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EPHEMERIDE, par Dominique Lévèque

J’ai l’impression que la parole n’a jamais été autant comme une fuite hors des réalités qu’en ce moment.

Le phénomène des tweets et autres messages FB accentuant ce sentiment.

On dit ce que l’on veut, on fait ce qu’on peut. Et on finit trop souvent par dire et faire peu.

 

J’ai l’impression que j’en suis à renauder de plus en plus contre une époque hypercritique et ricaneuse, au souffle court, qui s’exténue à copier, réviser, pasticher, ressasser, détourner, recycler, compiler.

 

J’ai l’impression de passer mon temps à déplorer les afféteries excessives et trop systématiques du sampling, remake et autre remix.

 

Le pompon, la dernière lubie, le ridicule étant cette histoire « d’écriture inclusive », qui sort de je ne sais quelle révolution « progressiste » linguisto-féministe qu’il faudrait mener au nom de l’abolition de la règle des accords grammaticaux qui rayerait des usages de la langue française toute trace de ce qui est considéré comme le symbole du patriarcat en exigeant la stricte égalité lexicale et grammaticale entre masculin et féminin. Il est vrai que le genre neutre n’existe plus en français qui eût pu régler quelques cas, mais on peut toujours se régaler avec la langue latine.

Sous la férule de l’air du temps, on est réduit aux affirmations péremptoires ou à celles qui ne s’expriment qu’entre guillemets ou entre tirets comme pour s’excuser.

 

J’ai l’impression qu’on passe le plus clair de son temps à se perdre sur les réseaux sociaux, à commenter les manchettes des journaux sans lire le fond des articles, des interviews ou des morceaux choisis.

On confond l’éructif et l’irruptif.

« Les textes journalistes sont illisibles et les textes littéraires ne sont pas lus » disait Oscar Wilde. On fait du littéraire avec du journalistique.

 

J’ai l’impression qu’on est de plus en plus sommé de choisir entre du « Mexicain », le brut brutal et l’alambiqué, le maniérisme de la nuance. Le ton tranchant masquant l’approximatif, voire le faux, qui pousserait presque à exacerber notre goût du primaire recherchant l’esprit d’examen.

 

J’ai l’impression qu’on est condamné au racorni et au madérisé, comme si on ne savait plus faire son miel de toute chose, comme devenus incapables de distiller l’exquis avec l’aigrelet.

 

J’ai l’impression que les appartenances ouvertes sont reniées, boudées, déconsidérées au profit de celles groupusculaires au comportement sectaire à qui on accorde pignon sur rue.

 

J’ai l’impression que la solitude et le silence sont tenus pour insupportables, pour ne pas dire irresponsables.

 

Dominique Lévèque est secrétaire général du PRé.

 

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