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MARIE-DOMINIQUE par Pierre Mac Orlan / Timothy Adès


LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

   De nouveau Pierre MAC ORLAN (Pierre Dumarchey, 1882-1970), romancier, auteur dramatique, dessinateur et illustrateur, producteur radio, également parolier de chansons souvent empreintes de mélancolie, marquées par l’univers militaire, mais aussi celui des villes et des ports. Il en écrivit une soixantaine, réunies principalement dans deux recueils  : "Chansons pour accordéon" et "Mémoires en chansons" (Gallimard, collection Blanche,1953, puis 1965). 

 

Celle que je vous propose aujourd'hui, ‘Marie-Dominique ’, est extraite du premier recueil et fut enregistrée par l'actrice et chanteuse Laure Diana (1897-1980) en 1950 chez Pathé Marconi, avec V. Marceau et A. Astier aux accordéons.

 

 

En 2017, Thieri Foulc, considéré avec André Breton, Tristan Tzara et Roland Topor comme ‘l’essence de la Pataphysique’, la chante lors d'une réunion de pataphysiciens, ainsi que ‘Le Pont du Nord’ (voir art. PRé, rubrique Tutti Frutti du 27-9- 2020).

 

En mai 2020, Foulc nous a quitté. (‘...Ses tableaux, ses romans, ses éditions, ses irremplaçables dictionnaires…’ - Fernando Arrabal).

On m'a alors demandé de traduire ces chansons pour le Journal of the London Instutute of Pataphysics.

…Aujourd’hui, grâce à Dieu, Saïgon et Tonkin sont en paix.

 

 

 

Laure DIANA au Grand Prix d'Elégance en 1939

 

Marie-Dominique

(chantée par Laure Diana)

 

J'étais un soldat de marine,

J'venais d'm'engager pour cinq ans.

J'avais vingt ans, belle poitrine

Comm' dans l'refrain du régiment.

Dans les bistrots près de Lourcine,

Les anciens m'en faisaient un plat:

- «Tu verras c'que c'est qu'l'Indochine.

Écout' la chanson d'un soldat» :

 

Refrain

Marie, Marie-Dominique

Que foutais-tu à Saïgon?

Ça ne pouvait rien fair' de bon

Marie-Dominique.

Je n'étais qu'un cabot-clairon

Mais je me rappelle ton nom

Marie-Dominique.

Est-ce l'écho de tes prénoms

Ou le triste appel du clairon

Marie-Dominique.

 

Je ne savais pas que la chance

Ne fréquentait point les cagnas

Et qu'en dehors de la cuistance

Tout le rest' ne valait pas ça.

Tu m'as fait comprendre les choses

Avec tes p'tits airs insolents

Et je n'sais quell's apothéoses!

C'était l'plus clair de mes tourments

 

Refrain

 

Ce fut Marie-la-Tonkinoise

Qui voulut fair’ notre bonheur

En m’faisant passer sous la toise

Dans l’vieux Cholon… ou bien ailleurs.

T’as toujours été un peu folle.

Ton but, je le voyais pas bien.

Tout ça ce n’était qu’des paroles

Au cours de la piastre à Nankin.

 

Tu m’as gâté mon paysage

Et l’av’nir quand sur le transport

Je feuilletais des bell’s images

Peintes comm’des Boudda en or.

Où sont mes buffl’s dans la rizière,

Les sampangs, l’aroyo brumeux,

Les congay’s, leurs petit’s manières,

Devant le pouvoir de tes yeux ?

 

C’est ta démarche balancée

Qui effaça tous mes espoirs,

Dans la bonn’ vi’ si bien rêvée

Est-c’ régulier de t’en vouloir?

Un’ chanson de la Coloniale

C’est le résultat en cinq ans

De mes erreurs sentimentales

Selon l’expérience des camps.

 

Refrain

 

 https://youtu.be/0wdnUYE-TYg

 

Mary-Sue

(as sung by Laure Diana)

 

I was a soldier, a Marine,

At twenty, for five years I signed.

My chest was something to be seen,

As regimental songs remind.

In bistros near the barrack gate

The old hands piled it on my plate:

‘Now hear this song of the Marines !

You’ll see what Indo-China means.’

 

Chorus

Tonkin Mary, Saigon Sue,

What was it you used to do ?

Nothing nice or good at all.

I was just a bugler, true,

That's how I remember you,

By your forenames’ dying fall,

Or the dreary bugle-call,

Tonkin Mary, Saigon Sue.

 

 

 

I had not the least idea

Hangars aren’t the haunts of Luck.

All that counts is how you cook,

The rest is neither here nor there.

All your petty insolence

Gave me quite a grasp of things :

There were some divine ascents,

Surest of my sufferings.

 

Chorus

It was Tonkin Mary who

Wished our fortune and our pleasure.

In Cholon she took my measure,

And some other places too.

Just a wee bit cracked are you,

What you planned I hardly knew.

All that empty chattering !

Money-changers of Nanking.

 

 

You spoilt my pretty country scene,

My future too, when on the road

I painted lovely images,

All done, as Buddhas are, in gold.

My paddy-field with buffaloes,

My misty canyon, my sampans,

My Cong, and all their little ways :

Doomed, by the power of your eyes !

 

Chorus

Your well-considered stratagem :

My hopes erased and washed away.

In the good life, the happy dream,

To hold a grudge must be OK.

Five years of service! That is all,

After my blunders in romance :

A song of La Coloniale

To show for my experience.

 

 Translation: Copyright © Timothy Adès

https://www.youtube.com/watch?v=4S_kNyt7H3A


- Portrait de Pierre Mac Orlan par Jules Pascin, lithographie éditée à Paris en 1954 par le célèbre Atelier Mourlot Frères

- Six chansons de soldat, Pierre Mac Orlan, interprétées par Laure Diana, sur une musique de Victor Marceau, enregistrées sur un 78 tours, chez Pathé Marconi en 1953. Ancien des troupes de Marine, Pierre Mac Orlan écrivit ce chant pour rendre hommage à son ancien corps et aux soldats combattants. Il n'aimait pas particulièrement ce chant qui devient pourtant populaire.

- Pierre Mac Orlan photographié

- Thieri Foulc (disparu dans la nuit du 21 au 22 mai 2020) fut l'objet notamment d'un hommage de Fernando Arrabal : "…entre la vie et la mort, le ciel et la terre / il y a un pont tricolore que l’on nomme arc-en-ciel. / Il vole, Thieri Foulc, vers le Soleil. / ¡Viva Thieri Foulc ! "


   Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Robert Desnos, Jean Cassou, Guillaume Apollinaire, Georges Pérec, Gérard de Nerval, Louise Labé, de Federico García Lorca, d'Alberto Arvelo Torrealba, d'Alfonso Reyes, de Bertold Brecht, Hermann Hesse, Heinrich Heine et d'Angelos Sikelianos.

Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les "Chantefables" de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Adès est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique "Tutti Frutti " (chroniques et rendez-vous culturels, poétiques, éco-gastrosophiques, pour « cueillir le jour » au sens du fameux carpe diem emprunté au poète latin Horace. Au gré des envies et des propositions des uns et des autres. Publiés généralement le week-end).

Derniers ouvrages parus : " Alfonso Reyes, Miracle of Mexico " (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant " (Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, les poèmes de Desnos avec les versions de Timothy Adès.

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Commentaires: 2
  • #1

    Olivier (dimanche, 08 janvier 2023 20:54)

    Salut,

    Je cherche les paroles de la chanson, Tortuga, de Pierre Mac Orlan, les avez-vous?

    Je vous remercie.

    Merci



  • #2

    Jean-Marie Quiesse (lundi, 08 janvier 2024 16:37)

    Tortuga (Mac-Orlan – Georges Van Parys)

    Le temps qu’il faudra travailler
    Dans l’île de la Providence
    Béatrice entrez dans la danse
    Cotillons bas vous Dorothy
    Aux tendres yeux couleurs de ciel
    Versez donc le punch allumé
    Le rhum, la mélasse et le miel !

    C’est à Tortuga un jardin
    Fleuri de garces sans cervelle
    C’est chez Duboeuf le Canadien
    Que l’on me disait la plus belle
    A caus’de mille petits riens
    Dont se dépitait Isabelle
    Une autre lady pour marins !

    Ô Tortuga port de disgrâce
    Dans le décor des cocotiers
    Tortuga mon île sans traces,
    Où mes pas se sont effacés !

    Reverrais-je un jour mes vieux quais
    Dunkerque et toute ma famille
    Mes erreurs dans la nuit des villes
    Loin des cloches de Santa Fé ?
    Que sur ce sol trop célébré
    Par les exploits des flibustiers
    Revienn’ l’homm’ que j’ai tant aimé !

    C’est à Tortuga que se meurt
    Dans le secret d’un coquillage
    Le bruit de ceux de mon bonheur
    Petit Jean et Mackie mon page
    Un délicieux petit vaurien
    Et ton amoureux Isabelle,
    Qui venait manger dans ma main !

    Ô Tortuga île imprécise,
    Je meurs dans ton soleil parfait
    Je n’étais pas fille soumise,
    Du moins mon amant l’ignorait !