· 

BRISE MARINE, par Mallarmé / Timothy Adès

LE POST POETIQUE DOMINICAL DE TIMOTHY ADES


 

En résonnance avec les vacances, mais aussi les retours, ou les voyages impossibles, voici le beau sonnet ‘Brise Marine’ de Stéphane Mallarmé (1842-1898).

Elu Prince des Poètes par ses pairs, succédant ainsi à Verlaine, Mallarmé était encore jeune lorqu'il écrivit ce poème en 1865, il avait 23 ans.

On y trouve les thématiques baudelairiennes du voyage et de l'ennui et la quête de l'absolu qui fut la grande affaire de Mallarmé toute sa vie. Ici, le voyage se fait quête intérieure et se révèle comme la métaphore du voyage poétique.

 

Mallarmé par Manet (1876), huile sur toile de 27 x 36 cm

 

Ce poème fut publié en 1866 avec une dizaine d'autres poèmes (dont l'Azur, et Les Fleurs) dans le premier Parnasse contemporain.

 

J’ajoute ma traduction lipogrammatique sans la E. C’est Georges Perec qui m’a inspiré : dans son livre La Disparition, cette lettre-là ne se trouve nulle part : ce sonnet de Mallarmé est l’un des célèbres poèmes français qu’il adapte en évitant la E, donc le titre devient ‘Bris Marin’. Livre brillant, incontournable !


Brise Marine

 

 

La chair est triste, hélas! et j’ai lu tous les livres,

Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres

D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !

Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux

Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe

O nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe

Sur le vide papier que la blancheur défend

Et ni la jeune femme allaitant son’enfant.

Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,

Lève l’ancre pour une exotique nature!

Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,

Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !

Et, peut-être, les mâts, invitant les orages

Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages

Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles ilôts …

Mais, ô mon Coeur, entends le chant des matelots !

 

Sailor's Wind (sans la lettre E)

 

 

Limbs flag and fail; j’ai lu all books of words.

To fly away ! I think of soaring birds

In sky unknown, and spray, mad-drunk with flight.

No arbours, mirror’d back from orbs of sight,

Can stay my soul from plunging totally,

O nights ! nor lamplight’s arid clarity

On my blank writing-pad’s forbidding wall;

Nor a young woman with a sucking doll.

I go! You throbbing ship with masts that sway,

Up anchor, and to magick lands away !

Vain longings haunt us; harsh monotony

Still trusts in waving chiffon’s last goodby;

And masts that summon storms may soon bow down

To roaring winds, by ruin’d hulks that drown,

Lost, with no masts, nor islands blossoming …

But hark, my soul ! What songs our sailors sing !

 


Translation: Copyright © Timothy Adès


En voici une belle lecture : Stéphane Mallarmé - Brise Marine


Timothy Adès est un poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française, il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.

 

Derniers ouvrages parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.

Timothy Adès | rhyming translator-poet

Écrire commentaire

Commentaires: 0