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VARIATIONS POETIQUES AUTOUR DE "DEMAIN", par Timothy Adès

Notre secrétaire général, notre ami Dom (Dominique Lévèque), m’a suggéré le poème « Demain » de Robert Desnos - il sait que je l’ai traduit déjà - proposant que je vous en fasse un commentaire.

Aussi, il me semble que le meilleur commentaire sera d’y joindre d’autres poèmes de la même période – c’est celle de l’Occupation Nazie – et du même esprit. Desnos a créé dans ces années-là une énorme richesse : trois grandes séquences et davantage contre l’envahisseur, ainsi que ses Chantefables et Chantefleurs, quatre-vingt miniatures. J’ai traduit des centaines de poèmes de Desnos ; le tout premier, je l’ai trouvé dans l’Anthology of Second World War French Poetry, c’était ‘Le Paysage’ ; là aussi, le « Demain » de Jean Cayrol, dont je n’ai fait que celui-là : un poème puissant. Là aussi, plusieurs des fameux 33 Sonnets de Jean Cassou, qu’il compose en prison. « Il n’avait que la nuit pour l’encre, et le souvenir pour papier. » – Ce sont les paroles d’Aragon dans sa préface éblouissante. – Je vous en ai choisi ‘La Plaie’. Et pour finir, ‘Le Legs’ de Desnos, des plus émouvants.

 

« Demain »               Robert Desnos, 1942

 

Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force

De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.

Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,

Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir.

 

Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,

Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,

Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille

À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.

 

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore

De la splendeur du jour et de tous ses présents.

Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore

Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.

 

 

 « Demain » Jean Cayrol, 1943/4

 

Vous trouverez les pas encore humides dans l’allée

vous trouverez le vin séché dans les bouteilles

vous trouverez la nuit si jeune aux joues vermeilles

vous trouverez le nom que j’avais oublié

 

Vous trouverez la ville toute pâle dans l’ombre

le chien aveugle le feu dérobé à nouveau

vous trouverez la terre habituée à ses cendres

l’ange ébloui du crime assis sur un tombeau

 

Vous trouverez la voix toute rongée par l’amour

les morts qui vont venir dans la saison secrète

et notre liberté qui détourne la tête

et l’aube déchirée par les larmes qui court

 

Vous trouverez l’épée la colère et le jour.

 

 

« Sonnet XXIII » Jean Cassou, 1942

 

La plaie, que, depuis les temps des cerises,

je garde en mon cœur s’ouvre chaque jour.

En vain les lilas, les soleils, les brises

viennent caresser les murs des faubourgs.

 

Pays des toits bleus et des chansons grises,

qui saignes sans cesse en robe d’amour,

explique pourquoi ma vie s’est éprise

du sanglot rouillé de tes vieilles cours.

 

Aux fées rencontrées le long du chemin

je vais racontant Fantine et Cosette.

L’arbre de l’école, à son tour, répète

 

une belle histoire où l’on dit : demain…

Ah ! jaillisse enfin le matin des fêtes

où sur les fusils s’abattront les poings !

 

 

« Le Legs » Robert Desnos, 1943

 

Et voici, Père Hugo, ton nom sur les murailles!

Tu peux te retourner au fond du Panthéon

Pour savoir qui a fait cela. Qui l’a fait? On!

On c’est Hitler, on c’est Goebbels ... C’est la racaille,

 

Un Laval, un Pétain, un Bonnard, un Brinon,

Ceux qui savent trahir et ceux qui font ripaille,

Ceux qui sont destinés aux justes représailles

Et cela ne fait pas un grand nombre de noms.

 

Ces gens de peu d’esprit et de faible culture

Ont besoin d’alibis dans leur sale aventure.

Ils ont dit: « Le bonhomme est mort. Il est dompté. »

 

Oui, le bonhomme est mort. Mais par-devant notaire

Il a bien précisé quel legs il voulait faire:

Le notaire a nom: France, et le legs: Liberté.

Tomorrow

 

I’d live a hundred thousand years, and still

Be staunch in hope’s foreknowledge of the dawn.

Old Father Time, whom sprains and shocks make ill,

Protests, but dusk and daybreak are reborn.

 

Too many months by now we’ve been on guard.

Alert, we’ve kept our firelight and our flame,

Talked low and pricked our ears at noises heard

That soon fell silent, lost, as in a game.

 

Now from night’s fastness we attest again

The splendour that accompanies the day.

Unsleeping, we are watchers for the dawn,

Proof that, at last, we are alive today.

 

 

Tomorrow

 

You’ll find the footmarks tacky in the rents

You’ll find the bottles where the wine ran dry

The night with cheeks rouged out of innocence

You’ll find the name that slipped my memory

 

The sightless watchdog and the stolen fire

You’ll find the city leaden in the gloom

Earth used to ashes and the angel choir

Stunned by the crime and sitting on a tomb

 

You’ll find the voice that love has gnawed away

The furtive assignations of the dead

You’ll find our freedom hanging down its head

And dawn in flight ripped open by dismay

 

You’ll find the sword the anger and the day.

 

 

Sonnet XXIII

 

Since cherry-time I've nursed, deep down,

a wound that opens every day,

while by the walls of Anytown

lilacs and suns and breezes play.

 

Land of blue roofs and grey refrains

that bleeds in love's romantic dress,

tell me why each old yard enchains

my life with tears and rustiness.

 

I teach the pixies on my way

about Fantine, Cosette, and all.

In time the playground tree will tell

 

a rousing tale: one day, one day ...

Stream forth, bright dawn of carnival,

when fists have guns to spark the fray!

 

 

The Legacy

 

Hugo! So here’s your name on every wall!

Deep in the Pantheon, turn in your grave,

And ask: who’s done this? Hitler! Goebbels! They’ve

Done it, the guttersnipes: Pétain, Laval,

 

Bonnard, Brinon: accomplished traitors all,

High on the hog. They’ve done it, and they must

Face retribution, merciless and just;

And there are not that many names at all.

 

These mindless and uncultured men have made

A smokescreen for their filthy escapade:

‘The fellow’s dead and gone,’ apparently.

 

The fellow’s dead. Yet his bequest is clear:

His legacy is signed and proven here,

Witnessed by France; we call it Liberty.


Translation: Copyright © Timothy Adès

Robert Desnos                            Jean Cayrol                                      Jean Cassou                                         Dernière photo de Desnos


Timothy Adès est poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec. Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française. Il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais. Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du CS du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti et publie régulièrement un post poétique, en général le dimanche en fin d'après-midi.

 

Dernier ouvrage parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions.

 

Timothy Adès | rhyming translator-poet

www.timothyades.com

 

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