée également par la sortie sans doute sinon quelque peu intempestive, du moins maladroite, d’une Ministre de l’écologie (Ségolène Royal) qui avait d’autres arguments à faire valoir lorsqu’elle s’était mise en tête en 2016 de stigmatiser le Nutella.

 

Mais l’on ne peut pas dire que c'est un produit qui n’a pas de qualités.

Elle a notamment une bonne résistance à la cuisson et elle est solide à température ambiante.
Il n'y a évidemment pas de graisse miracle.

L'huile de palme contient environ 50% d'acides gras saturés. Ces molécules favorisent la formation du bon et du mauvais cholestérol et on sait que leur consommation excessive est mauvaise pour la santé. Elle a permis de remplacer les graisses végétales partiellement hydrogénées qui ont des effets délétères avérés justement sur la production de cholestérol en favorisant la formation du mauvais (LDL) au détriment du bon (HDL). Elle contient aussi des tocotriénols, une sorte de vitamine E, et des caroténoïdes, même si elle perd une grande partie de ces molécules après raffinage.

Les huiles de tournesol ou de colza en contiennent, elles, beaucoup moins (environ 10%).

Mais le beurre de cacao en contient autant et le beurre traditionnel un peu plus (65%)
L’acide palmitique est le principal acide gras de l’huile de palme. Le lait provenant de la femme contient, lui, 23% d’acide palmitique : ce qui en fait un des acides gras majoritaires du lait maternel. Il ne semble donc pas que l’huile de palme présente quelque risque que ce soit de toxicité pour l’enfant. C’est en tous cas, à ma connaissance, le constat auquel la recherche scientifique est arrivée jusqu’à maintenant.

 

Personnellement, je ne suis pas un partisan de la palme, encore moins un amateur, que je ne consomme pas, qui est fadasse, n’a aucune goût, préférant l’huile d’olive, de colza, de noisette ou de pépins de raisins.

Je ne suis d’ailleurs pas davantage un adversaire du beurre (je suis même un promoteur à Paris du beurre de la coopérative de Pamplie, de mes Deux Sèvres dont je ne recommande évidemment pas l’excès de consommation sic !).

Et je bannis le chocolat qui en contient ! Une hérésie ! Un crime !!

Si l’huile de palme reste un produit qui a des qualités nutritionnelles pas inintéressantes, cela me paraît surtout important de mettre les choses en perspective. Après, comme pour tout, c’est aussi une affaire de responsabilité individuelle. C’est à nous de décider ce que nous voulons manger, quand, comment et en quelle quantité.

 

Résumons-nous, si l’huile de palme pose des questions, ce n’est pas tant parce que ce serait un poison pour notre santé, mais parce que ça a des incidences lourdes au plan écologique dans d’autres de ses utilisations.

Notamment en suscitant la déforestation. Alors que l’on peut noter (avec Greenpeace notamment) que l’on pourrait doubler la production des plants existants sans intrants et sans détruire la forêt, en utilisant de meilleures techniques.

 

En fait, la déforestation : Là est le vrai sujet.

 

Plus de 80% des forêts d'Indonésie, où un million d'hectares disparaît chaque année, de Malaisie, de Bornéo et de Sumatra ont été décimées. Ici, la conséquence est réelle et bien tangible et ne résulte pas de d’idées reçues, de spéculations ou de fantasmes : les arbres ne jouent tout simplement plus leur rôle d'absorbeur de gaz à effet de serre - particulièrement important en ce qui concerne la forêt tropicale - et la libération du CO2 emprisonné lors de la destruction des forêts a un impact très négatif sur l'environnement.
Mais ce n’est pas tout : des problèmes se posent aussi pour la biodiversité: plusieurs espèces animales vivant dans ces milieux sont menacées.

 

L’enjeu se situe surtout sur le type d’utilisation de la palme.

 

Je pense évidemment à la question majeure des « biocarburants ».

On se souvient de cette étude de la Commission européenne mettant en avant les effets désastreux du changement d’affectation des sols en Indonésie, en Malaisie et dans d’autres pays producteurs d’huile de palme pour l’exportation. Cette étude indiquait d’une part que « la variation totale de l’utilisation des terres causée par la demande en biocarburants de l’Union européenne en 2020 est de 8,8 millions d’hectares ». Ce sont pour 0, 8 million d’hectares des terres soustraites à des cultures jusque-là vivrières et pour 8 millions d’hectares des forêts primaires défrichées pour produire des agro-carburants.

On imagine aisément le désastreux bilan climatique de la destruction des meilleurs puits de carbone en Asie.

 

Non seulement cela, mais l’étude menée pour la Commission par l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués (IIASA) indique aussi que la combustion du carburant diesel issu de l’huile de palme pollue quatre fois plus que celui issu de l’huile de colza ou de tournesol et près de deux fois plus que celui issu de la graine de soja.

Pour moi, c’est sur ce registre que la question de la consommation se pose, dès lors que certains pays se mettraient en tête d’en produire pour en faire des « agrocarburants » et on ne peut être qu’inquiet quand l’on voit ces pays qui souhaiteraient en faire un carburant obligatoire, ce qui engendrerait une explosion de la consommation et donc une extension des surfaces cultivables.

Et ce n’est certainement pas non plus une solution pour l’Europe.

Pas davantage pour la France ou la question du recours grandissant à l’huile de palme pour la production et la commercialisation de biocarburants se pose pareillement. Pas parce que l’utilisation d’huile de palme importée fragiliserait le débouché biodiesel des producteurs de colza français (ce qui est vrai), menacerait leurs revenus, mais parce que ça pose un grave problème écologique et brouille considérablement le message par rapport à l’Accord de Paris de la COP21 de 2015 . De ce point de vue, la reconversion par le groupe Total de l’activité de raffinage de pétrole brut du site de La Mède, qui produit depuis 2017 du biocarburant à base d’huile de palme importée pose de vrais enjeux.

 

En dernière analyse, que nous dit la stigmatisation de l’huile de palme ? Ou plutôt que nous cache-t-elle ?

C’est un dossier où il ne faut pas être naïf et se poser également la question des contingences politiques du sujet (protectionnisme par rapport à d'autres sources d'huile), économiques (souhait de taxer les aliments riches en graisses saturées) ou encore écologiques, mais l'on pourrait sans doute en dire autant des zones de culture du soja ou encore des problèmes d'usage de l'eau avec la culture du maïs…

N’écartons pas davantage des considérations purement commerciales et mercatiques du côté  de certaines enseignes de distribution qui ont voulu se distinguer des autres.

Signalons au passage que l'amplification de la mise au ban de l’huile de palme a conduit un certain nombre d'industriels qui ne souhaitaient pas supprimer l'huile de palme à devoir le faire, ce qui a encore accentué l'idée qu'elle était nocive.

D'autres ont cherché à masquer la présence de l'huile de palme, compte-tenu de l'opinion défavorable des consommateurs, en étiquetant « huile végétale », ce qui a conduit à augmenter la suspicion.

Bref, sachons qu’en termes d'alimentation, le tableau n'est jamais tout noir ou tout blanc.

Et si nous devons bouder l’huile de palme, faisons-le pour de bonnes raisons, en connaissance de cause, non pour céder aux injonctions de tel ou tel intérêt caché.

 

Dominique Lévèque est secrétaire général du PRé

 

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