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LE DERNIER DES MOHICANS ?, par Dominique Lévèque

 

On a beaucoup glosé sur la démission "surprise" du ministère de la transition écologique et solidaire de Nicolas Hulot qui en rien n’en est une.

Depuis mai dernier, des signes avant-coureurs en ont illustré plus que la possibilité, l’issue quasi certaine. Cet été encore, en pleine canicule, après une série de catastrophes dans le reste du monde (précipitations historiques au Japon générant des inondations et des coulées de boues inédites, conduisant à l’évacuation de deux millions de personnes et à près de 230 morts ; incendies meurtrières et destructrices en Grèce ; canicule, sécheresse inédites, feux de forêts, y compris au-delà du cercle polaire !; incendies en Californie, vague de chaleur au Canada ; une mousson particulièrement terrible en Inde obligeant au déplacement d’un million de personnes, et faisant plus de 1 200 morts…), Nicolas Hulot avouait sur Europe 1 son impuissance et son amertume en déclarant : « Il faut que chacun se tourne vers sa propre responsabilité. » Inscrivant de fait son prochain départ dans la logique inévitable des choses.

 

Sa démission apparait surtout comme une démission-sanction de ce que n’a pas fait le gouvernement en matière de transition écologique. Elle traduit dans le même temps, une fois de plus, la fragilité de l’ouverture vers la société civile, comme la contradiction entre les exigences écologiques et l’orthodoxie économique, voire les limites de la verticalité du pouvoir.

 

On a beaucoup raillé sa période Ushuaia et son côté pro business. On lui a reproché une popularité exclusivement issue de la télé. Egalement son tempérament, ses humeurs, les uns le trouvant pas assez, les autres, trop. Parfois les mêmes qui, il y a un an le caractérisaient comme un homme de droite et qui aujourd’hui considèrent qu’il était le seul élément de gauche du gouvernement Philippe (sic !)

 

On a beaucoup moins relevé que cela signait la fin de l’illusion de l’écologie politique.

 

Faute de pouvoir s’appuyer sur une force politique - juste sur la sympathie des marcheurs de LaREM, dont l’appareil n’a pas su ou pas pu comprendre la nécessité de le soutenir au plan pratique - pas davantage sur un mouvement social ou un soutien citoyen organisé, pour faire avancer son train de réformes, ne pouvant compter que sur sa proximité avec le Président de la République et sur la faculté de ses anciens « amis » d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) à continuer de s’auto réduire en passant le peu de temps du reste de leur vie dans l’entre soi et le concours permanent de qui est le plus Vert (quand on songe que ses dirigeants étaient venus le chercher pour participer à la primaire interne en 2012 en vue de la Présidentielle…), son capital se révéla un peu court pour compenser un manque d’expérience politique et une volonté affichée de ne pas faire avec les codes politiques. Handicapant lorsqu'il s'agit de gagner les arbitrages gouvernementaux ou de maintenir à distance les lobbys.

 

Il le reconnait du reste lui-même.

 

Cette démission sonne en réalité aussi comme un aveu qu’il n’est pas aisé de passer du « gouvernement des hommes » à « l’administration des choses ». Il ne suffit pas de se poser en abeille architecte pour réussir à faire rendre gorge aux frelons.

 

Il aura été en définitive le premier des hommes de bonne volonté et le dernier de cordée de l’équipe gouvernementale.

 

Sans doute aussi a-t-il trop mésestimé la question sociale, pensant inclure et transformer la société par le haut, croyant que son colloque singulier avec le Président de la République suffirait à réduire toutes les difficultés. Donnant aussi parfois l’impression que tel un Charles Fourier, il passait son temps à attendre chaque jour à l’Hôtel de Roquelaure, à l’heure où le soleil est le plus haut dans le ciel, quelque soutien généreux prêt à changer le monde avec lui. Oubliant que l’Etat, pas moins qu’au siècle dernier, ne s’est départi de sa fâcheuse tendance à être une machine au service des intérêts dominants, et non l’exercice neutre du pouvoir. C'est qu'il faut avant tout une volonté politique forte, très forte de l'exécutif, pour desserrer l’attention de l’Etat à la seule croissance, et celle de la société dans son attente à des résultats tangibles en la matière…

 

Nicolas Hulot n’a pas su en définitive matérialiser sa pensée écologiste qui ne se révéla pas suffisamment à échelle humaine.

En eût-il eu les moyens, l’aurait-il su ?

Nul doute que l’écologisme de Nicolas Hulot soit sincère, mais fut-il assez stratégique ?

Il fut surtout utopique ce qui l’empêcha d’y trouver les fils de son destin politique.

 

Pour autant, fut-il utile à la cause qu’il défend ?

Des esprits chagrins ou retors n’ont eu de cesse de stigmatiser son aptitude à avaler des couleuvres, à supporter des affronts et des avanies.

Ce n’est pas totalement exact, c’est même un peu injuste, car il sut se plaindre, mais sans doute pas de manière convaincante et trop fréquemment pour finir par escagasser. En début d’année, lors des traditionnels vœux à la presse, en préambule d’un long discours, il avait assuré que depuis son entrée au gouvernement, il n’avait pas le sentiment d'en avaler : « Je n’aurai pas le temps en 2018 de m’occuper de ces animaux dont certains pensent que je les élève » ajoutant que « si je suis très à l’aise avec les grands mammifères, j’ai de la répugnance pour les reptiles » (sic !)

 

Il serait tout aussi injuste de ne pas lui reconnaître quelques succès techniques et pour d'autres, sinon politiques, au moins symboliques :

S’agissant du dossier des hydrocarbures, le Parlement a adopté en décembre 2017 le projet de loi sur la fin de la recherche et de l’exploitation des hydrocarbures en France d’ici 2040. « La fin des énergies fossiles est en train de s'écrire, et l'Assemblée est en train d'en écrire la première page », se félicite alors Nicolas Hulot, qui annonce également « la fin de la vente des voitures à essence et diesel d’ici 2040 ». Avec 815.000 tonnes de pétrole par an, soit 1% de la consommation nationale, la France n'a jamais été un énorme producteur, mais le message politique se veut clair : déclamer que la France n’exploitera jamais les hydrocarbures non conventionnels (ces énergies fossiles, type gaz et pétrole de schiste et pétrole issu des sables bitumineux, dont l'extraction et la production sont très émetteurs de gaz à effet de serre et ont un impact négatif sur l'environnement) enfermés dans son sous-sol, et permet de fermer pour l’avenir une porte laissée entre-ouverte par les précédents gouvernements.

 

Le plus emblématique fut celui du dossier Notre-Dame-des-Landes, qui fut clarifié, après 50 ans de de tergiversations et de paralysie, d’imbroglios et d’embrouillaminis démocratiques avec l’annonce par le Premier Ministre Edouard Philippe de l’abandon du projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes. Des observateurs ont pu noter que son engagement répété et sa capacité à négocier avec les « zadistes » en leur faisant valoir jusqu’où ne pas aller trop loin a payé.

 

Mineur, même si significatif, l’annonce de l’introduction à l’automne prochain de deux ours dans les Pyrénées-Atlantiques en vertu du nouveau plan ours 2018-2028 - qui prévoit de renforcer le nombre de plantigrades dans les massifs montagneux - est à mettre également au crédit de Nicolas Hulot qui ne s’en laissa pas conter par les éleveurs locaux.

 

Celui des éoliennes n’est pas neutre non plus. Après des mois d’interrogations, le Président de la République confirme fin juin 2018 que les six projets de parcs d’éoliennes en mer au large des côtes françaises seront bien réalisés. Au prix d’une renégociation financière avec les opérateurs (EDF, Engie et Iberdrola) qui acceptèrent une diminution du montant de leurs subventions de "15 milliards d’euros" sur vingt ans, contre un report qui eut fait perdre au moins dix ans. Lancés entre 2012 et 2014, les appels d’offres avaient dû se coltiner de nombreux recours et lenteurs administratives, se confrontant à des oppositions, y compris au sein de la planète écologiste, jusqu’à ce que le gouvernement, à l’hiver 2017, décide de les remettre en cause, en regard du montant de subventions publiques, jugé disproportionné, trop élevé au vue de l’évolution des tarifs d’achat de l’électricité. Une façon aussi pour Emmanuel Macron de donner des gages à son ministre de la Transition écologique, lui laissant le devant de la scène, à un moment où ce dernier s'interrogeait encore sur son utilité au gouvernement. Moyennant quoi, Nicolas Hulot n’a pas manqué de s’en féliciter en soulignant que c'est une filière clef dans la transition écologique.

 

Enfin, au chapitre de la réforme des Institutions, nonobstant le fait qu’elle a été reportée suite à « l’affaire Benalla », Nicolas Hulot a obtenu là un certain succès politique, pour ne pas dire un grand succès symbolique avec l’inscription dans l’article 1er de la Constitution de la  "préservation de l’environnement et de la diversité biologique", tout comme de la "lutte contre le changement climatique" plaçant juridiquement l’écologie au rang de principe constitutionnel, réussissant à mobiliser une majorité des députés de la Majorité, poussant le Président à trancher - alors même que le Premier ministre Edouard Philippe avait annoncé en Avril une autre voie dans une version beaucoup plus édulcorée, disons un peu plus greenwashing.

On a pu croire à ce moment que ce succès allait doter Nicolas Hulot d’un pouvoir structurant pour la suite de sa mission.

 

Mais depuis 18 mois, Nicolas Hulot a connu aussi des échecs.

En juillet 2017, il avait proposé, lors de la présentation de son plan Climat, de "fermer la fenêtre d’opportunité qui permet d’incorporer de l’huile de palme dans les carburants". Sur ce sujet, Nicolas Hulot a depuis enchaîné les reculs. En mai 2018, il autorisait le groupe Total à exploiter une bioraffinerie sur son site de La Mède, près de l’étang de Berre (commune de Châteauneuf-les-Martigues dans les Bouches-du-Rhône), ce dernier annonçant vouloir y investir un investissement de 200 millions € et faire de la plate-forme actuelle la première raffinerie de biodiesel française de taille mondiale. Alors même que ce projet fut contesté au motif que la production de biodiesel devrait être essentiellement assurée grâce à de l'huile de palme, conduisant à la déforestation en Indonésie et en Malaisie (afin de pouvoir importer quelques 300.000 tonnes d’huile de palme par an). Alors que les députés européens ont, le 17 janvier dernier, voté à une large majorité en faveur d’une interdiction des importations d’huile de palme comme agrocarburant d’ici à 2021, la France a annoncé qu’elle ne soutiendrait pas cette interdiction lors du Conseil européen de l’énergie.

 

En septembre 2017, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA) entre en application provisoire dans sa quasi-totalité. L’opposition de Nicolas Hulot est connue, qui n’a cessé de dire son hostilité au CETA lorsqu’il était à la tête de sa fondation. Face à ce traité, qui substitue des tribunaux privés aux juridictions nationales, reste muet sur les enjeux climatiques et reste perméable aux OGM, il se dit "inquiet" face à ce qui, de son point de vue, "nous expose au lieu de nous protéger". Il le justifie cependant : "Le processus était tellement lancé qu’à moins de créer un incident diplomatique que nous ne souhaitons pas avec le Canada, c’était difficile"…

 

En décembre 2017, les Etats généraux de l’alimentation (EGA), grand rendez-vous du monde agricole, constitueront une autre grande contrariété. Nicolas Hulot les boycottera considérant que "le compte n’y est pas, ce n’était pas suffisamment conclusif et, donc, ce n’était pas pour moi le temps de conclure". Moyennant quoi, ce rendez-vous qu’il voulait comme un tremplin pour modifier en profondeur le modèle agricole français, se conclura par un pschitt sans propositions concrètes substantielles, notamment en matière environnementale.

 

L’échec le plus retentissant, qui eut pu lui donner un peu plus de cœur à l’ouvrage et lui donner envie de résister, est sans conteste celui du glyphosate (principe actif de l’herbicide Roundup), lorsqu’en mai dernier les députés refusèrent d’inscrire dans la loi son interdiction en 2021, alors que le caractère "cancérogène probable" pour l’homme est reconnu par le Centre International de recherche sur le cancer (CIRC), agence de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), sur fond de polémique avec les Agences européennes (qui ont conclu l’inverse), et la dangerosité sur les écosystèmes connue et documentée. Après la décision de l'Union européenne de renouveler la licence du Roundup pour cinq ans, le Président Macron  avait promis que le glyphosate serait interdit en France "dès que des alternatives [seraient] trouvées, et au plus tard dans trois ans". Mais l’absence de date butoir dans la loi, malgré la mobilisation d’une cinquantaine de députés de la majorité, fut ressenti et commenté comme un violent désaveu pour Nicolas Hulot face aux lobbys de l’agrobusiness, soutenus par le ministère de l’agriculture. Ce dossier eut un retentissement négatif chez les écologistes politiques et plus massivement chez les associatifs jusqu’à toutes celles et tous ceux sensibles à l'urgence écologique, membres des groupes LaREM, Modem et Nouvelle gauche à l’Assemblée nationale. Egalement dans l’opinion, et pas que chez les « bobos »…Il tua sans doute un peu plus la volonté de Nicolas Hulot de se transcender afin de placer réellement et durablement la transition écologique au centre de la politique gouvernementale.

 

Le plus symptomatique fut celui du nucléaire. En novembre 2017, Nicolas Hulot faisait savoir que le gouvernement ne tiendrait pas l’objectif de réduction à 50% de la part de l'électricité d'origine nucléaire à horizon 2025, pourtant fixé par la loi de Transition énergétique votée en 2015. Une annonce qui fut vécue comme une "reculade" par nombre d’observateurs et de militants écologistes, comme pour les ONG. Et alors que le gouvernement doit rendre d’ici la fin de l’année sa feuille de route énergétique pour les dix prochaines années (dite Programmation pluriannuelle de l'énergie - PPE) - Nicolas Hulot a surpris, mi-juin, en mettant subitement la pression sur EDF. Mais en restant évasif sur le calendrier et les moyens pour y parvenir.

 

Sa démission est-elle le signe qu’il n’a pas réussi à convaincre, sur ce dossier, Emmanuel Macron et Edouard Philippe, bien plus que la présence du lobbyiste en chef des chasseurs à l’Elysée lundi 27 août ? Mardi matin 4 septembre, sur France Inter, Nicolas Hulot s’est montré bien moins modéré sur le dossier qu’au début de l’été, quand il appelait "à ne pas trop se focaliser sur le nucléaire" qualifiant cette fois-ci le nucléaire de "folie inutile dans laquelle on s'entête".

 

Après une feuille de route sur l’économie circulaire qui a accouché de mesures jugées insuffisantes en début d’année, un plan hydrogène dévoilé début juin dernier, mais non assorti des financements nécessaires, il connut un nouveau revers avec la loi Egalim (Agriculture et alimentation) adoptée en première lecture en juin, qui choisit d’ignorer la souffrance animale, donnant raison aux filières de la production intensive et qui maintint les contenants en plastique dans les cantines et écarta les menus végétariens. Obtenant juste des avancées en matière d’étiquetage alimentaire.

 

Au final, Nicolas Hulot aura cédé à son intranquillité permanente et aura sans doute considéré que le compte n’y était pas suffisamment en sa faveur, que la politique des "petits pas" avait ses limites quand elle finissait par se confiner à des reculades. Il pensa surtout qu’il y avait trop de retard à l’allumage après les avancées remarquables qu’avaient constitué sous le précédent gouvernement, et la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (qui s'est posée comme une loi "d'action et de mobilisation" devant engager le pays tout entier (citoyens, entreprises, territoires, pouvoirs publics), permettre à la France de renforcer son indépendance énergétique, de réduire ses émissions de gaz à effets de serre et donnant à tous des outils concrets pour accélérer la croissance verte), et l’Accord de Paris lors de la COP 21 auquel il avait contribué avec Laurent Fabius, Ségolène Royal et Laurence Tubiana.

 

Le fait est qu’objectivement, on peut concéder avec lui que son bilan peut être jugé plutôt comme globalement négatif. D'autres diront "globalement positif" mais il n'est pas certain que ce soit plus flatteur. La question est : pouvait-il en être autrement après seulement quelques seize petits mois au ministère ?

 

Il reste que si sa démission pouvait créer un « électrochoc » comme il le souhaite du reste lui-même tout en faisant aveu de son impuissance et de son ras-le-bol à avoir dû se résigner, dit-il, sur trop de dossiers, si elle pouvait sonner comme un cri d’alerte à la réflexion et l’action collective et individuelle pour répondre, ici et maintenant, à l’urgence et au défi de la transition écologique, aux enjeux du climat et de la biodiversité, son passage au gouvernement pourrait ne pas rester comme un simple épiphénomène.

 

C'est qu'il est plus que temps d’imaginer au-delà du présent immédiat.

 

Des solutions existent. On sait notamment comment produire des énergies renouvelables, améliorer l’efficacité énergétique des équipements et des bâtiments. La réalisation de ces changements profonds pose surtout des questions de choix prioritaires, de cohérence, de planification et de démocratie : comment articuler la préservation de l’environnement avec la relance de l’économie française, la lutte contre le chômage, la pauvreté et les inégalités, le financement de la protection sociale, l’équation budgétaire ?

 

Cela peut paraître paradoxal, compte tenu de ce qui vient d’être dit précédemment et de ce que l’intéressé n’est pas loin de penser lui-même, mais on peut considérer que Nicolas Hulot aura été utile à la cause écologique. Car s’il a globalement échoué à changer la pensée productiviste toujours en cour à Matignon et à l’Elysée, échoué à désintoxiquer du carbonne les parlementaires (alors que les émissions carbonées françaises ont augmenté de plus de 3 % en 2017 par rapport à l’année précédente), comme à imposer sa vision vers un tournant graduel vers une agroécologie, son entrée, puis sa sortie du gouvernement, pourrait augmenter la pression écologique. Un plus en faveur de la nécessité de mettre en œuvre sans plus tarder une planification de la Transition écologique et énergétique, un plan climat assorti de financements massifs, créateur en même temps d’emplois et de croissance.

 

Il est encore temps, pour reprendre le mot de Valéry, de ne pas entrer dans l’avenir « à reculons ».

 

Quid aujourd’hui ? Le pays se retrouve sans avancées environnementales notables, avec des politiques à court terme dont on ne voit guère ou pas encore les effets positifs, et ce dans un contexte européen et international délétère, avec une déferlante des nationaux-populismes, jusqu’outre Atlantique, qui essaiment de plus en plus et essayent de donner le ton des enjeux des prochaines élections européennes : l’économie ouverte ou l’économie fermée ? Le libéralisme ou le nationalisme ? Viktor Orban et Mattéo Salvini ont d’ores et déjà nommé leur ennemi commun : Emmanuel Macron désigné comme le chef des élites libre-échangistes.

 

Le risque n'est pas loin où certains milieux économiques eux-mêmes pourraient être tentés d’épouser ce point de vue radical.

 

Alors que le bon débat devrait être plutôt celui entre un monde enfermé derrière des murs et un nouveau modèle économique européen de protection renforcée, notamment au plan environnemental et social. Au risque sinon de ne pas contenir, de ne pas surmonter la puissance du ressentiment qui pourrait regagner les électeurs populaires dont on a pu voir lors de dernières élections qu’elle pouvait les conduire à adhérer aux idées et au programme du FN (devenu depuis RN) pensant pouvoir ainsi se protéger de la société de marché planétaire. Tandis que la droite conservatrice et la gauche socialiste se sont converties l’une et l’autre depuis la fin des années 90 au fatalisme de la mondialisation des échanges et à l’irrésistibilité de l’économie financiarisée comme nouveau fatum de la vulgate économiste du capitalisme libéral. Comme si c'était le destin planétaire des humains. Degré zéro de la gnose du Progrès…

 

A 49 ans, François de Rugy, écologiste depuis vingt ans, sensible à l'idée de la social-écologie depuis qu’il a quitté en septembre 2015 EELV (cofondateur ensuite du petit parti écologiste – LPE, mis en sommeil depuis lors, préférant agir de l’intérieur de LaREM), rompu aux contraintes et au dialogue politiques, ne manque pas de qualités pour relever le défi.

C’est un homme convaincu que la protection à long terme de notre bien commun constitue la plus vitale des priorités.

Son opinion sur le nucléaire est assez tranchée. Il sait qu’il sera très attendu sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), dont une version provisoire devait être présentée mi-juillet. Il sait combien son action sera suivie, à commencer par ses amis écologistes, ici ou là, comme par le président de la Commission particulière du débat public, Jacques Archimbaud (1). Ce dernier (qui ne lui est pas totalement inconnu) n’avait pas manqué de rappeler à Nicolas Hulot, le 29 juin dernier, au Conseil économique, social et environnemental (CESE), où il assistait à la synthèse du débat public sur la PPE, que la question de la réduction de la part de l’électricité d’origine nucléaire ne pouvait pas être éludée. Se faisant le porte-voix des participants à cette consultation, Jacques Archimbaud avait résumé le sentiment général : « Des signaux qui apparaîtraient déséquilibrés ou asymétriques en matière de nucléaire ou le report sine die des 50 % seraient perçus comme extrêmement négatifs, au regard de la mobilisation pour la transition énergétique. »

 

François de Rugy pourra également compter sur Barbara Pompili - qu’il connait depuis près de vingt ans - ancienne Secrétaire d'Etat chargée de la Biodiversité et présidente de la commission du développement durable à l'Assemblée Nationale, pour mener le plan en faveur de la biodiversité.

 

Il connait les parts d’ombre de notre société occidentale de marché. Comme il sait parfaitement que le vieux monde ne veut pas mourir.

En tous les cas, il n’est pas le moins outillé, ni le moins lucide pour ce nouveau challenge et tenter de faire plus et plus vite pour l’écologie.

Il lui faudra convaincre de la nécessité d'organiser un collectif gouvernemental et susciter une meilleure mobilisation chez les parlementaires.

Est-ce que la formation d’un "pôle" social-écologiste au sein de la majorité présidentielle, voire qui la dépasserait, y aiderait et pourrait contribuer à dynamiser les consciences politiques ? La suite le dira. LaREM devra sans doute se faire violence pour accepter d'expérimenter cette voie si elle devait l'envisager, mais l'enjeu pourrait en valoir la chandelle et montrer le chemin au niveau européen lors des prochaines élections européennes.

 

D'ici-là, la société civile pourrait donner le ton si l’on en croit le succès inattendu d’un appel à « marcher pour le climat », lancé samedi 8 septembre par un jeune homme sur les réseaux sociaux après l'annonce de la démission de Nicolas Hulot. Plus de 16 000 participants d’ores et déjà et 80 000 personnes qui se disent intéressées. Une initiative qui si elle se démultipliait serait de nature à servir opportunément d'appui à François de Rugy tout en lui donnant du souffle citoyen. On ne dira jamais assez l'importance sur ce sujet d'un engagement pleinement collectif et la nécessité de pouvoir compter sur une base sociale - pour parler ancien monde (sic !) - afin de soutenir le processus de la transition écologique et énergétique.

Car s’il y a un message à retenir de la démission de Nicolas Hulot, "c’est bien, comme le dit Thierry Libaert (2), celui de nous confronter à nos propres contradictions et si possible de pouvoir les dépasser. L’action pour un monde meilleur ne peut totalement se déléguer, c’est dans nos actions quotidiennes qu’elle doit s’accomplir".

 

Le nouveau ministre pourrait surprendre son monde en réussissant à imposer du contenu au slogan make our planet great again d’Emmanuel Macron. En réunissant les conditions pour afficher au plus vite ces résultats tangibles sur les objectifs (mix énergétique, protection de la biodiversité, action climatique), qui désespéraient Nicolas Hulot tant ils lui semblaient contrariés, pour que l’exemplarité dont se targuait la France sur la scène internationale après la COP 21 n’apparaisse pas comme un trompe l’œil.

 

Il est plus que temps de faire tubuler le système.

 

 

Dominique Lévèque est secrétaire général du PRé

 

(1) Jacques Archimbaud est membre du conseil scientifique du PRé.

(2) Thierry Libaert est un spécialiste des questions d'information et de communication. Conseiller au Comité économique et social européen, "point de contact" de la délégation française , il est l'auteur du 1er texte européen sur la lutte contre l’obsolescence programmée, et s’est particulièrement investi sur les nouvelles modalités économiques de la transition écologique. Il est également membre du conseil scientifique du PRé et de son conseil des membres.

Chargé fin juin d’une mission visant à prolonger la feuille de route sur l’économie circulaire. Dernier ouvrage paru : Communication de crise (Pearson, 2018)

 

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