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DE LA NECESSITE DE PRESERVER UN HORIZON UNIVERSALISABLE, par Dominique Lévèque

 

On arrive à un moment où l'on ne peut plus faire comme si l'on ne voyait pas les avancées en France en même temps que ses limites du modèle anglo-saxon du communautarisme, qui en vient à remiser, quand ce n'est pas à raturer, certains principes de la République. Un modèle sur sur lequel même les anglais semblent vouloir revenir.

On ne peut pas davantage ne pas voir les malentendus, quand ce ne sont pas des impasses, auxquelles conduisent le multiculturalisme, entendue comme une idéologie qui voudrait imposer une norme.

Quand on confond multiculturalité qui est un fait de société, qu'on peut en effet partager avec un plaisir non coupable et multiculturalisme, c'est à ce moment-là qu'on risque de n''être que dans le clair obscur et de ne plus savoir de quoi l'on parle.

 

Il est heureux que l’on commence à considérer que l’islamisme ait quelque chose à voir avec l’Islam. Et que l’on ne se contente pas – pour s’y réfugier ? – de dénoncer ses usages intégristes et sectaires. Dirions-nous que l’inquisition qui entendait combattre l’hérésie n’a rien à voir avec le catholicisme ?! Idem avec le « massacre de la Saint Barthélémy ». Mais l’actualité ne concerne pas aujourd’hui les catholiques ou le catholicisme qui ne tuent de nos jours personne.

 

Nous ne méconnaissons pas pour autant que les religions, soient sujettes à toutes sortes d'instrumentalisations, de passions et de frustrations.
Plus globalement, reconnaissons que les monothéismes sont assez fortiches sur le registre de l’intolérance et du sectarisme. Personnellement, je leur incombe bien des malheurs dans ce monde.
Il serait non moins heureux de bien vouloir considérer aussi que la religion, y compris dans ses expressions les plus sectaires peut-être instrumentalisée par certains Etats, et pas seulement pour propager la foi officielle, mais aussi et d’abord pour maintenir sous leur joug leurs populations. Mais aussi, pour ceux qui en ont les moyens, pour étendre leur terrain de jeu idéologique.

 

En réalité, l’histoire ne nous l’a montrée que trop souvent : c’est quand on mêle la religion et la politique que les choses se gâtent en général !
Nous pourrions bien sûr parler d'autres "dénis de réalité", celui par exemple qui exempte les Etats de leurs responsabilités dans les plus grands massacres, les meurtres de masse au XXe siècle, s'en prenant parfois à leur propre population.

 

On voit bien aujourd’hui au-delà du cas de la Préfecture de police dont il serait sage d’attendre les conclusions de l’enquête du parquet anti-terroriste, qu’il faut aussi analyser certains faits en termes d'imitation. C'est-à-dire que des acteurs non étatiques (ou manipulés par des acteurs étatiques ou des goupuscules radicaux) utilisent les mêmes méthodes. Un débat, pas simplement intellectuel pourrait s'ouvrir à ce égard sur une possible filiation entre les pratiques génocidaires et les pratiques dites terroristes. Mais également en termes d'«essentialisation» des victimes. Des personnes sont tuées pour leur identité, parce qu'elles sont, et non à cause de ce qu'elles font : parce qu'elles sont françaises, américaines, etc., comme on a massacré des gens parce qu'ils étaient tutsis ou génocider d'autres parce qu'ils étaient juifs. A cet égard, les discours de Ben Laden hier ou de l’EI ces dernières années, encore aujourd’hui, sont on ne peut plus révélateurs. On ne peut pas faire comme si ça n’existait pas. Ils s'articulent autour du thème de la pureté et de la lutte contre les impurs, ce qui autorise qu'on fasse des liens entre le terrorisme et le crime de masse. Tuer des civils ne doit pas être nécessairement vu comme un acte relevant de la folie, ou de l'irrationalité, comme on l’a (trop) souvent avancé, cela obéit bien à des calculs politiques, à des stratégies d'ensemble.

 

Il reste que notre stupéfaction est entière à l'égard de la question de la barbarie : comment comprendre que des individus ordinaires puissent parvenir à détruire des personnes sans défense ? La question du passage à l'acte est évidemment essentielle à comprendre.
Il faut écouter ce que disent les témoins de ces tueries. Il est souvent fait état de l’insensibilité et du grand calme de leurs bourreaux, sur le visage desquels – quand ils ne sont pas masqués – s’imprime bien souvent un même sourire robotisé, déshumanisé. Comme s’ils étaient absents d’eux-mêmes. Cela nous renvoie à ce que les psychiatres appellent l’état crépusculaire. Le meurtrier se comporte comme un zombie, étranger aux émotions qui faisaient de lui un être humain. The lights are on but no one’s home, disent les Américains – il y a de la lumière mais personne à la maison.


« Si tu regardes longtemps au fond d’un abîme, écrit Nietzsche, l’abîme aussi regarde en toi. »
D’où la notation dans le propos préliminaire (de la responsabilité du PRé) de la tribune de Nathalie (qui par définition engage la seule responsabilité de son auteure) : « Ce drame convoque l’éveil raisonnable des consciences, mais pointe aussi l’insuffisance de ces rationalisations qui réduisent la radicalisation à une cause, quelle qu’elle soit. ». (Islam, vengeance anticolonialiste, pauvreté, chômage, exclusion, etc.). Tout cela intervient après, à titre de facteurs aggravants et dans certains cas, dans le cadre d’une instrumentalisation venue de loin.

 

En même temps, je comprends que l’hypothèse du « coup de folie » servi à l’envi, ici ou là, en France, en Europe comme outre-atlantique, puisse avoir quelque chose de rassurant – on se trouverait face à une tuerie normale, presque familière, dont les tenants et les aboutissants seraient exclusivement domestiques. Une tuerie "acceptable" en quelque sorte ?
Si la tribune de Nathalie Krikorian-Duronsoy publiée ce jour sur le blog du PRé suscite des réactions et amènent à nous interroger, ça ne sera pas la moindre de ses qualités. Même si y a un point ou deux où elle me semble un peu courte ou un peu caricaturale dans son expression (notamment sur la responsabilité de la « propagande anti-raciste » que je ne prends évidemment pas bien, y ayant moi-même sans doute participé un temps dans les années 80). Mais je sais le fond de sa pensée, qui ne mérite pas d'en faire un point de crispation.

 

Au-delà, personnellement, ce qui m’intéresse aujourd’hui, au-delà de la légitime émotion, colère, tout ce que l’on veut, d’une légitime réaction d’auto-défense de la République, qui autorise en effet la République à se défendre, c’est de travailler par ailleurs, tout comme toi, avec les associations locales, c’est aussi de réfléchir plus globalement à la pluralité de dominations qui nous accablent et accablent les peuples, de réfléchir à la réévaluation de la place de l'individu dans une pensée émancipatrice et à l'utilité de préserver un horizon d'universalisable.

 

Dominique Lévèque est secrétaire général du PRé

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