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BikiniGate : CES FRACTURES CULTURELLES FRANCAISES qui dépasseront de loin la date de péremption médiatique du quiproquo de Reims, par Nathalie Krikorian-Duronso

 

Après le journal L'Union de Reims, c'était au tour de SOS Racisme de reconnaître son "erreur" dans la trop fameuse "affaire du maillot de bain de Reims" mercredi 29 juillet. Le succès médiatique de cet événement en dit surtout long sur l'idéal national des Français.

 

 

 

 

 

La pression exercée par les demandes d’accommodements sur les mœurs, les coutumes et l’esprit des institutions républicaines, au nom de pratiques religieuses musulmanes, tend à créer, à l’état latent, des fractures culturelles qui minent, de l’intérieur, l’esprit consensuel du « vivre ensemble » français.

 

En témoigne, le succès politico-médiatique suscité par « l’affaire du maillot de bain de Reims », qui pourrait faire date dans les esprits, alors même qu’elle résulte, d’après le parquet, d’un simple qui pro quo journalistique : « ni la victime ni les auteurs des coups n’ont fait état, lors des auditions, d’un mobile religieux ou d’un mobile moral qui aurait déclenché l’altercation ». L’intervention de la justice a ainsi mis fin à un échauffement des esprits passible de ressusciter le vieux conflit entre la religion et la République, que l’Etat tente d’éviter à tout prix depuis quelques années.

 

Mais pourquoi, ce qui, au dire du journal Le monde, « n’aurait sans doute jamais dû dépasser la colonne des informations en bref du journal local » est au contraire passé, en l’espace d’un week-end, du simple fait divers au rang d’affaire nationale ? Pour le comprendre, il convient de distinguer « le fait divers » de ce qui est devenu « l’affaire ».

 

Le fait divers, survenu mercredi 22 juillet : Angélique Slosse, en haut de maillot de bain et short, prend le soleil avec une amie, au parc Léo Lagrange de Reims, sa tenue est autorisée, mais elle entraine une agression verbale à son encontre, de la part d’une jeune fille qui se promenait avec quatre amies. S’en suit un « tabassage » de la première. Deux des trois jeunes filles jugées coupables Inès Nouri, Zohra Karim et Hadoune Tadjouri sont majeures et seront jugées devant le tribunal correctionnel sous le motif de « violences en réunion », l’une des mineures, ayant des antécédents judiciaires, est sous demande d’une mise en examen.

 

L’affaire, débute le vendredi 24 juillet, par un article du journal local, L’union, qui relate : « Une Rémoise de 21 ans profitait du soleil avec deux amies et bronzait en maillot de bain au parc Léo-Lagrange. C’est alors qu’un groupe de cinq jeunes filles passe à proximité. L’une d’elles se détache du groupe. Voir cette femme qui bronze au soleil, allongée dans l’herbe, semble contraire à sa morale et sa conception des bonnes mœurs car elle vient lui reprocher sa tenue légère jugée indécente en pareil endroit. Effarée par un tel discours aux relents de police religieuse, la jeune femme se rebiffe en rétorquant qu’on n’a pas à lui dicter sa façon de se vêtir. »

 

C’est de cette information, publiée par le journal de Reims que s’en est suivi, samedi 25 et dimanche 26 juillet, via les médias nationaux comme BFM et les réseaux sociaux, Facebook et Twitter, ce qui sera désigné, à partir de la déclaration du procureur, comme : « l’emballement de l’affaire du maillot de bain de Reims ».

 

De sorte que, ce mardi 28 juillet, L’union publiait son mea culpa pour : « une formulation maladroite assurément car perçue comme l’affirmation que l’affaire était la manifestation certaine d’un interdit religieux. » Laissant entendre qu’avait été tirée, sans éléments probants, une conclusion hâtive sur les motifs du pugilat. Mais le journal ajoutait : « les autorités semblent prendre conscience de l’emballement médiatique et ouvrent les vannes des informations : pas de mobile religieux, pas de mobile moral… Ce qui change complètement la nature de l’altercation ». Avant de conclure : « Désormais, il faudra attendre l’audience fixée au 26 octobre devant le tribunal correctionnel de Reims pour assister à la confrontation. Et que la justice passe.»[1]

 

Durant le weekend, le fait divers avait donc déchainé les passions, depuis le maire de Reims, en passant par le représentant du gouvernement, délégué à la lutte contre le racisme, témoignant ainsi, même si les faits ne sont pas avérés, qu’une vraie question de société était posée.

 

Dès le lundi, certains journalistes, comme Apolline de Malherbe, dans sa chronique quotidienne, n’ont pas hésité à parler d’« emballement politique » pour l’opposer aux « emballements médiatiques» reprochés aux journalistes qui traitent l’information dans l’immédiat et en continu. La journaliste considère que l’affaire est « peu de choses » et insiste même, non sans une certaine naïveté sur l’idée que le rôle des politiques est « d’apaiser plutôt que de diviser ». Elle n’envisage pas que la vivacité des réactions suscitées manifeste, en réalité, la permanence d’un conflit latent dans la conscience collective, et que la moindre étincelle le ravivant, se déclenche alors l’immédiate extériorisation de réactions en chaine. Outre que, le rôle des politiques, n’est pas tant « d’apaiser » en jouant à l’autruche, que de « représenter » les citoyens, et de défendre leurs idées politiques, autant que le bien commun.

 

Les demandes d’application de coutumes musulmanes, correspondant à des lois religieuses importées récemment, comme le port du voile pour les femmes, les menus halal dans les cantines, le droit de prier dans les entreprises ou de ne pas se faire soigner par des hommes dans les hôpitaux publics, sont-elles influencé le journaliste de L’union, qui traitait le fait divers du parc Léo Lagrange, samedi ? Possible.

 

Mais elles ont aussi influencé la réaction du maire de Reims, monsieur Arnaud Robinet, qui tweetait le jour même : "Intolérable sur notre territoire. Je condamne fermement cette agression."

 

Faisant référence au contenu de l’article de L’union, auquel il renvoie, le maire énonçait, de manière allusive, par l’emploi du possessif « notre territoire », l’opposition entre un « nous » et un « eux » qui, en l’occurrence désignait un « elles », les jeunes filles coupables d’agression étant supposées porteuses de ces revendications religieuses qui interdisent aux femmes le port du maillot de bain.

 

Mais monsieur Robinet, n’est pas le seul sur cette ligne : monsieur Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, envoie deux messages de même nature : « Agression scandaleuse qui appelle des sanctions exemplaires #Reims », et : « Pour une fois silence remarquable des habituels défenseurs de la “liberté vestimentaire” ».

 

Le responsable de la lutte anti-raciste, faisait référence à la question posée de nos jours à la société, d’autoriser, ou non, les femmes portant une tenue islamique sur les plages mais aussi, de manière ironique, l’expression « liberté vestimentaire », renvoie au fait que cette revendication de leur part, comme celle du voile intégral sur la voie publique, est faite, par une habille rétorsion du sens de l’argument démocratique, au nom de la liberté individuelle.

 

Enfin, l’association SOS racisme appelait à manifester, dimanche matin, lors d’un rassemblement en maillot de bain au parc Léo-Lagrange, « pour dire oui à la liberté », gonflant l’affaire sur les réseaux sociaux, via le hashtag (mot-clé) : #JePorteMonMaillotAuParcLeo.

 

Il faut noter que, ce faisant, l’antenne rémoise manifestait une certaine évolution idéologique du mouvement antiraciste, amorcée, au plan national, par l’influence de Ni putes, ni soumises, qui fut la première association à œuvrer, dans les banlieues, contre la montée de l’intégrisme musulman et ses effets dévastateurs sur la vie des jeunes filles.[2]

 

A l’origine, dès l’année 1984, SOS racisme, au contraire, diffusait une doctrine, faisant l’éloge de la différence ethno-culturelle des individus, contre l’idéal unitaire de l’universalisme républicain. Le mouvement a ainsi contribué à l’orientation multiculturelle du PS, de sorte qu’on pourrait, sans contre-sens aujourd’hui, lui appliquer la célèbre phrase de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». L’affaire est d’ailleurs pour Dominique Sopo, le Président actuel, l’occasion d’une mise au point doctrinale : « face au lancement ...d’une mobilisation davantage féministe qu’antiraciste, je rappelle que l’association mène les combats(...)qui, bien souvent, débordent le champ de l’antiracisme pour s’étendre à celui de la défense de la liberté et de l’égalité» et il concluait non sans espièglerie : « pour certains politiques qui sous-entendent contre toute évidence que SOS Racisme s’en prendrait aux musulmans, (...) il leur est loisible de laisser leurs éventuels mandats à des musulmans, ce qui serait la plus forte preuve d’amour et contribuerait à remédier à la dramatique sous-représentation de plusieurs catégories de la population dans nos assemblées.[3]

 

 

En conclusion, « l’affaire du maillot de bain de Reims », qui s’apparente à la rumeur d’une agression pour question vestimentaire, sur fond de conflit religieux, pourrait rendre crédible la renaissance du vieil anti-cléricalisme français, et l’idée, pas si désuète, que les Français demeurent attachés à un idéal national, dont le fondement intellectuel est républicain. Or en France, même si nos voisins, les Anglo-Saxons surtout, s’en amusent, régime républicain et laïcité sont presque synonymes. La laïcité, comme principe individuel et collectif, est indissociable d’un idéal de la Nation, dont Renan, corrigeant «ses propres erreurs», décrivait le caractère à la fois consensuel et contractuel : « L’individualité de chaque nation est constituée (...) par le consentement actuel, par la volonté (...) de vivre ensemble.»[4]

 

Et il est bien évident que, s’il n’existe qu’une différence de degré, que l’Etat se refuse à voir, entre « terrorisme islamiste » et « intégrisme musulman », les Français de confession musulmane, au contraire, n’aspirent qu’à vivre en paix dans une France laïque qu’ils chérissent. Ce que les hommes politiques et la majorité des médias soutenant les « pas d’amalgame » et les phobiques de «la stigmatisation », ont bien du mal à prendre en considération.

 

Nathalie Krikorian-Duronsoy est Déléguée générale du PRé, philosophe, analyste du discours politique et des idéologies. Elle est membres du conseil scientifique du PRé.

 

 

[1] http://www.lunion.com/517823/article/2015-07-27/affaire-du-bikini-decryptage-d-un-emballement

 

[2] http://www.npns.fr/l-association-ni-putes-ni-soumises/presentation/

 

[3] http://sos-racisme.org/communique-de-presse/a-propos-du-bikinigate/

 

[4] H. Peyre, Renan, 1969. N.Krikorian, « Nation et Révolution dans la philosophie politique de Renan », Pergamon Press, 1989

 

N.B : Cet article a été également publié sur Atlantico.

 

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