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GARDER ESPOIR FACE A LA CATASTROPHE ECOLOGIQUE, Par Stéphane Delpeyrat-Vincent, maire de Saint-Médart-en-jalles (Gironde)

Stéphane Delpeyrat-Vincent
Stéphane Delpeyrat-Vincent

    

     Tenir debout dans la tempête : garder espoir face à la catastrophe écologique.

 

Il est des heures où l’on voudrait détourner le regard.

Les glaciers fondent, les forêts brûlent, les océans s’acidifient.

 

La sécheresse gagne nos terres, les inondations dévastent nos villages, et les rapports scientifiques s’accumulent comme autant d’oracles sans appel : nous vivons l’entrée dans une ère de dérèglement planétaire. Le GIEC ne parle plus de risques mais de certitudes, rappelant que six des neuf limites planétaires sont déjà franchies.

Et pourtant, que voyons-nous ? Les dirigeants des grandes puissances – américains, russes, chinois – qui n’ont que faire de l’urgence, prisonniers de leurs calculs géopolitiques et de leurs alliances avec l’industrie fossile. Les multinationales, obsédées par le chiffre trimestriel, qui poursuivent leur danse macabre autour du pétrole, du gaz, de l’agro-industrie et du numérique prédateur.

Tout semble voué au cynisme du profit immédiat.

 

Faut-il alors désespérer ?

 

Non. Car garder espoir, ce n’est pas croire que tout ira bien. C’est refuser la soumission.

C’est un acte de résistance, une insurrection intime et politique qui dit : je refuse de me résigner à l’effondrement.

Les puissants ne cèdent jamais par bonté

 

L’histoire nous enseigne que les transformations ne viennent presque jamais d’en haut. L’abolition de l’esclavage, le droit de vote des femmes, la création de la Sécurité sociale, rien n’a été offert par la grâce des élites. Tout a été arraché par la pression populaire, par des mouvements sociaux tenaces, par la puissance des consciences éveillées. Pourquoi en irait-il autrement pour l’écologie ?

Les grandes entreprises pétrolières savaient dès les années 1970 l’impact du CO₂ sur le climat – Exxon a produit des rapports internes qui décrivaient avec précision la crise à venir. Elles ont choisi de dissimuler, de financer le doute, d’acheter des politiques. De même que les fabricants de tabac ont nié les cancers, de même que les industries chimiques ont nié la pollution des sols. Attendre d’elles une conversion morale serait une illusion. Elles ne bougeront que sous contrainte, par la force des peuples et du droit.

Les foyers invisibles de l’avenir

 

Mais si l’étincelle ne vient pas d’en haut, elle surgit ailleurs. Des villes inventent déjà des politiques radicales de transition énergétique – Barcelone, Amsterdam, Paris , la Californie, Bordeaux, Grenoble etc . Des paysans réinventent l’agroécologie, des communautés locales bâtissent des coopératives d’énergie renouvelable, des associations protègent des forêts et des zones humides menacées.

Le juriste américain Christopher Stone demandait dès 1972 : « Les arbres doivent-ils avoir des droits ? » Cinquante ans plus tard, des fleuves en Nouvelle-Zélande, en Inde et en Colombie ont été dotés d’une personnalité juridique, protégés comme des sujets de droit. En France, des maires comme à Grande-Synthe ont porté plainte contre l’État pour inaction climatique, contraignant la justice à reconnaître la responsabilité publique. À Saint-Médard-en-Jalles, nous avons fait de la biodiversité un bien commun, jusqu’à devenir Capitale française de la biodiversité 2024. Ce ne sont pas des anecdotes : ce sont les germes d’un basculement culturel et politique.

 

Le réel est implacable

 

Le philosophe Bruno Latour l’avait dit avec force : nous ne sommes pas « en crise », nous avons changé de monde. Le sol se dérobe sous nos pieds. Chaque incendie, chaque inondation, chaque famine rappelle que le vivant est plus fort que les idéologies du profit. Les multinationales peuvent financer des campagnes de communication, mais elles ne peuvent pas arrêter la fonte de la banquise. Le réel, inexorable, finira par fissurer le déni. La question est : dans combien de temps, et à quel coût humain ?

L’espérance active

 

Garder espoir, ce n’est donc pas attendre. C’est agir. Camus écrivait : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ». Même si le rocher retombe, le geste de le pousser demeure un acte de liberté. L’espérance n’est pas naïveté : elle est la condition pour rester humain dans un monde qui menace de se déshumaniser.

Chaque geste compte : protéger un espace naturel, réduire les inégalités énergétiques, soutenir une agriculture vivrière, créer des alliances entre territoires. On objectera : « ce n’est qu’une goutte d’eau ». Mais l’océan est fait de gouttes d’eau, et les changements culturels commencent toujours par des minorités obstinées. L’abolitionnisme était d’abord une poignée d’utopistes, les suffragettes étaient minoritaires, les résistants en 1940 étaient quelques centaines. L’histoire, ensuite, a basculé.

 

Une responsabilité politique et morale

 

La catastrophe climatique ne sera pas seulement écologique : elle sera sociale et politique. Elle produira des migrations massives, des conflits pour l’eau et les terres, des famines. Et avec elles, la montée des nationalismes, des régimes autoritaires, des violences de survie. Déjà, certains rêvent de bunkers pour riches, laissant le reste du monde à son sort. Garder espoir, c’est refuser ce futur de barbarie. C’est affirmer qu’il existe une autre voie : une République de la dignité, une social-écologie humaniste où l’économie n’est plus une prédation mais un soin du monde.

 

L’espoir n’est pas un luxe

 

On dit parfois que l’espoir est une illusion. C’est faux. L’espoir est une nécessité vitale. Hannah Arendt l’avait compris : dans les heures les plus sombres, l’action humaine peut toujours « introduire du neuf dans le monde ». Espérer, c’est maintenir ouverte la possibilité de l’inattendu, du retournement, du soulèvement.

Nous n’avons pas la garantie de réussir. Mais nous avons la certitude que renoncer, c’est condamner les générations futures à l’impossible. Alors, mieux vaut se battre, même dans l’incertitude, que mourir dans la passivité.

Oui, les dirigeants américains, russes, les multinationales, semblent ne penser qu’au profit. Mais l’avenir n’appartient pas qu’à eux. Il appartient aussi à celles et ceux qui, partout, inventent, résistent, bâtissent. L’espoir ne se décrète pas : il se construit dans l’action, dans le courage, dans la fraternité.

 

Garder espoir, ce n’est pas croire que le pire n’arrivera pas. C’est choisir de rester vivant, humain et solidaire, même au cœur de la tempête.

 

Et cette décision, personne ne peut nous la voler.

 

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