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L'ART, par Théophile Gautier / Timothy Adès


SERIE PRé LE MONDE D'APRES, C'EST MAINTENANT

Une contribution de Timothy Adès, poète-Traducteur britannique, membre du conseil scientifique du PRé, co-animateur de la rubrique Tutti Frutti.


 

Notre ami, le poète-traducteur Timothy Adès a traduit pour nous ‘L’Art’ de Théophile Gautier (1871-72), qui ‘dans son pourpoint de satin rose’ s’est mis au centre de la ‘Bataille d’Hernani’ : les jeunes Romantiques se joignent avec Victor Hugo pour s’en tirer des alexandrins deux à deux, contrainte qu’ils croient démodée, legs de Racine et de Corneille.
Gautier annonce ici le mouvement des poètes parnassiens et Charles Baudelaire qui lui dédia le recueil "Les Fleurs du Mal " dans lequel il consacra deux poèmes à la beauté.

Une performance exceptionnelle qui va bien au délà de la traduction, mais constitue un art poétique en soi.

 

Timothy Adès

Et comment va-t-on construire la République écologique ? Penser le long-terme ; créer le durable ; la tâche est difficile. N’est-ce pas, ce sont les sentiments du poème.


L'ART

 

Oui, l'oeuvre sort plus belle
D'une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.

Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit.

Fi du rhythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend !

Statuaire, repousse
L'argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l'esprit :

Lutte avec le carrare,
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur ;

Emprunte à Syracuse
Son bronze où fermement
S'accuse
Le trait fier et charmant ;

D'une main délicate
Poursuis dans un filon
D'agate
Le profil d'Apollon.

Peintre, fuis l'aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l'émailleur.

Fais les sirènes bleues,
Tordant de cent façons
Leurs queues,
Les monstres des blasons ;

Dans son nimbe trilobe
La Vierge et son Jésus,
Le globe
Avec la croix dessus.

Tout passe. - L'art robuste
Seul a l'éternité.
Le buste
Survit à la cité.

Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.

Les dieux eux-mêmes meurent,
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.

Sculpte, lime, cisèle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !

 

ART

 

Yes, a work comes out better

that’s hewn and won from matter

             perverse:

 enamel, onyx, marble, verse.   

 

For false rules we’ve no use!

But to go straight as an arrow,

            Muse,

your shoe needs to be narrow.

 

Down with commodious rhythm 

that’s like an outsize boot,

           whose fathom

fits and fails every foot!

 

Modeller, shun, for it slips

at your finger-tips,

            the clay,

should thoughts go astray;

 

grapple, reveal, refine

            in hard carrara,

or trace in rarer

parian, the contour line;

 

borrow from Syracuse

her bronze, standing firm

            to accuse

proper pride and charm;

 

make dextrously, chase

in a perfect nugget

            of agate

Phoebus’s beaked face.

 

Painter, eschew the gouache:

fix the frail timbres

            at fire-flash

in the enameller’s embers.

 

Make mermaids and dolphins,

twist in fivescore fashions

            their tailfins,

blue monsters of blazons;

 

haloed in triple lobe,

limn Mary and her Son;

           the globe,

and His Cross thereon.

 

All passes. – Robust

art lives for ever;

           the bust

is the city’s survivor.

 

The dull medal, found

by humble labourer

           beneath ground,

eveals an emperor.

 

Even gods perish,

yet peerless stanzas

            flourish,

stronger than bronzes.

 

Sculpt, chisel, rasp:

let the precisian

            block grasp

your dancing vision!

 


Translation: Copyright © Timothy Adès

N.B : L'Art, écrit en 1852, provient du recueil "Emaux et Camées"

Timothy Adès est poète traducteur-britannique, spécialiste de la versification, des rimes et des mètres, en français, espagnol, allemand et grec.

Fin connaisseur, entre autres, de Victor Hugo, Louise Labé, Robert Desnos, Jean Cassou, Georges Pérec, Alberto Arvelo Torrealba, du poète vénézuélien des Plaines, du mexicain Alfonso Reyes, de Bertold Brecht et de Sikelian. Il a aussi réécrit les Sonnets de Shakespeare en évitant la lettre e et a écrit une longue poésie n’utilisant aucune voyelle, sauf le e.

"Ambassadeur" de la culture et de la littérature française. Il est le premier à avoir traduit les Chantefables de Robert Desnos en anglais.

Lauréat des Prix John Dryden et TLS Premio Valle-Inclán.

Timothy Ades est membre du CS du PRé.

 

Dernier ouvrage parus : "Alfonso Reyes, Miracle of Mexico" (Shearsman Books, 2019). Bilingual Spanish/English, "Robert Desnos, Surrealist, Lover, Resistant "(Arc Publications, 2017) : 527 pages, bilingual text, his poems with my versions. 

 

www.timothyades.co.uk

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